Decayeux, l'industrie au service du luxe
Stéphane Decayeux, 57 ans, est le PDG du groupe Decayeux STI, qui a fêté ses 110 ans. Entré dans l’entreprise familiale en 1985, il a participé au développement d’une activité de sous-traitance en direction des plus grands noms du luxe. Aujourd’hui à la tête d’un groupe comptant 800 salariés et par ailleurs président de l’UIMM du Vimeu, il porte un regard optimiste sur l’avenir de l’industrie dans la région.
Aujourd’hui, vous êtes un important sous-traitant du monde du luxe. Comment en arrive-t-on là ?
L’entrée en relation avec le monde du luxe date de 1981, un peu par hasard, à l’occasion du salon Midest (salon mondial de la sous-traitance), où nous allions tous les ans. Cette année-là, le directeur des achats d’une entreprise du luxe, qui à l’époque était toute petite, nous a demandé d’étudier la fabrication de pièces. Mais ce n’était que 50 pièces par an, quand nous traitions 50 000 robinets tous les mois pour des entreprises du Vimeu. Ils ont beaucoup insisté, mais honnêtement, à l’époque, nous ne voulions pas l’affaire. Et nous l’avons eue quand même…
Cela vous a plutôt réussi, non ?
Sur cette partie luxe, au fil du temps, nous avons eu la chance de suivre les évolutions de nos clients, avec le développement d’une gamme plus large. Et puis, nous nous sommes développés avec d’autres clients. Aujourd’hui, nous travaillons avec les plus gros donneurs d’ordre de la bijouterie et de la maroquinerie. Nous réalisons ainsi 20 millions de pièces par an pour les métiers du luxe. Nous avons six sites de production, quatre en France, un en Roumanie et un en Italie, plus un au Maroc
Votre site italien à Florence a été ouvert en janvier 2024. C’est important d’être à proximité de vos clients ?
Oui, c’est important d’être proche de nos donneurs d’ordre. Nous ne sommes pas très loin de Paris d’ailleurs. Mais c’est primordial pour les Italiens. Et à Florence, non seulement il y a les Italiens, mais aussi de grands donneurs d’ordre français. Florence est quasiment devenue la capitale mondiale de la maroquinerie. Bon, pour tout vous dire, nous n’avons pas monté ce projet au bon moment, nous l’avons fait alors qu’il y a une baisse significative des besoins. Mais nous serons prêts quand cela redémarrera.
Vous avez notamment été concerné par l’inflation ?
Nous avons subi les augmentations de l’énergie comme tout le monde. Nos clients ont été dans la grande majorité bienveillants et ont accepté des augmentations de prix en conséquence. Je les remercie, car ce n’était pas donné, même si nous avons justifié ces hausses de prix. Nous avons notamment augmenté les salariés du niveau de l’inflation, a minima, tous les ans, même quand elle était à 4,5%. Mais, comme dans beaucoup de secteurs, dans le luxe aussi, on constate des baisses d’activités, sauf pour l’hyper luxe qui est encore bien. Cela va repartir. Tout le monde est optimiste sur le moyen terme.
Le Made in France peut être un plus pour la sortie de ce ralentissement ?
Effectivement, depuis le Covid, tous les grands donneurs d’ordre se sont rendus compte que miser sur l’Asie était acceptable quand tout va bien, mais que cela peut devenir extrêmement compliqué au moindre grain de sable. Ils se sont tous recentrés vers l’Europe et les fournisseurs proches. Nous avons donc aujourd’hui un plus, même si au-delà des discours, l’acheteur continue de comparer les prix. C’est pour cela que nous avons ouvert une structure en Roumanie, pour rester compétitifs. Toutefois, tout cela s’est fait pour continuer à se développer en France. Dans les années 2005, nous étions 200 en France, aujourd’hui, nous sommes 450. Je fais dans les pays low-costs ce que je ne peux plus faire en France. Et pour avoir ici l’activité concernant des produits plus élaborés et complexes.
Par exemple, la gamme de produits propres à Decayeux ?
Nous avons effectivement des produits propres vendus en B to C. Nous avons commencé par l’appellation Decayeux Golf et nous avons migré petit à petit sous l’appellation Decayeux Paris. Nous avon trois types de produits. Certains sont vendus sur un site internet marchand qui fonctionne bien. Nous avons aussi des produits d’exception qui répondent à des besoins spécifiques pour nos clients, et pour lesquels nous avons en interne un créateur. Nous avons, par exemple, comme projet un jeu de dominos en or massif avec des diamants sertis. Cela s’adresse bien sûr à des gens qui ont les moyens… Et en complément, nous avons créé des cadeaux d’affaires qui sont personnalisables qui s’adressent donc à une clientèle professionnelle, mais avec des produits propres.
Comment passe-t-on d’une clientèle professionnelle à une clientèle de consommateurs ?
La bascule est complexe, à tous les niveaux. Autant avec des industriels, le côté marketing n’est pas primordial, autant dans le B to C, si on n’est pas connu et reconnu, si on ne se démarque pas des autres par des opérations marketings dignes de ce nom, on reste à l’écart. Il faut réussir à raconter une histoire. Donner aux futurs acheteurs l’envie d’acheter les produits par rapport à ce qu’ils représentent. C’est ce que nous avons essayé de faire : montrer que derrière les produits il y a aussi les 110 ans d’existence de Decayeux et du savoir-faire. Nous devons aussi faire entendre que ces produits 100% Made in France sont conçus avec les mêmes exigences et finitions que ceux de nos clients du luxe. Il nous a fallu du temps pour travailler sur ces sujets-là et je ne peux pas dire que nous ayons complètement réussi.
La diversification, l’ouverture… C’est la clé du succès ?
Changer, évoluer, chercher les marchés qui vont devenir importants… C’est primordial. Pour moi, une entreprise qui veut rester comme elle a toujours été, c’est une entreprise qui va mourir. L’environnement change et c’est le rôle du dirigeant de toujours avoir un coup d’avance. Le moyen terme, je n’y travaille pas, sans quoi je ne peux pas me consacrer au long terme. Quand on veut construire un nouveau bâtiment pour de nouveaux marchés, il faut quatre ou cinq ans. Si on s’en inquiète quand on a le marché, c’est trop tard. Cela veut aussi dire de prendre des risques.
Êtes-vous prêt pour vivre la révolution de l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle, c’est sûr que cela va nous secouer. C’est une certitude. On commence à voir des choses vraiment bluffantes. Il y a des métiers qui ne vont plus exister ou qui vont tellement évoluer, qu’ils ne seront plus vraiment les mêmes. Nous avons déjà été un peu tamponnés par tout ce qui est impression 3D de métal. Mais tout cela va venir en plus de ce que nous faisons. L’IA va intégrer nos process de fabrication. Cela peut faire peur. Mais je le vis plutôt bien.
On parle souvent de la solitude du dirigeant. Cela existe ? Vous l’avez vécue ?
Oui bien sûr. Les décisions, ce sont les dirigeants qui les prennent seuls. Et c’est d’autant plus difficile quand ça va mal, car, dans ces moments-là, les décisions sont compliquées et dures à prendre. J’ai eu à le faire. Tout n’a pas été toujours bien. Et là, j’étais seul. On n’est pas préparé à cela. Il faut assumer : prendre des décisions, des licenciements, se séparer de personnes… C’est aussi pourquoi on apprécie les bons moments.
Chiffres
20 millions de pièces par an pour les métiers du luxe
50 000 robinets fabriqués par mois pour le Vimeu
102 M€ de CA pour Decayeux Luxe
Decayeux Luxe, une filiale du groupe
Decayeux Luxe est l’une des entreprises qui constitue la holding Decayeux STI, issue de l’activité initiale Dhuille à Petit Saucourt. Dès l’origine, alors qu’elle est spécialisée dans la fabrication de réchauds à alcool, l’entreprise s’est proposée en tant que sous-traitant pour les entreprises du Vimeu, notamment autour de la robinetterie, la serrurerie ou de la quincaillerie. Depuis les années 1960, l’entreprise est devenue à 100% une entreprise de sous-traitance industrielle en transformation des métaux, avec à disposition trois techniques maîtresses complémentaires : le découpage-emboutissage, le matriçage et le cintrage. Avec des marchés qui se sont développés autour de la robinetterie de la connectique électrique, etc. L’activité «Luxe», née en 1981 avec la fabrication de composants de malles de voyage (accessoires et fermoirs), s’est concrétisée en 1998 par une cellule luxe. Le groupe compte 800 salariés, dont 450 en France et 250 en Roumanie et au Maroc (activité de biens d’équipements), qui assurent un chiffre d’affaires consolidé de 102 M€.
La pénurie de la main-d’œuvre
«J’échangeais il y a peu avec le directeur de notre site de Besançon, et il me disait que son bureau est rempli de propositions, alors qu’il y a encore six mois c’était très compliqué d’avoir un CV. Donc cela se débloque. Ici, le Vimeu est un terroir industriel, il n’a donc jamais été à court de main d’œuvre. C’est plus compliqué pour les cadres que nous avons toujours un peu de difficulté à faire venir en Picardie maritime. Nous avons cet inconvénient d’être un peu loin des grandes villes. Mais c’est en train de changer malgré tout. Il y a des jeunes qui ont envie d’aller à la campagne…
Nous utilisons beaucoup l’alternance qui permet au futur salarié de s’assurer qu’il est fait pour ce monde et pour cette entreprise. Et, inversement, l’entreprise vérifie que ce jeune est capable de devenir un salarié digne de ce nom. Nous accueillons entre 15 et 25 alternants tous les ans et nous en gardons la moitié. C’est une voie de recrutement importante pour nous. Et nous avons la chance avec l’UIMM d’avoir le centre de formation PROMEO avec qui nous travaillons sur les types de formation, le développement…
Mais
nous avons toujours énormément de difficultés à recruter des
jeunes dans ces centres de formation. Il nous faut continuer à
démystifier l’entreprise industrielle auprès des jeunes et auprès
des professeurs. Par exemple, nous faisons beaucoup de portes
ouvertes pour promouvoir l’industrie 4.0. Mais c’est un travail
de longue haleine.»