Deux fois moins de narchomicides à Marseille mais une forme de "narcoterrorisme"

Le narcobanditisme a coûté la vie à 24 personnes en 2024 en région marseillaise, deux fois moins que le bain de sang de 2023, mais "pour autant la menace demeure très importante" face à une forme...

Un graffitt peint sur un mur indiquant l'emplacement d'un trafic de drogue (Here Coffee Bernex) dans le quartier de La Castellane, à Marseille, le 20 mars 2024 © NICOLAS TUCAT
Un graffitt peint sur un mur indiquant l'emplacement d'un trafic de drogue (Here Coffee Bernex) dans le quartier de La Castellane, à Marseille, le 20 mars 2024 © NICOLAS TUCAT

Le narcobanditisme a coûté la vie à 24 personnes en 2024 en région marseillaise, deux fois moins que le bain de sang de 2023, mais "pour autant la menace demeure très importante" face à une forme de "narcoterrorisme", ont encore averti les autorités mardi.

"La route sera longue, nous n'avons pas de baguette magique", a répété Nicolas Bessone, le procureur de la République de Marseille, en se félicitant cependant des résultats de la lutte contre les trafics de stupéfiants en 2024, lors d'une conférence de presse avec le préfet de police des Bouches-du-Rhône Pierre-Edouard Colliex.

Après le funeste record de 49 morts dont 4 victimes collatérales de 2023, les violences liées à la guerre des gangs pour le contrôle des points de deal ont coûté la vie à 24 personnes dans le département l'an dernier, dont un chauffeur VTC abattu par un adolescent d'à peine 14 ans.

Si cette baisse est à mettre au crédit de la "mobilisation historique" des forces de l'ordre et de la justice, selon M. Colliex, avec plusieurs commandos arrêtés avant de passer à l'acte, elle est aussi due à "une cause exogène", "la fin de la guerre entre les clans DZ Mafia et Yoda", avec la victoire du premier, a concédé mardi le procureur de Marseille.

S'agissant de Yoda, l'extradition de leur chef présumé, Félix Bingui, alias "le chat", annoncée lundi à l'AFP par une source proche, est bien en cours, a confirmé au passage le magistrat, précisant que son arrivée depuis le Maroc était "imminente".

A la veille du début de l'examen d'une proposition de loi sur le narcotrafic, MM. Bessone et Colliex ont souligné mardi les résultats "considérables"

de la lutte policière et judiciaire contre le narcobanditisme à Marseille, avec plus de 2.000 personnes mises en examen par les magistrats marseillais, dont 200 pour "narchomicides", ces homicides sur fond de trafics de stupéfiants.

Parmi eux, toujours plus de mineurs, et ce à tous les niveaux du spectre, a insisté M. Bessone, en soulignant le sort peu enviable de ces "jobbers" venant de toute la France, attirés à Marseille par le mirage de l'argent facile. "Pour ce que j'appellerais des +narcotouristes+, la réalité est beaucoup plus sombre que ce qu'elle peut paraître", a poursuivi le magistrat, en évoquant des cas de "traite d'êtres humains", avec séquestrations et tortures. 

On ne cède pas à la peur

Avec quelque 500 adolescents concernés en 2024, "plus de la moitié de la délinquance des mineurs" est liée aux stupéfiants à Marseille, a expliqué le procureur, soulignant que pour la première fois en France le tribunal pour enfants de Marseille va juger un assassinat commis par un mineur de moins de 16 ans avec le procès attendu de la mort de Socayna, jeune étudiante qui avait pris une balle perdue dans sa chambre. 

Alors certes, la deuxième ville de France ne compte plus que 84 points de deal, 29 de moins en un an. Mais "ce n'est pas parce qu'on a supprimé les points de deal à la cité de la Castellane (dans les quartiers Nord) que la drogue a disparu, qu'on a résolu le problème", a affirmé de son côté le préfet de police, évoquant le développement des livraisons de stupéfiants à domicile, le "ubershit".

Et des activités de plus en plus exercées par des femmes. 

Pour M. Colliex, il faut en tous cas continuer le pilonnage, sur le mode des opérations "place nette XXL" lancées par Emmanuel Macron depuis Marseille en mars.

2024 a également été marquée par une diversification des activités des narcotrafiquants, avec des tentatives de racket de commerçants voire de rappeurs, comme celle visant SCH, qui s'est soldée par l'assassinat d'un de ses proches. 

Plusieurs responsables judiciaires ont été menacés de mort, dont des membres de la direction de la prison des Baumettes. Sans parler des tentatives de corruption de fonctionnaires.

Mais "on ne cède pas à la peur car on interpelle les individus qui commettent des menaces" et "très peu de gens ont été placés sous protection policière" à ce stade, a précisé Pierre-Edouard Colliex à l'AFP.

Pour lutter contre le blanchiment d'argent, le préfet de police a annoncé qu'il interdira d'ici fin janvier l'activité de plusieurs dizaines d'épiceries de nuit. Et un "bouclier portuaire" sera mis en place pour renforcer la sûreté du port de Marseille-Fos.

Pour autant, malgré ce volontarisme affiché, "nous rencontrons d'importantes difficultés à juguler, à maîtriser le phénomène. Donc il faut à la fois des moyens, un choc législatif, pour être à la hauteur des enjeux et de la menace en face de nous", a insisté Nicolas Bessone auprès de l'AFP, plaidant notamment pour l'élargissement du statut de repenti aux crimes de sang, la création de cour d'assises composées de magistrats professionnels et la création d'un nouvel outil, l'association de malfaiteurs criminelle.

Car pour le magistrat, Marseille fait désormais face à un véritable "narcoterrorisme". Jeudi, le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent, avait lui dit craindre que "nous nous approchions du point de bascule vers un narco-Etat".

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