Dix ans d'extrême droite à Hénin-Beaumont, ville témoin

Le 23 mars 2014, Steeve Briois, candidat du Front National, est élu maire d'Hénin-Beaumont, ex-fief de gauche affaibli par les affaires. Dix ans plus tard, il se targue d'en avoir fait une "vitrine de bonne...

La mairie d'Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, le 20 février 2024 © Denis CHARLET
La mairie d'Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, le 20 février 2024 © Denis CHARLET

Le 23 mars 2014, Steeve Briois, candidat du Front National, est élu maire d'Hénin-Beaumont, ex-fief de gauche affaibli par les affaires. Dix ans plus tard, il se targue d'en avoir fait une "vitrine de bonne gestion", quand ses opposants dénoncent son "harcèlement".

Quand il conquiert cette ancienne cité minière frappée par la désindustrialisation, base arrière de Marine Le Pen, l'édile, 51 ans aujourd'hui, assure n'avoir reçu "aucune consigne".

Depuis son bureau de l'hôtel de ville, il se félicite de la "baisse des impôts locaux", des "travaux de rénovation", "des festivités" et de la mise en place "d'un système de vidéoprotection" de 127 caméras.

"Il n'y a pas de volonté de politiser le quotidien des gens", mais de "démontrer que les élus RN sont en capacité de gérer convenablement une ville", martèle le nordiste, militant au parti de Jean-Marie Le Pen depuis ses 16 ans.

Pourtant à son arrivée, Steeve Briois prend des initiatives polémiques: suppression des aides à la Ligue des droits de l'Homme, charte "ma commune sans migrant". Un arrêté anti-mendicité est retoqué par la justice, et la crèche de Noël dans le hall de l'hôtel de ville déclarée illégale car contraire à la laïcité.

Les élus RN "ont eu cette tentation de faire des symboles frontistes", mais ils "ont été mis en échec", relate Marine Tondelier, la secrétaire nationale d'EELV, élue d'opposition depuis 2014. Le maire opte alors pour une "normalisation".

M. Briois a une stratégie "attrape-tout" qui "gomme les aspects d'extrême droite", analyse l'ex-directeur de Science Po Lille, Pierre Mathiot. Une méthode éprouvée qui, au niveau national, permet au RN de figurer en tête des intentions de vote aux prochaines élections européennes.

Hénin-Beaumont est d'autant plus stratégique qu'elle représente pour Marine Le Pen, députée de la circonscription, un ancrage local clé pour "cultiver une image proche des gens", souligne M. Mathiot.

Masque souriant

Au repas dansant d'un club local du troisième âge, le maire déambule tout sourire, s'enquiert de la santé des unes, embrasse les autres pour leur anniversaire.

Il est "simple", "à l'écoute", "convivial", louent les convives.

Marie-José, 65 ans, a voté pour lui en 2014, son premier bulletin RN. "Les autres ne voyaient que leur petit monde de bourgeois", lance l'Héninoise.

Rares sont les critiques sur le marché du centre-ville.

Pour Max, 37 ans, ex-encarté PS, Steeve Briois "connaît le problème des habitants" car "il vient du bassin minier". Il se réjouit d'une ville "propre", "fleurie". "Vous avez vu la mairie ? Refaite."

"Tout est pareil qu'avant", pense Ahmed, 43 ans.

Steeve Briois, dans l'opposition depuis 1995, a conquis cette ville de quelque 26.000 habitants dès le premier tour en 2014 avec 50,25% des voix "sur un terreau de vote de rejet des autres formations" politiques, explique le politologue Jean-Yves Camus.

L'ex-maire PS Gérard Dalongeville avait été "mis en examen en 2009 pour détournement de fonds publics" et la ville était ruinée, rappelle Inès Taourit, élue d'opposition socialiste.

Mais entre 2009 et 2014, les maires divers gauche Daniel Duquenne et Eugène Binaisse, "ont rétabli les finances" - et Steeve Briois a eu "le luxe de baisser les impôts" et "mettre des fleurs partout", ajoute Marine Tondelier.

En 2020, il est réélu dès le premier tour avec 74,21% des voix (55,38% d'abstention).

Droits de réponse

Pour la majorité des habitants, "la couleur politique du maire ne compte pas", mais "sous leur masque souriant, (les élus RN) sont agressifs", témoigne Mme Tondelier. 

Les quatre élus de l'opposition au conseil municipal ont adressé en novembre un courrier à la sous-préfecture pour dénoncer des "irrégularités" lors des conseils municipaux, affirmant que Steeve Briois coupe le micro des opposants et empêche "toute autre expression" que celle de la majorité.

"Nous sommes privés de parole, insultés par des propos mensongers ou diffamatoires", regrette parmi eux Patrick Piret (sans étiquette).

L'opposition est "grotesque" rétorque le maire, qui multiplie les procès à leur encontre.

Du "harcèlement" pour David Noël, ancien conseiller municipal d'opposition communiste visé par neuf plaintes du maire ou d'agents et élus municipaux, pour injure et diffamation. L'une d'elle a abouti à une condamnation.

Si "vous n'êtes pas avec eux, si vous ne pensez pas comme eux, vous êtes leur ennemi", regrette le syndicat Sud collectivités territoriales à la mairie.

Tensions aussi avec la presse locale: le maire, qui qualifie les journalistes de "militants", a adressé plus de 100 droits de réponse au quotidien la Voix du Nord.

"C'est une constante des mairies RN, l'espace d'expression des opposants se réduit, le contrôle de la communication est très fort, ils montrent une vitrine propre", analyse Jean-Yves Camus.

Une vitrine devenue "une pépinière de cadres RN pour préparer la conquête des villes voisines", estime David Noël. En 2020, dans le département, seule Bruay-la-Buissière a été conquise par le parti.

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