Finances publiques : la Rue Cambon règle les comptes

Dans son dernier rapport public annuel, la Cour des comptes se montre dubitative sur la capacité du gouvernement français à réduire le déficit public… 

C’est un marronnier que guettent tous les observateurs de la vie publique : la publication du rapport de la Cour des comptes, qui étrille chaque année la gestion des fonds publics. L’édition 2016 ne manque d’ailleurs pas d’être aussi acide que les précédentes, avec force exemples de gabegie de l’argent public…

Un risque de dépassement des dépenses publiques. Le projet de loi de finances 2016 a été construit, comme à chaque fois, avec des hypothèses très optimistes de croissance, d’inflation et de maîtrise des dépenses publiques. Mais la Cour des comptes estime que l’inflation sera en fait plus faible qu’escomptée, ce qui l’amène à juger les prévisions de recettes du gouvernement surestimées. En matière de dépenses, elle note “des risques réels de dépassement des prévisions”, tant dans les dépenses proprement dites de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales, que dans les économies prévues. Ainsi, les opérations extérieures des forces armées (Opex) sontelles régulièrement montrées du doigt en raison de l’envolée non budgétée de leur coût, à l’instar de nombreuses dépenses sociales, comme l’allocation adulte handicapé (AAH). Par ailleurs, cette année, dans la série dépenses non financées, se rajoutent les moyens supplémentaires de sécurité liés aux attentats, ainsi que le Plan d’urgence pour l’emploi annoncé par le président de la République. Quant à la nouvelle Prime d’activité, née de la fusion entre le RSA activité et la Prime pour l’emploi, elle rencontre un “succès” foudroyant qui menace de faire exploser l’enveloppe allouée de 4 milliards d’euros.

La gabegie de l’argent public. Le rapport de la Cour est aussi l’occasion de médiatiser certains gaspillages criants de l’argent public. Dans le cru 2016, on trouve ainsi une apostrophe à Carcassonne Agglo, dont elle note la flambée des coûts de gestion, une pique à la fusion Veolia-Transdev, qualifiée “d’échec économique et financier à court terme”, une pierre au réseau trop vétuste des transports en Île-de-France, etc. Suivent également des missiles tous azimuts tirés depuis la rue Cambon, visant notamment une piste de ski couverte en Moselle qui est un gouffre financier, des grands théâtres nationaux qui coûtent trop cher et un Institut français du cheval réputé inadapté et coûteux.

Des doutes sur la réduction du déficit public. Certes, le déficit public de l’année 2015 devrait être légèrement meilleur que les 3,8% du PIB prévus, mais l’amélioration reste trop lente aux yeux des magistrats financiers. Et ce, d’autant plus que la France bénéficie depuis quelques mois d’une dépréciation de l’euro, d’un niveau très bas des taux d’intérêt et d’une chute des prix du pétrole. Dès lors, l’objectif d’un déficit public réduit à 3,3% du PIB en 2016, pour ensuite descendre sous la barre fatidique des 3% en 2017 ou 2018, est jugé bien incertain… Mais, à force de se concentrer uniquement sur la dynamique des chiffres, la Cour des comptes paraît oublier la dynamique économique qui sous-tend l’exercice budgétaire public. En effet, couper dans les dépenses publiques a nécessairement une influence sur l’activité, puisque ce ne sont pas uniquement quelques dépenses de fonctionnement inutiles qui sont coupées, mais également celles d’intervention et d’investissement. Or, si l’État réduit fortement la partie de ses dépenses publiques consacrée aux subventions et allocations, alors les bénéficiaires consommeront et investiront moins, comme c’est déjà le cas pour les collectivités territoriales depuis la baisse des dotations. Avec pour conséquences de moindres rentrées fiscales pour l’État et la nécessité de prendre de nouvelles mesures d’austérité l’année suivante. Le problème est que ces politiques drastiques de réduction des déficits publics sont appliquées en même temps par quasiment tous les États de l’Union européenne, afin de respecter coûte que coûte ce qui reste du Pacte de stabilité et de croissance, quitte à sacrifier la demande intérieure. Évidemment, cela conduit à une croissance atone au sein de l’UE et à un chômage endémique dans de nombreux pays (24,5% en Grèce, 20,8% en Espagne, etc.). Ce n’est qu’avec le retour de la croissance que les gouvernements pourront espérer réduire efficacement les déficits publics. Quant à l’Allemagne, elle est certes le seul Etat à présenter un budget à l’équilibre, mais au prix d’un sous-investissement public chronique depuis deux décennies, comme l’a rappelé récemment Marcel Fratzscher, chef de l’institut économique allemand DIW.

Raphaël DIDIER