Flambée des prix et pénurie de matières premières : Bercy guide les acheteurs publics
Dans une « fiche technique » datée du 18 février, la direction des Affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’Economie invite l’ensemble des acheteurs publics, y compris les collectivités locales, à adapter leurs pratiques à la situation des titulaires de marchés publics impactés par la flambée des prix et le risque de pénurie de matières premières, concernant, notamment, les délais d’exécution et les pénalités de retard.
Effet retardataire de la crise sanitaire, ou conséquence de tensions géopolitiques, depuis plusieurs mois, de nombreux secteurs économiques (automobile, informatique, industrie agroalimentaire, BTP, métallurgie, chimie ou encore le mobilier) sont particulièrement touchés par des tensions d’approvisionnement qui se traduisent par un renchérissement important des coûts et un allongement des délais de livraison. Inévitablement, les marchés publics sont sensibles à ces variations, de sorte que Bercy a pris l’initiative de conseiller l’ensemble des acheteurs publics face à ce phénomène.
Pour les projets de marchés à passer
Pour les marchés à passer, la DAJ attire particulièrement l’attention des acheteurs sur le prix. En effet, l’article R. 2112-13 du Code de la commande publique prévoit que les marchés publics doivent être conclus à prix révisables lorsque les prestations sur lesquelles ils portent sont exposées à des aléas majeurs. En réalité, le Conseil d’Etat a même jugé que la méconnaissance de cette obligation constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 9 décembre 2009, n° 328803).
Il convient donc, lorsqu’un acheteur souhaite passer un marché potentiellement soumis à « des aléas majeurs » de prix, d’insérer dans le contrat une « clause de révision » devant obligatoirement fixer la date d’établissement du prix initial, les modalités de calcul de la révision, ainsi que la périodicité de la révision des prix. Sur ce point, la DAJ met en garde les acheteurs : « si des marchés ont été conclus sans respecter cette obligation et que des difficultés surviennent en cours d’exécution du contrat, du fait de fortes fluctuations, l’acheteur est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle ».
Pour les contrats en cours d’exécution
En ce qui concerne les marchés déjà conclus, la situation est autrement plus inconfortable pour les titulaires, qui ne disposent pas vraiment de moyens importants pour se défendre, face à une administration qui n’entendrait pas ménager de quelconques arrangements.
Dans sa fiche technique, la DAJ explique, d’abord, que les acheteurs publics ont toujours la possibilité d’aménager les délais d’exécution des marchés publics, lorsque des circonstances extérieures mettent le titulaire dans l’impossibilité de les respecter. Plus précisément, les délais d’exécution peuvent être suspendus ou prolongés. Cette suspension ou prolongation peut d’ailleurs être prévue dans le contrat, comme l’indiquent les différents cahiers des clauses administratives générales (CCAG).
Ainsi, dès lors que le titulaire du contrat démontre qu’il n’est pas en mesure de respecter certains délais d’exécution, ou que l’exécution des prestations encadrées par ces délais entraînerait pour lui un surcoût manifestement excessif, il lui est possible de solliciter l’autorité contractante, afin d’obtenir la prolongation de ces délais. Bien que la suspension ou la prolongation ne soient pas de droit, Bercy invite solennellement les acheteurs à accéder à ces demandes, lorsqu’elles sont formulées en rapport avec la flambée des prix ou la pénurie de matières premières.
Ensuite, ainsi que l’a d’ailleurs rappelé le Conseil d’État, en 2018 : « la personne publique n'est pas tenue de faire application des pénalités de retard et le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, peut, à titre exceptionnel, modérer ou augmenter les pénalités résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté » (CE, 9 nov. 2018, n° 413533).
Ainsi, parallèlement à l’aménagement des délais d’exécution, ce pouvoir de sanction n’étant qu’une simple faculté, Bercy invite, là encore, les acheteurs publics à ne pas appliquer ces pénalités de retard.
Enfin, en ce qui concerne le prix du contrat, les choses sont plus complexes et le droit, encore moins favorable au titulaire. En effet, la DAJ rappelle que le prix est un élément « intangible » du marché et qu’il constitue même un « élément essentiel de la détermination des offres remises par les candidats ».
Il est vrai qu’en cas de bouleversement temporaire de « l’économie du contrat », le cocontractant de l’administration n’aurait droit qu’à une indemnisation sur le fondement de la très restrictive théorie de l’imprévision. En aucun cas, ce dernier ne pourrait cesser l’exécution du marché de sa propre initiative. En outre, de jurisprudence constante, l’indemnisation éventuellement accordée ne peut couvrir exactement les surcoûts engendrés par le bouleversement en cause.
En tout état de cause, les parties peuvent également modifier le contrat par la passation d’un avenant. Attention, toutefois au risque contentieux d’une telle pratique au travers de laquelle le juge administratif pourrait être tenté de voir une manœuvre de l’administration.