François Baroin, président de l'AMF : «Les maires ont la volonté farouche de protéger leur population»
Plusieurs fois député et ministre, François Baroin est actuellement avocat, maire de Troyes et président de l'Association des maires de France. Il est au contact de tous ces élus locaux, en première ligne depuis le début de la crise sanitaire, et largement sollicités pour mener à bien la campagne de vaccination censée libérer le pays de cette terrible pandémie.
Comment se positionnent aujourd'hui les maires dans la crise sanitaire ?
Nous vivons depuis maintenant plus d'un an dans un cadre juridique très particulier. Certes la compétence sanitaire est sous l'autorité de l'État, mais le Parlement a voté un cadre dérogatoire au droit commun très spectaculaire et très inédit, qui s'appelle l'état d'urgence sanitaire, de telle sorte que les maires ont perdu leur pouvoir de police propre et agissent dans le cadre de cette épidémie comme des agents de l'État, au service d'une politique qu'ils ne définissent pas, qu'ils ne contrôlent pas et qu'ils se doivent d'appliquer.
C'est un exercice assez inédit. Ça ne les empêche pas d'être agiles, de prendre des initiatives, de protéger le mieux possible leur population. On l'a vu avec les masques, des maires ont été réactifs, comme l'AMF elle-même, pour combler les défaillances de l'État en matière d'approvisionnement. On l'a vu avec les tests que les maires ont mis à disposition des lieux qu'ils ont «armés», comme on dit administrativement, pour permettre le plus de tests possibles parmi la population. On le voit aujourd'hui encore, avec le début chaotique de la campagne de vaccination. Les maires ont mis à la disposition de l'État des lieux, des centres, des agents. Ils ont aussi complété les dispositifs téléphoniques pour la prise de rendez-vous.
Les maires sont donc dans un état d'esprit de grande responsabilité, avec une volonté farouche de protéger leurs administrés, de se faire entendre sur des sujets qu'ils voient au quotidien, bien mieux que les autres, et qu'ils contestent parfois à juste titre. C'est notamment l'ultra-centralisation, le fait que cette guerre contre la Covid-19 est d'abord et avant tout logistique. Ils souhaiteraient voir intervenir des professionnels de logistique et non pas le ministère de la Santé qui, lui, est un ministère compétent dont la compétence est de produire des normes et de faire des régulations budgétaires, mais qui n'est pas compétent en matière de logistique. C'est le cœur du sujet qui anime aujourd'hui les débats entre les maires et l'État.
«L'État est "obèse" à Paris. Il est "famélique et squelettique" dans les territoires»
Les
maires se battent pour une plus grande possibilité d'action.
Pensez-vous que la place de la collectivité territoriale devrait
être plus importante ?
J'ai probablement été l'un des premiers à plaider, depuis que j'ai pris la présidence des maires de France, il y a bientôt sept ans, pour une très grande loi de libertés locales. «Décentralisation» est un terme un peu technique. Il ne parle pas trop aux gens. On voit à peu près l'idée de liberté locale et on doit récupérer des compétences que l'État ne peut plus exercer.
Le postulat, alors que je suis gaulliste et que j'ai un attachement profond à l'État, c'est que si on veut sauver l'Etat dans l'exercice de ses responsabilités pour lesquelles il est attendu - la sécurité et la défense, la diplomatie, la justice, les sujets régaliens -, il doit s'alléger. Il n'a plus les moyens d'être présent partout. L'État est «obèse» à Paris. Il est «famélique et squelettique» dans les territoires. Il y a beaucoup de secteurs, comme le domaine de la santé où l'ultra-centralisation montre les limites de l'exercice et même les défaillances qui peuvent être criantes. De ce point de vue, il faudra tirer les conséquences de la Covid 19. Nous plaidons donc pour que les présidents de régions coprésident les agences régionales de santé si elles demeurent et pour que les autres niveaux de collectivités locales y soient correctement représentés. Nous plaidons aussi pour que le président du conseil de surveillance de l'hôpital redevienne le président du conseil d'administration. C'est souvent le maire en place qui devrait le faire, pour avoir une vraie maîtrise. Dans ce rôle, il pourra vraiment être un animateur de rapprochement entre le public et le privé.
La même réflexion nous anime sur le transfert du médicosocial aux départements. Et quand on dit transfert, c'est transfert d'effectif, de moyens budgétaires et, évidemment, d'exercice de compétences. L'État disparaîtra en quelque sorte ou, en tout cas, s'effacera très largement pour laisser soit aux régions, soit aux départements, soit aux communes, le soin d'exercer de nouvelles compétences à différents échelons. Par exemple, ce sont les communes qui financent le sport. Il faut donc leur transférer les effectifs et les moyens. Ce sont également les communes qui financent la culture, que ce soit l'entretien du patrimoine, l'égal accès pour tous à la culture et l'aide à la création.
Il faut aussi donner aux collectivités locales la possibilité d'exercer un peu plus et un peu mieux. Le même esprit nous anime sur le tourisme comme sur le logement. Bref, c'est un projet de grande envergure, parce que ma conviction est que le statu quo n'est plus possible, sauf à avoir un accident de parcours un jour ou l'autre sur le plan démocratique.
Devrions-nous garder le département qui nous vient de la Révolution ?
Je suis attaché aux départements, mais il nous faut réfléchir à un nouveau modèle d'organisation des pouvoirs publics locaux et des libertés qui y sont attachées. Cela ne peut pas être un modèle fédéral parce que ce n'est pas l'Histoire de notre pays et, qu'au fond, cela n'a pas vraiment marqué d'une empreinte psychologique la nation française. En revanche, la décentralisation est acquise dans l'esprit des gens, mais pas dans l'esprit d'une bonne part des hauts fonctionnaires qui dirigent les ministères. C'est un problème culturel. Donc, il faut imaginer un modèle. Il faut naturellement des représentants de l'État dans chaque département. Il faut leur donner plus de pouvoirs. Je suis favorable à ce que les préfets récupèrent une autorité naturelle sur toutes les administrations parce qu'on a besoin d'un partenaire fort. Nous avons un partenaire faible, qui a très peu d'effectifs, qui a assez peu de moyens budgétaires et qui, en réalité, décline une production de normes qui est un élément de contrainte et bloquant, plus que de libertés locales. Donc, il faut trouver ce juste équilibre. Il faut trouver relativement vite parce qu'il y a des forces centrifuges dans notre pays qui peuvent dilater le modèle et créer des tensions supplémentaires. Donc, il vaut mieux que l'État s'approprie ce débat, plutôt que de le subir et d'être sur la défensive.
Aujourd'hui, on est en pleine crise sanitaire, demain une crise écologique nous guette peut-être… Quelle devrait être la place des collectivités pour mieux gérer ce challenge écologique ?
La protection de l'environnement n'est pas une question d'engagement politique doctrinaire. C'est une question de compréhension de la réalité de ce que souhaite la société. Il n'y a pas un maire, qu'il soit de droite ou de gauche, qui n'intègre pas cette problématique depuis très longtemps. C'est vrai sur le tri sélectif, c'est vrai sur l'eau, c'est vrai sur la qualité des transports publics, c'est vrai sur l'utilisation des déchets ultimes. Et au fond, toutes les novations portées au niveau national viennent du terrain, viennent du coin de la rue. Elles viennent souvent d'initiatives de maires.
Nous avons devant nous deux sujets très importants. Tout d'abord l'eau. Un besoin d'investissement très important est devant nous, puisque les nappes phréatiques sont en train de baisser. Il y aura des rendez-vous pour refaire les zones de captage, investir lourdement pour garantir la qualité de l'eau, son acheminement, son approvisionnement et la problématique des déchets. Il y a aussi la problématique de l'aménagement de zones aérées végétales, avec des points d'eau pendant les périodes caniculaires que nous affrontons quasiment chaque année.
Personne
ne peut faire l'économie aujourd'hui d'une priorité autour de la
protection de l'environnement. Cela se lit aussi dans les politiques
d'investissement, auprès des bailleurs sociaux, dans la
réhabilitation et dans l'utilisation de filières naturelles et
renouvelables, hors utilisation des énergies fossiles. Bref, toute
la chaîne est aujourd'hui revisitée. Cela se voit pour la
restauration scolaire, dans les circuits courts où, de plus en plus,
on favorise l'accompagnement de maraîchers locaux, de jardins
ouvriers et de productions locales, avec un très faible bilan
carbone, pour le transport. Tout cela fait partie de notre quotidien,
de notre culture, de notre évidence.
Boris
Stoykov – Affiches Parisiennes pour RésoHebdoEco –
www.reso-hebdo-eco.com