Ecologie
Finance et climat, même combat ?
Financer la – coûteuse- transition écologique constitue un véritable défi pour les entreprises. Le monde financier est-il prêt à les accompagner ? Témoignages, lors de la « Journée des entreprises » de la délégation aux Entreprises du Sénat.

Les deux sont-ils réellement compatibles ? Le 20 mars, une table-ronde était consacrée aux« défis de l'entreprise de demain : financement et climat », dans le cadre de la 8 ème « Journée des entreprises », organisée par la délégation aux Entreprises du Sénat, à Paris. Le défi, c'est précisément de trouver des financements qui aillent dans le sens de la transition écologique de l'entreprise, à en suivre le témoignage de Sophie Sidos-Vicat, vice-présidente de la holding du groupe Vicat, spécialiste grenoblois du ciment (10 000 collaborateurs dans le monde). Pourtant, la volonté ne manque pas : « nous avons toujours été en pleine décarbonation », affirme Sophie Sidos-Vicat. Par exemple, la société s'efforce de consommer moins d'énergie fossile en utilisant des combustibles secondaires ( comme des pneus concassés). Ou alors, en mettant moins de calcaire. Mais, il est une autre démarche que l'entreprise voudrait généraliser : « Une cimenterie, lorsque l'on chauffe du calcaire, cela produit du CO2. Notre rêve, c'est de capter le CO2 pour le transformer », explique Sophie Sidos-Vicat. La solution permettrait de produire des carburants alternatifs.
Mais c'est là que les problèmes de financement commencent, les projets étant extrêmement coûteux (un milliard d'euros ). Pour la France, « Nous avons déposé un dossier avec France 2030, nous avons eu zéro », témoigne Sophie Sidos-Vicat. Une autre tentative de demande de financement au niveau européen s'est soldée par un échec. « Je ne comprends pas , je ne sais pas quoi faire », se désole l'entrepreneuse. En revanche, « aux États-Unis, en neuf mois, l'Etat fédéral a proposé 500 millions de dollars pour décarboner notre usine californienne », souligne-t-elle.
Pour la France, la solution se trouve peut être du côté de France Invest, association qui regroupe des capitaux investisseurs. C'est du moins l'avis de Caroline Steil, sa directrice juridique et fiscale. Des projets comme celui de la captation de carbone, « c'est typiquement ce que font les sociétés de gestion qui se sont dédiées à l'impact ou qui ont créé des fonds à coloration environnementale. (…) Ils s'engagent à faire des bilans carbone dans les entreprises où ils investissent, à dessiner des trajectoire pour les accompagner dans cette transition », explique-t-elle. Par exemple, en augmentant le recyclage des eaux utilisées dans l'industrie, ou en limitant l'impact sur l'environnement direct des sites de production...
« Détecter des innovations »
De manière plus générale, France Invest regroupe des professionnels de la finance qui interviennent à tous les stades de la vie d'une entreprise. Au total, ils lèvent 50 milliards d'euros par an. « Nous accompagnons des PME et des ETI dans tous les secteurs, sur le plan financier, et aussi, pour relever les défis de la transition écologique, de l'IA. (…) On vient nous voir lorsqu'on a un projet un peu ambitieux », résume Caroline Steil. Et pour cette professionnelle de la finance, les nouveaux paramètres liés au climat font maintenant partie intégrante de l'équation : « nous sommes persuadés que la valorisation des entreprises et donc, notre participation, passera par l'amélioration des critères extra-financiers, par la réduction de l'empreinte carbone, de la consommation en eau ou en énergie qui réduisent les marges des entreprises », plaide Caroline Steil.
Dans le panorama des acteurs du financement, depuis 2020, il en est même un qui s'est fixé comme objectif d'agir en faveur du climat : Team for the Planet travaille à « détecter des innovations » susceptibles d'avoir un effet positif important sur le climat, explique Emma Scribe, directrice grands investisseurs. La structure agit en capital amorçage, en début de projet, et elle apporte des compétences entrepreneuriales aux initiateurs de projet. Soutenu par quelque 130 000 actionnaires, Team for the Planet contribue actuellement au développement de 14 entreprises, à hauteur de 28 millions d'euros. Elle a par exemple investi dans un projet qui s'attaque aux effets néfastes sur l'environnement de la marine marchande, dont les 100 000 bateaux utilisent un carburant particulièrement polluant. En 2022, Team for the planet est entré au capital de la société Beyond the sea dont elle détient 17,63%, ( 2,5 millions d'euros ). Fondée en 2014 par Yves Parlier, navigateur du Vendée Globe, l'entreprise porte un projet qui devrait permettre de réduire de 20% la consommation de combustible d'un bateau marchand : un système de traction vélique placé très au dessus du bateau, là où les vents sont très puissants, et qui serait pilotée par une intelligence artificielle. « C'est extrêmement prometteur », estime Emma Scribe qui se réjouit de l'ampleur prise par le projet ( qui n'est pas encore dans sa phase de commercialisation) : aujourd'hui, la société compte une cinquantaine de personnes . « Ils travaillent avec des armateurs et la Marine nationale... (…). On voit qu'accompagner les entreprises sur la durée, trouver des effets de levier via Bipfrance et d'autres acteurs sur le territoire français, c'est extrêmement puissant, et c'est déterminant pour le tissu industriel français », explique-t-elle. Reste à trouver des investisseurs pour les projets, comme ceux portés par le groupe Vicat...
D'immenses besoins
Les estimations varient, mais elles sont toutes vertigineuses. Par exemple, selon le rapport Pisani-Ferry ( 2023), pour atteindre la neutralité carbone, 66 milliards d'euros devraient être investis chaque année, d’ici à 2030. Selon Rexecode (2022) les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone impliquent des investissements annuels qui peuvent aller jusqu'à 80 milliards d'euros, dont les deux tiers concerneraient les entreprises.