En Bosnie, du lithium, du magnésium et quelques doutes
Un gisement qui tombe à pic, la promesse de milliers d'emplois, et une mine à ciel ouvert : autour de Lopare, en Bosnie, le sol est riche de magnésium et de lithium, matières premières...
Un gisement qui tombe à pic, la promesse de milliers d'emplois, et une mine à ciel ouvert : autour de Lopare, en Bosnie, le sol est riche de magnésium et de lithium, matières premières critiques en Europe. Mais leur extraction inquiète.
Le sol argileux de cette région vallonnée du nord-est du pays, un des plus pauvres d'Europe, a été exploré ces dernières années par la société suisse Arcore AG, qui souhaite approvisionner le gourmand marché européen.
On y trouve "des quantités exceptionnellement intéressantes [de matières premières] pour la chaîne d'approvisionnement de l'Union européenne", plaide auprès de l'AFP le directeur la filiale d'Arcore en Bosnie, Vladimir Rudic.
Les réserves du gisement sont estimées à 1,5 million de tonnes d'équivalent de carbonate de lithium, 94 millions de tonnes de sulfate de magnésium et 17 millions de tonnes de bore, utilisé notamment dans la fabrication d'éoliennes.
La découverte de ces matières premières, indispensables à l'industrie européenne et à la transition énergétique, ravit les industries mais divise l'opinion et les partis politiques: "une chance pour le développement" du pays pour les uns, un risque pour l'environnement pour les autres.
"La mine de Lopare devrait lancer la production début 2027, commencer à tourner à plein régime entre 2030 ou 2032", et produire à ce moment 10.000 tonnes de carbonate de lithium par an, explique M. Rudic. De quoi fabriquer entre 150.000 et 200.000 batteries pour les voitures électriques, selon des experts.
Si le gisement est à "faible teneur" en lithium, son extraction reste intéressante, explique M. Rudic. Et la présence importante de magnésium et de bore garantit une "stabilité" dans la durée à la future mine.
Chance de développement
Arcore, qui entend demander une concession d'exploitation pour une période de 50 ans, table sur ses recettes annuelles d'un milliard d'euros et la création d'environ 1.000 emplois directs, et plus de 3.000 indirects.
Avec à l'horizon l'interdiction de la vente de véhicules thermiques dans l'UE à partir de 2035, l'Europe a un besoin vital de réduire sa dépendance à la Chine pour le lithium.
Quant au magnésium, l'UE dépend de la Chine pour 97% de ses besoins.
Milorad Dodik, président de la Republika Srpska, l'entité serbe de Bosnie dont Lopare fait partie, s'est dit favorable à l'exploitation, "une chance de développement qu'il ne faut pas rater". Tout en assurant qu'il ne s'agissait pas d'un permis de polluer.
L'exploration du gisement ces dernières années n'a pas soulevé beaucoup d'opposition. La levée de boucliers a eu lieu après l'annonce à l'automne du plan d'ouverture d'une mine à ciel ouvert à proximité de la ville. Le conseil municipal a voté en décembre une motion contre le projet.
Le maire de Lopare, Rado Savic, en est certain: "plus de 90% des habitants sont contre l'exploitation", affirme-t-il. "Les gens ont peur de fuites de matières toxiques (...) Nous sommes clairs: nous ne souhaitons pas une telle mine ici".
L'édile redoute une "détérioration encore pire de la démographie" de sa localité, où il ne reste plus que 8.500 habitants, contre 15.000 enregistrés au recensement de 2013.
Tôt ou tard la pollution
Plusieurs ONG écologistes s'alarment du possible impact sur l'environnement, et une pétition contre l'ouverture de la mine, signée par 3.700 personnes, a été remise fin février au parlement de la Republika Srpska.
"Partout dans le monde où il a y a ce genre de mines il y a aussi, tôt ou tard, la pollution des eaux souterraines et de l'air", dit Snezana Jagodic Vujic, présidente de l'association "Eko Put", en évoquant les "grandes quantités" d'eau et de réactifs nécessaires à l'extraction du lithium.
Vladimir Rudic accuse les opposants de "semer la panique". "Les conditions d'exploitation seront absolument contrôlées" et le traitement du minerai se fera "dans les cycles industriels fermés", assure-t-il.
Une étude d'impact sur l'environnement doit être réalisée après l'obtention éventuelle de concession d'exploitation, et suivie d'un débat avec la population.
Pour les habitants croisés à Lopare, la question est déjà réglée.
La ville sera "recouverte d'une énorme couche de poussière, sans parler de l'impact sur les eaux souterraines", prévoit Jovan Jovic, un pharmacien au chômage.
Quant à Milivoje Tesic, vétéran de 63 ans, il ira "défendre physiquement (sa) terre et (son) calme".
"Si nous devenons le Koweït, alors OK. Mais montrez-moi un exemple où un investisseur étranger est entré dans un pays et y a fait un progrès."
34L63ER