Crimes contre l'humanité: ouverture du premier procès en France des crimes du régime syrien

Une plongée dans le système carcéral et tortionnaire syrien: le premier procès en France sur les crimes du régime de Bachar Al-Assad s'est ouvert mardi devant la cour d'assises de Paris, qui va juger jusqu'à vendredi par défaut trois hauts...

Le président syrien Bachar al-Assad, le 16 juillet 2023 à Damas © LOUAI BESHARA
Le président syrien Bachar al-Assad, le 16 juillet 2023 à Damas © LOUAI BESHARA

Une plongée dans le système carcéral et tortionnaire syrien: le premier procès en France sur les crimes du régime de Bachar Al-Assad s'est ouvert mardi devant la cour d'assises de Paris, qui va juger jusqu'à vendredi par défaut trois hauts responsables syriens pour la mort de deux Franco-Syriens.

Absents à l'audience, Ali Mamlouk, ancien chef du Bureau de la sécurité nationale, la plus haute instance de renseignement en Syrie, Jamil Hassan, ex-directeur des services de renseignements de l'armée de l'air, et Abdel Salam Mahmoud, ancien directeur de la branche investigation de ces services, sont accusés de complicité de crimes contre l'humanité et de complicité de délit de guerre.

Ils sont visés par des mandats d'arrêt internationaux, et donc jugés par défaut par trois magistrats professionnels.

Selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), il s'agit "des plus hauts responsables du régime jamais poursuivis en justice depuis l'éclatement de la révolution syrienne en mars 2011". 

Des procès sur les exactions du régime syrien ont déjà eu lieu ailleurs en Europe, notamment en Allemagne. Mais les personnes poursuivies étaient de rang inférieur.

Clémence Bectarte, avocate de plusieurs parties civiles, a salué avant le début de l'audience "l'aboutissement d'un long combat judiciaire".

Dans cette affaire, les trois accusés sont soupçonnés d'avoir joué un rôle, à des degrés divers, dans la disparition forcée et la mort de Mazzen Dabbagh et de son fils Patrick, deux Franco-Syriens vivant à Damas.

Les deux victimes, étudiant à la faculté de lettres et sciences humaines de la capitale syrienne pour le fils et conseiller principal d'éducation à l'Ecole française pour le père, avaient été arrêtés en novembre 2013 par des officiers déclarant appartenir aux services de renseignement de l'armée de l'air syrienne.

Système de tortures

Selon le beau-frère de Mazzen Dabbagh, arrêté en même temps que lui mais relâché deux jours plus tard, les deux hommes ont été transférés à l'aéroport de Mezzeh, siège d'un lieu de détention dénoncé comme un des pires centres de torture du régime.

Puis ils n'ont plus donné signe de vie jusqu'à être déclarés morts en août 2018. Selon les actes de décès transmis à la famille, Patrick serait mort le 21 janvier 2014 et Mazzen le 25 novembre 2017.

Dans leur ordonnance de mise en accusation, les juges d'instruction jugent "suffisamment établi" que les deux hommes "ont subi, comme des milliers de détenus au sein des renseignements de l'armée de l'air, des tortures d'une telle intensité qu'ils en sont décédés".

Coups de barres de fer sur la plante des pieds, décharges électriques ou violences sexuelles: lors des investigations, des dizaines de témoins - dont des déserteurs de l'armée syrienne et des anciens détenus de Mezzeh - ont détaillé aux enquêteurs français et à l'ONG Commission internationale pour la justice et la responsabilité (CIJA) les tortures infligées dans la prison.

Parallèlement, en juillet 2016, l'épouse et la fille de Mazzen Dabbagh étaient expulsées de leur maison à Damas, qui était réquisitionnée par Abdel Salam Mahmoud. Des faits "susceptibles de constituer les délits de guerre d'extorsion et de recel d'extorsion", selon l'accusation.

Pour Me Patrick Baudouin, qui représente la FIDH avec Me Bectarte, ce dossier permet de "démontrer tout le système qui avait été mis en place, qui était un système de torture, un système de mauvais traitements et de traitements inhumains et de disparitions".

Lors de cette première journée d'audience, la cour d'assises de Paris s'est penchée sur le contexte politique syrien. 

Dans ce régime, bâti par Hafez al-Assad jusqu'en 2000 puis consolidé par son fils Bachar, l'univers carcéral constitue une véritable "colonne vertébrale", explique à la barre le chercheur Ziad Majed. 

La prison, où disparaissent des dizaines de milliers de personnes, est "là que se manifeste le pouvoir absolu", déclare-t-il.

"Cette façon d’arrêter les gens, c'est une façon de maintenir une mainmise sur la population", abonde Garance le Caisne.

Cette journaliste a écrit l'ouvrage "Opération César. Au coeur de la machine de mort syrienne", qui raconte l'histoire d'un ex-photographe de la police militaire syrienne qui s'est enfui de Syrie avec 55.000 photographies de corps torturés. Parmi celles-ci, environ 27.000 sont des photographies de personnes détenues.

Dans les centres de détention, la torture "n'est pas là pour faire parler", témoigne-t-elle, "elle est là pour vous faire taire", pour "vous détruire et vous annihiler".

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