Energies renouvelables et patrimoine sont-ils compatibles ?
Les éoliennes défigurent-elles forcément les paysages ? Ceux qui les refusent sont-ils nécessairement des rétrogrades butés ? Pour sortir d'un blocage stérile, le réseau Cler qui regroupe des professionnels des énergies renouvelables et du patrimoine propose des pistes.
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Le sujet est sociétalement sensible, au point d'être devenu un brûlot politique. Préservation du patrimoine ( naturel et architectural) et déploiement des EnR, énergies renouvelables, seraient-ils incompatibles ? Le 11 février, le réseau Cler, qui regroupe 300 structures (entreprises, associations, collectivités ) engagées dans la transition énergétique, tenait une conférence de presse en ligne à l'occasion de la publication de son étude intitulée « Accorder énergies renouvelables et patrimoine culturel pour des territoires durables et harmonieux ». Objectif, dresser un état des lieux et avancer des propositions pour sortir d'une situation bloquée dans laquelle « les acteurs des renouvelables jouent en offensive, ceux du patrimoine en défensive », synthétise Christian Couturier, administrateur du réseau Cler.
Toutefois, dans « la très grande majorité des cas », les projets se déroulent bien, selon Robin Dixon, chargé de mission environnement et planification à France renouvelables, syndicat professionnel. La médiatisation des cas problématiques jouerait un effet de loupe. D'autant qu'un volet paysager est inclus dans l'étude d'impact obligatoire pour tout projet d'implantation d'EnR et que les énergéticiens sont de plus en plus nombreux à embaucher des paysagistes, afin de mieux appréhender cette problématique, selon le réseau Cler. Et l'étude fournit des exemples de projets particulièrement aboutis, en matière d'intégration des contraintes liées au patrimoine. L'un d'eux concerne le territoire de la Beauce qui accueille de nombreuses éoliennes depuis les années 2000. Une convention lie l’antenne du Centre-Val de Loire de France renouvelables et les associations de protection du patrimoine rural de la Beauce. L'accord prévoit des contributions financières des énergéticiens pour la rénovation des moulins. Trois d'entre eux l'ont déjà été depuis 2023. A leur abord, un panneau signale aux visiteurs la participation financière de la filière éolienne.
Autre exemple de démarche exemplaire (en cours), celui du territoire du Schéma de cohérence territoriale (ScoT) des Vosges centrales (154 communes) engagé dans la transition énergétique depuis de nombreuses années. Il cherchait à concilier intensification des projets d'EnR et acceptabilité de ces derniers par la population. Pour ce, il s'est doté d'un « plan de paysage transition énergétique », dispositif qui comprend plusieurs volets. Parmi eux, la constitution d'un atlas des paysages et de cartes de sensibilité concernant les EnR, destinés à nourrir la révision du ScoT, prévue en 2026. Mais aussi, la tenue d'ateliers de concertation et l'élaboration d’un guide de recommandations pour accompagner les élus communaux.
Dialogue à tous les étages
En dépit de ces exemples, la situation menace de se tendre, les contraintes se resserrant de toute part. Tout d'abord, atteindre les objectifs en matière d'EnR nécessiterait d'accélérer leur déploiement. « Nous sommes en retard vis à vis des objectifs de développement des EnR, en particulier pour l'éolien et le photovoltaïque », rappelle Robin Dixon. De l'autre coté, en matière de terrains pour l’implantation des EnR , « les solutions les plus simples, celles qui avaient la meilleure acceptabilité sont déjà prises. Cela va devenir de plus en plus compliqué », pointe Robin Dixon. Déjà, aujourd'hui, les recours contre ces projets concernent principalement la biodiversité et les paysages. Selon plusieurs participants à la conférence, le manque de dialogue, de travail commun préalable constitue l'une des explications majeures de ces échecs. « Il est clair que quand il y a eu des difficultés de gestion ou d'acceptation par des habitants ou des professionnels du patrimoine, c'est parce que ce travail commun n'a pas eu lieu. Dans certains cas, l'urgence climatique a conduit à une accélération des procédures de décision qui s'est traduite par un évitement de ces temps de travail partagé », argumente Anne-Catherine Gamerdinger, membre du Collectif Paysages de l’après-pétrole.
Autre témoignage qui va dans le même sens, celui de Gabriel Turquet de Beauregard, membre de l’Association nationale des architectes des bâtiments de France, lesquels sont chargés de donner un avis sur l'intégration des EnR dans les espaces protégés ( 8% du territoire). Pour lui, « l'échange se fait un peu trop tard » dans le déroulé des projets, entre professionnels du patrimoine et ceux des EnR. Un dialogue qui interviendrait plus tôt permettrait d'aboutir à des projets qui ne soient pas « de compromis, mais d'équilibre ». «Il faut que le monde du patrimoine et des EnR se rencontre davantage pour construire un langage commun », conclut Gabriel Turquet de Beauregard.