Enfin du neuf et de l’efficace en matière de lutte contre la corruption ?

Le projet de loi prévoit la création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption.
Le projet de loi prévoit la création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption.
D.R.

Le projet de loi prévoit la création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption.

Dire que le projet de loi sapin II, présenté par le gouvernement fin mars, est une déception est un doux euphémisme. Présenté comme une “petite révolution” par le ministre des Finances, il ne constitue en réalité qu’une timide avancée vers un arsenal législatif cohérent et efficace en matière de lutte anticorruption. Etat des lieux d’une réforme en demi‑teinte.

Le projet de loi “relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique” pré
voit la création d’une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption dont la première attribution consistera, notamment, dans l’établissement et la définition d’un plan pluriannuel (lignes directrices) de lutte contre la corruption et la coordination de la position française au sein des instances internationales. L’Agence assumera également un rôle de soutien (au besoin financier) des lanceurs d’alerte. La deuxième attribution consistera en l’émission d’avis sur l’intégrité des cocontractants des personnes publiques. Elle contrôlera et conseillera les institutions publiques sur ces questions. La troisième visera spécifiquement les acteurs économiques, puisque l’organisme émettra des lignes directrices relatives à la nouvelle obligation de prévention de la corruption et contrôlera son respect. Elle aura compétence pour apprécier la validité des plans de prévention et de détection de la corruption mis en œuvre, ainsi que les programmes de mise en conformité. Pour l’accomplissement de ses missions, l’Agence disposera de pouvoirs très étendus : elle pourra entendre toute personne, obtenir tout document et procéder à des vérifications sur place. Elle pourra se faire communiquer des informations sur les décisions de justice, mais aussi sur les procédures en cours, notamment pour formuler des avis sur l’intégrité des cocontractants des personnes publiques.

 

Une obligation de prévention pour les grandes entreprises. Autre mesure, le projet de loi Sapin II instaure une obligation de prévention contre les risques de corruption qui s’imposera aux sociétés employant au moins 500 salariés et à celles appartenant à un groupe employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. Cette obligation concernera environ 1 600 groupes français, selon les chiffres de Bercy. Ces derniers devront prendre des mesures „effectives” destinées à prévenir et détecter la commission,  en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence. Obligation sera donc faite pour les entreprises de se doter d’un véritable programme de compliance anticorruption, comme cela est déjà exigé par la législation américaine (FCPA) et britannique (UK Bribery Act). En cas de manquement, l’Agence nationale de prévention et de détection de la corruption pourra mettre en demeure le contrevenant. A défaut, la commission des sanctions de l’Agence pourra adresser des injonctions de mise en conformité et prononcer des sanctions (jusqu’à 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales, éventuellement assorties de mesures de publication). En outre, une peine complémentaire de mise en conformité est prévue par le nouvel article 131-39-1 du Code pénal, d’une durée de trois ans maximum, qui consistera en une obligation de mettre en œuvre un programme de conformité, sous le contrôle de l’Agence nationale. Cette peine complémentaire pourra être prononcée en cas de condamnation pour des délits de corruption ou de trafic d’influence. En cas de violation de l’obligation de mise en conformité, de lourdes sanctions sont également prévues (deux ans d’emprisonnement et 400 000 euros d’amende pour les personnes physiques ou 2 millions d’ euros pour les personnes morales, ces sanctions pouvant être portées aux montants prévus pour l’infraction à l’origine du prononcé de la peine complémentaire de mise de conformité). 

Pas de transaction pénale. Exit, en revanche, le dispositif très attendu de „transaction pénale”, présenté comme l’une des mesures phares du projet de loi… mais retiré du texte final par le gouvernement, faute d’avoir obtenu le feu vert du Conseil d’État. Ce dispositif devait permettre aux entreprises mises en cause dans des affaires de corruption de payer une amende pour s’éviter un procès – sur le modèle du DPA américain (Defered Prosecution Agreement). Certaines associations, telles que Transparency International, y étaient favorables. Il faut reconnaître que ces types de transactions, très utilisées outre-Atlantique, se sont révélées redoutablement efficaces. Suivant l’exemple américain et anglais, le projet initial
préconisait, par ailleurs, une plus grande indulgence du parquet et du juge pour les sociétés ayant prévu une organisation de la conformité (Compliance Program) en leur sein. Ce dispositif encourageant a aussi été écarté. Si de nombreuses entreprises françaises, soumises aux dispositions du FCPA et du UK Bribery Act, faisaient déjà preuve d’une certaine expérience en matière de compliance, ce texte constitue néanmoins une avancée dans la législation française anticorruption et met à la charge des entreprises de lourdes obligations. Il faudra enfin s’interroger sur les conséquences de ce texte sur les entreprises non directement visées, les ETI et les PME sous-traitantes et partenaires.

Thibaud LEMAÎTRE,  avocat, département règlement des contentieux – thibaud.lemaitre@fidal.com