François Hollande, le port et la Jungle

Le président de la République François Hollande a lancé le chantier du projet Calais port 2015, le 26 septembre dernier à Calais. Ce projet vise à réaliser un nouveau bassin, à installer de nouvelles infrastructures qui doivent répondre à l'accroissement du marché et des nouveaux navires. Attendu à Calais depuis plusieurs mois par les acteurs économiques et politiques, il a réaffirmé la promesse de son ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve,de fermer le camp de la Lande avant la fin de l'année «de manière complète et définitive». p

« Les opérations d'enrochement pour la nouvelle digue utilisent les matières extraites aux Carrières du Boulonais ».
« Les opérations d'enrochement pour la nouvelle digue utilisent les matières extraites aux Carrières du Boulonais ».
L’angle de la visite aurait pu être l’emploi au moment où les chiffres du mois d’août étaient connus : +1,4% de chômeurs de catégorie A en France. A Calais, ils sont toujours au-dessus de 20% de la population active. Mais le déplacement d’une demi-journée de François Hollande avait pour visée première de lancer les travaux de Calais port 2015. Un sujet qui s’insère dans la problématique migratoire que connaît le Calaisis depuis plus de 15 ans et qui a pris des proportions considérables depuis le début de l’été : 7 000, 9 000, 11 000 migrants sur la Lande, à l’ouest de Calais, ralentissent les trafics le long de la rocade portuaire et pénètrent sur le site portuaire qui connaît les plus gros travaux de son histoire. Avec des répercussions d’importance : alors que le tunnel sous la Manche voit son trafic fret croître de 10%, celui du port n’affiche qu’1,5%… Certes, à Dunkerque, la situation est tout aussi critique, même si le port n’a étonnamment donné aucun chiffre depuis des mois, mais «à Calais, on a perdu 1 million de voyageurs en 2015», lâche Jean-Marc Puissesseau. Dans un marché transmanche qui croît de 5% en moyenne, le port de Calais est très impacté : «l’image » martèlent les acteurs économiques et politiques. L’image des migrants attaquant la rocade dissuade en effet les transporteurs, les donneurs d’ordre et les touristes. Les nouveaux contrats migrent vers Dunkerque et la Belgique. Le camp de la Lande et ses débordements sont devenus un risque pour le port et perturbe les positions établies avec Dunkerque. Le roulier n’est désormais plus l’apanage de Calais. Malgré un camp de migrants en bordure d’autoroute à Grande-Synthe, l’impact semble beaucoup moins fort, même si des passages sont attestés à Loon-Plage. Présent au côté de François Hollande, Xavier Bertrand a avancé quelques idées, dont celle de rassembler toutes les entités portuaires de la Côte d’Opale avec le Tunnel sous la houlette d’un commissaire qui serait nommé avant la fin de l’année. François Hollande n’est cependant pas venu les mains vides : il a rappelé l’ampleur du contrat de territoire signé en novembre dernier, marquant la solidarité nationale avec la situation migratoire à Calais (un contrat de 150 millions d’euros…). François Hollande a aussi fait quelques annonces, comme l’allongement de la piste d’aéroport de Marck, doublée de la réalisation d’une desserte digne de ce nom (pour 2 millions d’euros). «C’est gentil, mais on a pas besoin d’accueillir des Airbus à Marck. Il n’y a pas de marché», a réagi un édile local.

Un démantèlement complet et définitif. Si les transporteurs avaient déjà eu confirmation du démantèlement de la Jungle avant la fin de l’année par Bernard Cazeneuve lors de son dernier déplacement, la parole présidentielle est venue lever la plupart des doutes. Le camp sera totalement et définitivement démantelé, et l’Etat empêchera toute réinstallation. La rocade continuera d’être surveillée. «On mettra autant de policiers qu’il faudra», a déclaré le chef de l’Etat devant les gendarmes de Calais. Car, si les départ en bus des migrants sont réguliers, il y a plus d’arrivées que de départs : la France a beau avoir resserré ses contrôles aux frontières avec l’Italie, les migrants prennent d’autres routes. Pour empêcher toute réinstallation, il faudra donc «occuper le terrain». On devine qu’un projet structurant arrivera sur la zone des Dunes et le périmètre de la Lande, au moment où l’usine Tioxide prépare son départ et où Synthexim migre vers le site de Calaire chimie, acquis il y a près de trois ans. La zone industrielle est-elle amenée à changer de nature et à accueillir le projet d’Héroic Land ou un autre ?

Mur ou pas mur ? Le démantèlement aura un impact sur l’image du territoire. Sur le site d’Eurotunnel, l’installation de barrières a laissé place à une renaturation des espaces… avec plus ou moins de succès. L’aspect «camp retranché» pèse. Quid du port ? Si les 32 km de barrières et de barbelés ont suffi à tarir les passages, un mur longeant la rocade est-il encore nécessaire ? Le débat fait déjà rage au plan local : le président de la Société d’exploitation des ports du Détroit, Jean-Marc Puissesseau, a lancé les travaux depuis plusieurs jours, alors que Natacha Bouchart menace de prendre un arrêté stoppant les travaux sur la base d’arguments relatifs au Code de l’environnement et de l’urbanisme. «Ne comptez pas sur moi pour laisser fleurir des murs et des barbelés sur la Côte d’Opale», l’a confortée Xavier Bertrand. En réunion avec les Calaisiens, le chef de l’Etat a réfléchi tout haut à une suspension des travaux, le temps du démantèlement, revendication principale du maire de Calais. Depuis, les travaux se poursuivent sur la rocade…

Tout en même tempsAu pied du trait de côte, d’autres travaux avancent plus vite : «on a fait 650 mètres sur 3,3 km», indique Martin, chef d’équipe, devant sa pelleteuse et ses blocs de béton en X qui s’empilent dans les flots. Une usine de fabrication a été spécialement construite et fournit la matière au plus près du chantier. «Dans quelque temps, on en sortira une quarantaine par jour», indique un cadre de Bouygues. La première phase des travaux de la digue totalise 700 000 m³ de roche sous les blocs de béton. «Il y aura 4 millions de mètres cubes en tout», ajoute le cadre. La construction de cet ouvrage a intégré le réchauffement climatique (+ 1 m), et une marée centennale (une majoration de 20%, soit 12 m de hauteur de houle).

François Hollande est reparti rapidement de Calais, mais a promis de revenir début 2017 pour constater les résultats. La campagne présidentielle sera sur le point de commencer. Et sur le chantier, les plongeurs de Cherbourg continueront de sortir quelques tonnes de munitions rouillées.

 

Légendes photos (sur FTP)

Port Calais 1 : 

Le déplacement de François Hollande avait pour visée première de lancer les travaux de Calais port 2015.

 

Port Calais 2 :

Jean-Marc Puissesseau, président de la Société d’exploitation des ports du Détroit, avec le président de la République.

 

Port Calais 3 :

Xavier Bertrand a avancé l’idée de rassembler toutes les entités portuaires de la Côte d’Opale.

 

Encadré

Repères

Avec son futur triple terminal, ses 65 nouveaux hectares de terre-pleins, sa digue de 3,3 kilomètres de long, ses 3 nouveaux postes à quai, le port de Calais vit un agrandissement énorme. «Il répond à la croissance du trafic transmanche de 40% d’ici 2040, à l’augmentation de la taille des ferries (jusqu’à 240 mètres), au développement du report modal et aux nouvelles normes environnementales internationales», expliquent les brochures de la Société d’exploitation des ports du Détroit. Celle-ci a confié au groupement des constructeurs, composé de Bouygues, Spie Batignoles et de Sodraco International pour les travaux en mer, la réalisation des travaux qui s’étaleront jusqu’à la fin de l’année 2020. La livraison est attendue en janvier 2021. Le projet coûtera 780 millions d’euros.

 

Morgan RAILANE