Drogues: la kalachnikov, arme fétiche des trafiquants en France

Sa silhouette, reconnaissable entre toutes à son chargeur courbe, est associée à la plupart des conflits qui déchirent la planète. Ces dernières années, le fusil d'assaut AK-47 est aussi devenue une arme...

Une kalachnikov AK-47, le 26 avril 2015 à Paris © Lionel BONAVENTURE
Une kalachnikov AK-47, le 26 avril 2015 à Paris © Lionel BONAVENTURE

Sa silhouette, reconnaissable entre toutes à son chargeur courbe, est associée à la plupart des conflits qui déchirent la planète. Ces dernières années, le fusil d'assaut AK-47 est aussi devenue une arme fétiche des trafiquants de drogue en France.

Dans les rues de Marseille (sud-est), la kalachnikov et ses nombreuses variantes sont apparues dans nombre des règlements de comptes liés au narcotrafic local: ils ont fait une cinquantaine de morts en 2023, un record.

Selon un bilan provisoire, un total de 105 fusils d'assaut ont été saisis cette année dans les seules Bouches-du-Rhône, le département dont Marseille est le chef-lieu, en hausse de 50% par rapport à 2022.

La police en a déterré jusque "dans des bosquets, au pied des immeubles". L'anecdote, rapportée à l'AFP par la préfète de police de Marseille Frédérique Camilleri, illustre la place prise dans l'arsenal des dealers par cette arme capable de cracher en rafale des balles de 7,62 mm.

Au niveau national, les pistolets automatiques de calibres 6,35 et 9 mm restent les plus utilisés par les organisations criminelles, note le chef de l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), Yann Sourisseau.

La kalachnikov ne l'est que dans "15 à 20%" des homicides et tentatives d'homicides entre trafiquants, précise-t-il.

Mais désormais, les "réglos" à grandes rafales de "kalach" entre trafiquants ne se cantonnent plus aux traditionnels quartiers des banlieues de Paris, Lyon ou Marseille. Des villes moyennes comme Cavaillon (sud), Besançon (est) ou Evreux (ouest) ont également été touchées en 2023.

Symbole de puissance

Après avoir été "l'arme fétiche des révolutionnaires", le fusil d'assaut, réputé fiable et robuste, "est aujourd'hui le symbole de la puissance du voyou de cité", explique le journaliste Frédéric Ploquin, auteur de nombreux livres sur le banditisme dont "Les narcos français brisent l'omerta" (2021, éditions Albin Michel).

"C'est très bien pour tirer en masse, créer un sentiment d'insécurité chez ses rivaux en leur montrant que tu peux les toucher sur leur territoire", abonde Nils Duquet, chercheur et directeur de l'Institut flamand pour la paix.

Parfois glorifiée - souvent factice - dans des clip de rap ou des jeux vidéos, l'arme séduit des trafiquants de plus en plus jeunes, biberonnés aux réseaux sociaux mais peu expérimentés, d'où la multiplication des victimes collatérales.

A Dijon ou à Grenoble (centre-est), on a vu des trafiquants cagoulés âgés de 16-17 ans se mettre en scène et tirer en l'air avec une kalachnikov", rapporte Jean-Baptiste Perrier, professeur de droit privé et de sciences criminelles à l'université d'Aix-Marseille.

La police a donné un nom à ces démonstrations de force: les "fantasia", ces traditions équestres du Maghreb pendant lesquelles des cavaliers tirent en l'air de concert en simulant un assaut.

Conçue au sortir de la Seconde guerre mondiale par Mikhaïl Kalachnikov, un jeune soldat russe blessé sur le front, l'AK-47 (acronyme d'"Avtomat Kalachnikova 1947") a enfanté de nombreuses variantes et copies diffusées partout dans le monde, à la faveur des conflits de la guerre froide.

Filière des Balkans

"En Europe, on trouve surtout des kalachnikov Zastava M70, de fabrication serbe", explique Nils Duquet.

"Elles sont apparues dans les quartiers après l'an 2000. La guerre des Balkans a mis sur le marché des milliers d'exemplaires", retrace Frédéric Ploquin.

Au début, seuls les criminels aguerris avaient les "connexions nécessaires" pour s'équiper, selon Nils Duquet. 

La contrebande d'armes, beaucoup moins rémunératrice que les stupéfiants, est un "trafic de fourmis": seuls de petits lots traversent les frontières à la commande.

Mais à mesure que le réservoir grossit, "les prix diminuent et ça devient un peu plus facile pour des petits criminels" d'en acquérir, poursuit M. Duquet.

"De 3.000 euros il y a dix ans, elle se négocie aujourd'hui autour de 1.500 euros avec mille cartouches", affirme Frédéric Ploquin.

"A Marseille, on peut acheter une  Kalachnikov, comme on achète un pain au chocolat", déplorait le maire de la ville, Benoit Payan, en 2021.

"Celui qui veut trouver une arme, il finira par la trouver. Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas aussi facile, ce n'est pas vrai", rétorque la préfète Frédérique Camilleri.

Le stock semble en tout cas inépuisable. 

Un total de 8.027 armes, dont 297 classées armes de guerre, ont été saisies en 2022 en France, en hausse de 9,5% par rapport à 2021, indique le ministère de l'Intérieur.

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