Dix ans après sa création, le parquet national financier "installé pour durer", selon son chef
Douze milliards d'euros dans les caisses de l'Etat et plus de 500 prévenus condamnés: en dix ans, le Parquet national financier s'est "hissé au niveau" international dans la lutte contre la délinquance en col blanc et il est "installé pour durer"...
Douze milliards d'euros dans les caisses de l'Etat et plus de 500 prévenus condamnés: en dix ans, le Parquet national financier s'est "hissé au niveau" international dans la lutte contre la délinquance en col blanc et il est "installé pour durer", estime auprès de l'AFP son patron Jean-François Bohnert.
Créé par la loi du 6 décembre 2013 en réaction au scandale Cahuzac, le PNF est passé de cinq à vingt magistrats, qui pilotent plus de 750 enquêtes: environ la moitié concernent des atteintes à la probité (corruption, détournement de fonds publics, favoritisme...), l'autre moitié la fraude fiscale aggravée.
"Dans le domaine de la lutte contre les formes graves de délinquance économique et financière, à travers sa spécialisation, le PNF apporte à l'évidence une plus-value", souligne M. Bohnert lors d'un entretien accordé à l'AFP dans son bureau du 20e étage du tribunal judiciaire de Paris, où travaillent 46 personnes.
Au total, le PNF "a rapporté un peu plus de 12 milliards d'euros dans les caisses de l'État", auxquelles s'ajoutent 365 saisies, valorisées à 1,2 milliards d'euros: c'est un "instrument qui fonctionne", "identifié" et "installé pour durer", résume le magistrat.
"Pour preuve, le nombre de courriers que je reçois tous les jours de particuliers", mais aussi une reconnaissance internationale, fait valoir le procureur de la République financier.
"Aujourd'hui, des institutions comme l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le GAFI (organisme mondial de surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme), le Department of Justice (ministère) américain, le Serious Fraud Office (agence britannique de la lutte contre les cas graves de fraude) nous considèrent comme des égaux", se félicite-t-il, en soulignant une "volonté de s'attaquer à des infractions complexes", au travers de "techniques nouvelles".
Parmi les tournants: l'amende infligée en 2020 à l'avionneur européen Airbus qui a payé 2,1 milliards d'euros en France selon une convention judiciaire d'intérêt public (Cjip), pour éviter des poursuites dans une affaire de corruption.
Grâce aux Cjip, créées en 2016 par la loi Sapin II, 18 entreprises, dont McDonald's, Google, LVMH, ont été sanctionnées, pour un total de 5,44 milliards d'euros, ce qui a pour M. Bohnert "indéniablement" permis à la justice française de gagner en crédibilité à l'étranger.
Aucune pression
En dix ans, le PNF a ouvert près de 3.200 dossiers, dont les plus emblématiques ont été confiés à des juges d'instruction, de l'affaire François Fillon à celle de la banque UBS, en passant par les Dubaï Papers, l'affaire Wildenstein ou les "biens mal acquis" de Rifaat al-Assad.
Au total, 509 prévenus ont été condamnés - dont 94 en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) - avec un taux de relaxe "très faible". Parmi eux, Jérôme Cahuzac, Nicolas Sarkozy, Michel Mercier, et lundi, c'est à l'issue d'une enquête du PNF que l'actuel ministre du Travail Olivier Dussopt sera jugé.
"Il y a finalement des personnalités de tous bords qui apparaissent dans ces dossiers, qui sont soit poursuivies, soit qui font l'objet de classements (...). Ce qui a pu à un moment donné nous valoir des critiques, notamment sur le terrain d'une forme de politisation, est en fait un faux procès", insiste M. Bohnert, affirmant n'avoir jamais subi "aucune pression".
S'il se félicite notamment de "l'atténuation considérable du verrou de Bercy", le procureur aimerait néanmoins "travailler plus rapidement" mais se heurte à la "surcharge" des enquêteurs; au manque de bonne volonté de certains pays comme "l'île Maurice ou Hong Kong" pour exécuter les demandes d'entraide (785 depuis 2014), "déterminantes" pour tracer les flux financiers.
"La détection de ces infractions, comme la corruption et a fortiori la corruption d'agents publics étrangers, est un véritable enjeu. Nous devons continuer à l'affuter", reconnaît-il.
M. Bohnert plaide également pour une "base commune de fiscalité", "qui éviterait ce petit jeu malsain qui continue à perdurer", de mouvements d'entreprises ou de contribuables vers "tel ou tel État membre de l'Union européenne" pouvant être considérés comme des paradis fiscaux.
"Il ne faut pas non plus verser dans l'angélisme. Les mécaniques (de fraude ou de corruption) existent toujours", pointe-t-il. "Mais la conscience qui a été prise par les autorités judiciaires notamment a conduit également certains acteurs à se remettre en cause et à peut-être inventer, soit d'autres voies de délinquance, soit, je préfère cette analyse-là, un retour vers la conformité".
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