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Géopolitique de la crème hydratante

Trump inquiète, mais la Chine davantage...La cosmétique, deuxième secteur exportateur français, dresse un panorama de ses perspectives en 2025, avec une étude du cabinet Asterès, commandée par la Cosmetic Valley.


© Adobe Stock.
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La géopolitique de la crème anti-rides n'a rien d'anecdotique, les cosmétiques représentant le deuxième secteur exportateur français. Le 6 février, à Paris, lors d'une conférence de presse, la Cosmetic Valley, pôle de compétitivité qui réunit 6 300 établissements représentant 226 000 emplois, présentait les résultats d'une étude du cabinet d’études Asterès consacrée aux risques et opportunités pour 2025 en matière d'exportation des cosmétiques. Tout d'abord, « les cosmétiques constituent un point fort structurel du commerce extérieur français », a rappelé Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès. Entre 2015 et 2024, le montant des exportations est passé de 12 à 22,2 milliards d'euros, et le solde commercial, de 9,3 milliards à 17,2 milliards d'euros. L'an dernier, les cosmétiques se sont attribués la deuxième place des secteurs exportateurs, derrière l'aéronautique (27,9 milliards d'euros de solde commercial).

Toutefois, la tendance est moins positive en ce qui concerne la place de la France sur le marché mondial de la cosmétique. Certes, en 2024, elle demeure de très loin le plus grand exportateur du monde avec 14,1 % des parts de marché. Elle devance les États-Unis (8,2 %) et l'Allemagne (7,4%), suivie de Singapour (5,2%) qui joue le rôle de plateforme de ré-export. Néanmoins, depuis 20 ans, la position relative de la France dans la compétition mondiale s'est nettement dégradée : en 2004, elle concentrait 20,2 % du marché mondial de la cosmétique. Si l’Hexagone avait maintenu cette position, ses exportations auraient pesé 30 milliards d'euros au lieu de 20 en 2023, selon l'étude Asterès. Las, ce marché qui s'est agrandi a attiré une concurrence de plus en plus nombreuse et aguerrie. De nouveaux venus s'imposent, à l'image de la Corée du sud. Quasiment invisible en 2004, elle a conquis 4,5% du marché mondial. Autre enseignement de l'étude, les USA demeurent le premier pays vers lequel la France exporte ( 2,8 milliards d'euros, soit 12% du total des exportations hexagonales). Ils sont suivis de l'Allemagne (près de 10%), de l'Espagne ( 8%) et de la Chine (8% environ). Au total, l'Europe concentre 48% des exportations françaises de cosmétiques.

Le redoutable privilège de la distinction

Comprendre comment vont évoluer ces marchés étrangers en 2025 est crucial pour le secteur de la cosmétique qui réalise 60% de son chiffre d'affaires à l'export. En Europe, « le secteur cosmétique se situe dans un contexte général de croissance et de consommation molles qui devrait perdurer les prochaines années », résume Sylvain Bersinger. Les perspectives de croissance sont donc pour le moins limitées. C'est aussi le cas pour les pays émergents (Afrique, Asie, Amérique du Sud...) dont les marchés cosmétiques sont de taille réduite – et parfois, avec des définitions de la cosmétique très éloignées des normes européennes. C'est le cas de l'Inde, par exemple, où la France n'exporte qu'à hauteur de quelques milliards d'euros.

En outre, l'évolution économique actuelle de ces pays ne les désignent pas comme « d'importants marchés de relais » pour les années à venir, selon Sylvain Bersinger. Le marché chinois inquiète. Ces 20 dernières années, les importations de cosmétiques s'y étaient envolées, portées par la forte croissance du pays. Mais depuis 2021, la consommation s'est essoufflée, et avec elle, la demande de produits cosmétiques. En 2024, les exportations françaises ont chuté de 10%.

Marc-Antoine Jamet souligne aussi d'autres motifs d'inquiétude. Une tendance idéologique au « China first ». Et sur le plan réglementaire, « les administrations deviennent de plus en plus tatillonnes », ajoute le président de la Cosmetic Valley. Le cas américain est à part. A la base, la consommation des ménages y est dynamique, tout comme le marché des cosmétiques. La France représente 20% des importations du pays. Donald Trump, avec ses annonces de guerre commerciale, met-il cette situation en péril ? Sylvain Bersinger explique ne pas redouter « un effondrement » des ventes françaises de cosmétiques, dans le cas où Donald Trump érigerait des barrières douanières de l'ordre de 10% sur tous les produits. La mesure impacterait l'ensemble des concurrents sur un marché où la demande est peu sensible aux variations de prix. En revanche, « le scénario le plus noir pour les cosmétiques français serait d'être spécifiquement pris à partie par Donald Trump, avec la mise en place de droits de douane ciblés. Or, souvent, dans ce type de confrontation, on s'en prend à des produits emblématiques, ce que sont les cosmétiques », alerte Sylvain Bersinger. Par ailleurs, l'économiste met en garde contre les effets de traîne de la stratégie trumpienne qui pourrait faire des adeptes des barrières douanières : « Les cosmétiques sont très exposés à l'export , un monde qui se fragmente et se ferme représente un réel risque à plus long terme ».