Dans l'atelier des taxidermistes du Muséum d'histoire naturelle
Après avoir redonné un coup d'éclat au dromadaire centenaire, Christophe Voisin et Isabelle Huynch Chan Hang naturalisent deux mériones. Pendant plusieurs semaines, les taxidermistes ont préparé les spécimens de l'exposition "Déserts" qui s'ouvre...

Après avoir redonné un coup d'éclat au dromadaire centenaire, Christophe Voisin et Isabelle Huynch Chan Hang naturalisent deux mériones. Pendant plusieurs semaines, les taxidermistes ont préparé les spécimens de l'exposition "Déserts" qui s'ouvre mercredi au Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN).
D'une main experte, ils enroulent le fémur et le tibia des petits rongeurs et son armature métallique avec du coton et de la ficelle pour recréer la forme des muscles. Puis insèrent délicatement le tout dans la peau traitée de l'animal, dont même les minuscules griffes ont été conservées en place.
Un moulage du crâne a été effectué lors du dépeçage. A l'aide de résine et d'épingles, les taxidermistes sculptent les bajoues, collent des billes de verre à la place des yeux, s'assurent que les oreilles resteront bien dressées.
Petit à petit, les mériones - une sorte de gerbille des zones arides d'Afrique et d'Asie - reprennent vie, dressées sur leur pattes arrières.
Sur une autre table de l'atelier niché dans les coulisses du Muséum à Paris, leur collègue Vincent Cuisset répare les oreilles d'une antilope à la colle et au pinceau.
Avec les attaques de mites et de dermestes, un petit coléoptère, les changements de température ou d'hygrométrie - qui ont littéralement coûté leur peau à un rhinocéros et un hippopotame - sont les cauchemars des taxidermistes.
Autour d'eux, des étagères couvertes de marteaux, pinces et scies. Et tout un bestiaire: flamand rose, cigognes, singes, poissons...
Bibliothèque du vivant
La célèbre procession d'animaux de la Grande galerie de l'évolution ne représente qu'une toute petite partie des millions de spécimens naturalisés conservés par l'institution fondée au 17e siècle. Les plus anciens datent d'avant la Révolution, dont un "petit merle tué par Louis XVI", glisse M. Cuisset.
Et de nouveaux venus enrichissent régulièrement les collections.
"On ne fait plus de grandes expéditions naturalistes comme au 18e siècle où on tuait et on ramenait systématiquement des spécimens", explique Aude Lalis, chercheuse en biologie de l'évolution de la biodiversité et responsable de collections au MNHN.
Aujourd'hui, les animaux proviennent essentiellement de zoos ou de centre de soins pour animaux. A leur arrivée - souvent congelés - ils sont étiquetés, pesés, mesurés. Les taxidermistes effectuent certains prélèvement à la demande des chercheurs: ADN, échantillons de cœur et de muscle des mammifères, foie et bol intestinal des rapaces...
"Bibliothèque du vivant", les collections du Muséum sont "encore très utiles pour beaucoup de questions", souligne Mme Lalis. Par exemple pour analyser la couleur des poils du dromadaire avec de nouvelles techniques. Ou comparer les rongeurs d'Afrique actuels avec des spécimens collectés il y a plusieurs décennies.
Art ancestral
Certains sont naturalisés à des fins muséologiques, comme les mériones qui feront partie de la trentaine de spécimens présentés dans le cadre de l'exposition "Déserts".
Les taxidermistes travaillent avec les scientifiques pour décider de la position dans laquelle l'animal sera naturalisé. "Au 19e siècle, les animaux sauvages étaient présentés dans des dioramas" reconstituant leur habitat naturel, souvent "en position d'attaque" pour les prédateurs, rappelle M. Voisin.
"Aujourd'hui, on essaye de dépoussiérer un peu cet art ancestral et de donner une présentation plus dynamique, une nouvelle vision de l'animal", dans le but de communiquer sur la préservation de l'espèce, complète Mme Huynch Chan Hang.
Pour les grands mammifères - comme l'ours polaire de "600 kg qu'il a fallu suspendre à 3 m 20 de haut pour l'écorchage", les taxidermistes réalisent des sculptures en polyuréthane. L'imprimante 3D commence à faire son apparition dans l'atelier.
En France, on compte seulement une poignée de taxidermistes travaillant dans les musées - dont trois au MNHN - formés via un CAP de deux ans puis de longues années de pratique.
Certains animaux - poissons, reptiles - sont particulièrement difficiles à travailler. D'autres ne le sont tout simplement pas, comme les pieuvres ou les dauphins.
"La taxidermie est à la fois un art et un artisanat. Il faut se nourrir d'images pour être au plus proche de la réalité", note M. Voisin, qui se souvient de sa naturalisation la plus "compliquée": celle d'un orang-outan.
"Il faut beaucoup de documentation et deux-trois connaissances d'anatomie du visage pour pouvoir reconstituer les expressions faciales. On frôle l'humain", détaille-t-il.
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