«Dans la gestion d’une équipe, il faut se remettre en question en permanence»

Directrice de l’Opéra de Lille depuis plus de dix-sept ans, Caroline Sonrier a installé l’institution lyrique lilloise sur la carte musicale européenne. Avec une passion inaltérable et une exigence idoine, elle a insufflé à cette vénérable maison un dynamisme, une modernité et un rayonnement rares, au point d’accéder, fin 2017, au label «Théâtre lyrique d’intérêt national». Rencontre avec une personnalité récompensée en décembre dernier par le Prix de la Femme d'Influence 2018 dans la catégorie Culture.

Caroline Sonrier, directrice de l'Opéra de Lille.
Caroline Sonrier, directrice de l'Opéra de Lille.

Je ne me suis jamais posé la question de ma légitimité en tant que femme“, souligne Caroline Sonrier. © Eric Lebrun

Parcours

«Enfant, j’avais comme modèle ma mère qui était instrumentiste et professeur dans un conservatoire. Et, très tôt, j’ai pensé que ma vie professionnelle serait sur ce modèle. Je me suis donc engagée sur cette voie-là… sauf que l’enseignement n’était pas du tout mon truc et que passer mes journées à répéter seule ne me convenait pas car j’avais besoin d’échanger, de travailler avec d’autres. J’ai toujours eu des rencontres avec des personnes qui m’ont soutenue, conseillée, accompagnée, et je suis arrivée au bon moment – au début des années 1980 –, où la culture était en pleine décentralisation, bénéficiait de beaucoup de moyens. C’était une époque où on pouvait faire ses preuves sur le terrain et progresser, alors que je n’avais aucune formation de gestion ou de management. J’ai donc eu un parcours dans différents établissements où j’ai énormément appris, puis, très vite, j’ai pris la direction d’une structure. Par conséquent, je ne me suis jamais posé la question de ma légitimité en tant que femme, même si j’ai eu beaucoup de chance de rencontrer des personnes qui m’ont fait spontanément confiance. Évidemment, j’ai été confrontée parfois à un environnement «macho», mais cela ne m’a jamais empêchée d’avancer.»

Management

«Le plus difficile reste naturellement la gestion d’une équipe, où il faut trouver un équilibre qui, par définition, ne s’installe jamais et où il faut se remettre en question en permanence. L’étape importante fut de diriger une structure d’une dizaine de personnes car on apprend beaucoup à ce niveau de taille. Car, après, passer d’une dizaine à une soixantaine de salariés, ce sont les mêmes questions qui se posent. A la réouverture de l’Opéra de Lille, nous étions environ 35, et la maison a grandi sans que les relations ou l’organisation ne souffrent. Dès qu’il y a un groupe de personnes, toutes les questions de relations humaines et de hiérarchie se posent déjà. Dans la fonction de directrice, même si on a des relais en interne, on ne s’extrait jamais des questions de management. Ce qui me prend la moitié de mon temps, c’est tout ce qui relève de la coordination et des relations qu’il faut entretenir pour développer ou collaborer – que ce soit en interne avec les équipes de l’Opéra et en externe pour des projets nationaux et internationaux, avec l’Etat ou les collectivités. Et après, si je dispose d’un tiers de mon temps pour l’artistique, c’est déjà bien !

Lorsque j’ai été nommée à l’Opéra de Lille, j’étais la seule femme à la tête d’une institution lyrique et, dans mes relations avec les directeurs des autres institutions, je ressentais plus l’affirmation de postures de pouvoir, parfois très condescendantes par rapport à moi, que des comportements «machos». Aujourd’hui, les choses sont complètement différentes puisqu’il y a plus de femmes à la tête d’institutions et que les nouvelles générations raisonnent heureusement différemment.»

La parité dans la culture

«Je fais partie de la Commission nationale pour ces questions de parité, et, à chaque bilan annuel, les résultats sont extrêmement frappants. Quand on voit les chiffres dans le domaine de la musique en particulier, c’est absolument effrayant ! Avant, je n’étais pas si consciente du problème car, encore une fois, je n’ai pas eu l’impression d’avoir à me battre en tant que femme. Mais lorsque j’ai découvert ces chiffres qui, d’année en année, n’évoluent que très peu, j’ai compris l’ampleur du problème, et je suis d’accord avec l’objectif volontariste de parvenir au chiffre de 30%. Par exemple, du point de vue des compositeurs, beaucoup de jeunes femmes au Conservatoire de Paris ne se retrouvent pas au programme des concerts. De plus, derrière la façade de la communication, j’entends encore des discours comme «je n’engage pas de femmes car il n’y en a pas»… C’est impossible d’entendre cela en 2019 !
Pour ma part, je refuse que les femmes invitées à l’Opéra de Lille soient sous l’étiquette «parité» car je défends avant tout l’idée que c’est le talent qui prime, comme avec Emmanuelle Haïm qui est en résidence ici depuis 2004. Par contre, dans la prochaine commande d’œuvre contemporaine, je me suis imposée la présence d’une femme compositrice car il faut aussi avancer de façon volontariste. C’est la première fois que je raisonne ainsi car je ne bâtis jamais ma programmation en fonction de ce critère de parité.»


Date marquante

«9 décembre 2003, réouverture de l’Opéra de Lille totalement rénové après cinq ans de fermeture, un grand moment de joie.»

Lieu marquant

«La Fondation Royaumont, sise dans l’abbaye du même nom, où j’ai dirigé pendant sept ans le Centre de la Voix, une expérience professionnelle riche qui a nourri toute la suite de mon parcours

Femme inspirante

«Martine Aubry m’a fait confiance en me désignant pour la direction d’un nouvel Opéra à Lille. Mais surtout, sa vision forte et exigeante ainsi que son engagement pour l’Opéra et pour la culture en général sont des appuis très stimulants.»

Où sont les
femmes dans la culture ?

Selon l’étude annuelle de la SACD, les 100 plus grandes entreprises culturelles en France sont, neuf fois sur dix, dirigées par un homme. Si les chiffres évoluent peu, la situation des artistes n’est pas plus brillante : elles représentent 52% des étudiants dans le domaine du spectacle vivant, la part de celles qui sont sur les plateaux est de 1% pour les compositrices, 21% pour les autrices, 4% pour les cheffes d’orchestre et 27% pour les metteuses en scène… Attentive à la mise en valeur de femmes artistes de talent, Caroline Sonrier accueille en résidence la cheffe d’orchestre Emmanuelle Haïm depuis la réouverture en 2004. Pour les cinq dernières années, toujours selon l’étude de la SACD, l’Opéra de Lille est le seul établissement à atteindre le seuil des 30% de femmes dans sa programmation.