Europe

Des avancées dans l’âpre réforme des règles budgétaires européennes

La réforme des règles budgétaires européennes, qui divise les États membres, commence à prendre forme, même si de nombreux points restent encore à négocier, avant une éventuelle entrée en vigueur au début de l’année 2024…

Certes, les vingt-sept ministres des Finances européens se sont réunis le 9 novembre, afin de poursuivre les âpres négociations concernant la nouvelle mouture des règles budgétaires européennes, qui avaient provisoirement été suspendues depuis 2020, en raison de la pandémie. Or, alors que ces derniers mois l’opposition entre l’Allemagne et la France semblait insurmontable, un embryon de compromis semble avoir été trouvé, tant et si bien que le ministre espagnol chargé de diriger les négociations s’est félicité en des termes singuliers : «Comme les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, nous commençons à apercevoir la cathédrale au bout du chemin !» C’est dire combien ces négociations relèvent d’un chemin de croix…


Le Pacte de Stabilité et de Croissance

Créé en 1997, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) est un cadre budgétaire contraignant dont l’objet est de coordonner les politiques budgétaires des États membres - celles-ci demeurant une compétence nationale - et de maintenir une stabilité de leurs finances publiques. Pour ce faire, deux règles phares furent mises en avant pour tous les États : un déficit public inférieur à 3 % de leur PIB et une dette publique limitée à 60 % du PIB. Plus précisément, le PSC comportait initialement un volet préventif ainsi qu’un volet correctif, déclenché si le déficit public d’un État était supérieur à 3 % du PIB et inspirait des craintes au Conseil des ministres de l’Économie et des Finances de l’Union européenne (Ecofin). De nombreuses réformes ont par la suite été apportées au PSC, pour tenir compte des dérapages budgétaires à répétition de nombreux États, dont la France : tolérance accrue lors d’un dépassement «exceptionnel et temporaire» en 2005 ; création d’un «semestre européen» en 2011 permettant à la Commission européenne d’examiner les déséquilibres macroéconomiques dans chaque État et de formuler des recommandations de corrections éventuelles ; renforcement des volets préventif et correctif au travers du «Six-Pack» en 2011, du «Two-Pack» en 2013 et du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en 2012 («Pacte budgétaire européen»), qui impose comme «règle d’or» une limitation du déficit public structurel à 0,5 % du PIB pour les pays dont la dette publique est supérieure à 60 % du PIB.


Des finances publiques toujours dégradées

Pourtant, les finances publiques des États membres de l’UE restent dans l’ensemble assez dégradées. Qu’on en juge : au deuxième trimestre 2023, le déficit public corrigé des variations saisonnières s’est établi à 3,2 % dans l’UE, en légère augmentation. La plupart des États conserve des déficits publics importants, que la brève embellie post-Covid n’aura pas suffi à réduire, en raison du retour de l’inflation et de la guerre en Europe. La Hongrie, la Roumanie, l’Italie, la Slovaquie, l’Espagne, la Belgique et la France font partie des États dont les finances publiques sont dans le collimateur de la Commission européenne. En ce qui concerne la dette publique, à la fin du deuxième trimestre 2023, celle-ci atteignait 83,1 % du PIB, en légère baisse en glissement annuel du fait d’une croissance du PIB supérieure à l’augmentation (en valeur absolue) de la dette publique. Et le moins que l’on puisse dire est que certains États sont loin désormais de la barre des 60 % du PIB : 166,5 % en Grèce, 142,4 % en Italie, 111,9 % en France, 111,2 % en Espagne, 110,1 % au Portugal, 106 % en Belgique !


Le flou politico-artistique de la réforme

Ce n’est qu’après deux ans de discussions serrées, entamées en 2021 en pleine pandémie, qu’un consensus semble s’être dessiné sur une réforme du cadre budgétaire européen. Lorsque le déficit public sera jugé excessif pour un État, ce dernier devra mettre en œuvre, en accord avec la Commission européenne, un plan pluriannuel de réduction du déficit d’au moins 0,5 % du PIB chaque année, objectif chiffré que la France refusait jusqu’alors catégoriquement et qu’elle a fini par accepter sous la pression allemande. Il est vrai qu’un tel objectif nécessitera pour l’État français de trouver entre 20 et 30 milliards d’euros sur quatre ans ! L’on connaît pourtant les dangers d’une politique économique fondée principalement sur la réduction indifférenciée de la dépense publique… Quant à la vitesse de réduction de l’endettement public, elle reste à définir. Mais d’ores et déjà se pose la question de la prise en compte des investissements d’avenir (écologie, énergie, numérique…) dans l’effort attendu. Seuls les investissements dans la défense pourraient apparemment bénéficier d’un statut spécial. Mais que se passera-t-il en cas de nouveaux chocs économiques, financiers ou politiques ? La cathédrale est donc peut-être au bout du chemin, mais ce dernier reste encore long et sinueux, dans la mesure où il faudra s’entendre à 27 sur les chiffres, d’ici le sommet de Bruxelles en décembre prochain, puis espérer que le Parlement européen en endosse les conclusions, tout cela avant mars 2024 !

Raphaël DIDIER