En France, la stratégie d'influence de l'Azerbaïdjan dans une mauvaise passe

Où sont passés les amis de l'Azerbaïdjan en France? Maniant mécénat et lobbying, le régime autoritaire du Caucase s'était forgé un réseau de soutiens qui s'est évaporé sur fond de conflit avec l'Arménie et...

Le président Emmanuel Macron accueille le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à l'Elysée à Paris, le 20 juillet 2018 © LUDOVIC MARIN
Le président Emmanuel Macron accueille le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev à l'Elysée à Paris, le 20 juillet 2018 © LUDOVIC MARIN

Où sont passés les amis de l'Azerbaïdjan en France? Maniant mécénat et lobbying, le régime autoritaire du Caucase s'était forgé un réseau de soutiens qui s'est évaporé sur fond de conflit avec l'Arménie et de tensions diplomatiques entre Paris et Bakou.

Rachida Dati en était la plus illustre figure. En 2015, l'ex-ministre sarkozyste voyait dans l'Azerbaïdjan un possible "exemple" de tolérance religieuse "pour le monde entier" et encourageait le dialogue avec Ilham Aliyev, qui dirige d'une main de fer cette ex-République soviétique depuis vingt ans et brigue un nouveau mandat mercredi.

"Allons voir (les dirigeants azerbaïdjanais, NDLR) pour les convaincre, au lieu de les condamner, par paresse et facilité intellectuelle!", écrivait celle qui était alors membre de l'Association des amis de l'Azerbaïdjan, composée d'élus, et s'était rendue plusieurs fois à Bakou.

Redevenue ministre en janvier, l'édile parisienne prend aujourd'hui ses distances. "Il y a une campagne visant à établir qu'elle aurait des liens avec l'Azerbaïdjan mais c’est faux. Elle nie toute relation particulière, rémunérée avec l'Azerbaïdjan", dit à l'AFP son avocat Basile Ader. 

C'est que le pays, riche en hydrocarbures et niché au carrefour de l'Europe et de l'Asie, n'a plus bonne presse.

La reconquête par Bakou de son territoire du Karabakh, amorcée lors d'un conflit meurtrier en 2020 avec l'Arménie et scellée au cours d'une offensive éclair en septembre 2023, a contraint à l'exil quelque 100.000 Arméniens, alimentant des accusations de "nettoyage ethnique" de Paris et ternissant l'image du pays.

Bakou nie catégoriquement de telles accusations, affirmant qu’il avait promis de garantir la protections des droits de la population arménienne du Karabakh.

La France, qui abrite la plus grande communauté arménienne d'Europe, a apporté dans ce conflit un soutien inconditionnel à Erevan, allant jusqu'à annoncer fin novembre une livraison d'armes défensives à l'Arménie, à la colère de Bakou.

"Depuis la guerre de libération (du Karabakh, NDLR), la France a pris parti contre l'Azerbaïdjan et adopté une position déséquilibrée", affirme à l'AFP l'ambassadrice de Bakou en France Leyla Abdullayeva.

Les frictions n'ont ensuite cessé de s'accumuler entre les deux pays: expulsions réciproques de diplomates, Français détenu en Azerbaïdjan pour "espionnage"...

En novembre, la France a accusé Bakou d'être derrière une opération de désinformation mettant en doute sa capacité à organiser les JO. Et cette campagne se poursuit actuellement sur les réseaux sociaux via de nouveaux comptes, dont certains pro-AKP, le parti du président turc Recep Tayyip Erdogan, a appris l'AFP de source proche du dossier.

Vrai visage

Dans ce climat, les relais de l'Azerbaïdjan en France se font discrets.

Au Parlement, les groupes d’amitié France-Azerbaïdjan ont été récemment mis en sommeil. "Le pays voulait redorer son image mais cette démarche n'a pu qu’être annihilée par la politique du président azerbaïdjanais vis-à vis de l'Arménie", explique à l'AFP le député de droite Pierre Vatin, qui préside ce groupe à l'Assemblée.

Autre signe des temps, une résolution au Sénat condamnant l'offensive de Bakou au Karabakh a été votée mi-janvier à l'unanimité moins une voix, celle de la sénatrice centriste Nathalie Goulet qui déplore la lecture "civilisationnelle" de cette guerre, promue par la droite conservatrice et l'extrême droite.

"Le conflit est devenu: +les méchants musulmans (d'Azerbaïdjan) contre les gentils chrétiens d'Orient" en Arménie, regrette-t-elle auprès de l'AFP. "Il n'y a plus rien à faire". 

Les partenariats au niveau local ont également vécu.

Au tournant des années 2010, Bakou avait joué un rôle de mécène culturel, débloquant 40.000 euros pour restaurer des vitraux de la cathédrale de Strasbourg (Nord-Est) ou 150.000 euros pour rénover l'Orangerie à Cognac (Sud-Ouest). 

Le maire de cette dernière agglomération à l'époque, Michel Gourinchas (ex-PS), reconnaît auprès de l'AFP que "l'Azerbaïdjan n'est pas un modèle de démocratie" mais assure avoir utilisé ce partenariat pour freiner l'utilisation indue de l'appellation Cognac. Son successeur à la mairie y a toutefois mis un terme.

"Il est désormais très difficile en France de défendre ce pays qui a montré son vrai visage au Karabakh", se félicite Ara Toranian, représentant d'organisations arméniennes en France.

Campagne de dénigrement

L'ambassadrice Leyla Abdullayeva récuse cette vision et impute la désaffection vis-à-vis de son pays à une "campagne de dénigrement" orchestrée selon elle par des "membres radicaux de la communauté arménienne".

Selon le président de l'Association des amis de l'Azerbaïdjan, l'ex-député PS Jérôme Lambert, la France aurait pourtant "tout intérêt à avoir des bonnes relations avec ce pays charnière" entre Europe et Asie.

Pour polir son image, l'Azerbaïdjan doit aussi lutter contre des accusations de corruption: Bakou est notamment soupçonné d'avoir, dans les années 2010, accordé ses largesses à des parlementaires du Conseil de l'Europe pour éviter d'être épinglé sur le respect des droits humains. 

Ce scandale de la "diplomatie du caviar" a secoué l'institution dont un rapport de 2018 a mis en évidence "de forts soupçons" de corruption. Deux ex-députés allemands viennent d'être inculpés outre-Rhin dans cette affaire.

"C'était une opération rentable pour l'Azerbaïdjan qui s'est assuré pendant longtemps l'approbation d'une des principales institutions des droits de l'homme en Europe", assure à l'AFP Gerald Knaus, dont l'ONG ESI a mis au jour le scandale en 2012.

Là encore, le vent tourne. Sans que ce scandale soit mentionné, le pays a été exclu la semaine dernière de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe pour non-respect d'"engagements majeurs". Sa délégation a dénoncé un climat "d'azerbaïdjanophobie et d'islamophobie".

Les horizons diplomatiques du pays sont toutefois loin d'être bouchés. 

En juillet 2022, dans la foulée de la guerre en Ukraine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a fait de Bakou un "partenaire-clé" sur l'énergie et l'Azerbaïdjan va bientôt se retrouver sous les projecteurs en accueillant en novembre la COP29 sur le climat.

34HF4X6