Coup d'État au Chili: Il y a 50 ans, la France recevait "à bras ouverts" les exilés sud-américains

Il y a cinquante ans naissait à Santiago "Marie-France"... au milieu d'un coup d’État au Chili qui poussa sa famille à fuir, raconte à l'AFP sa mère, qui comme des milliers d'autres Sud-Américains, se remémore l'accueil...

L'exilée chilienne Maria Eugenia Mignot-Verscheure à Paris, le 6 septembre 2023 © MIGUEL MEDINA
L'exilée chilienne Maria Eugenia Mignot-Verscheure à Paris, le 6 septembre 2023 © MIGUEL MEDINA

Il y a cinquante ans naissait à Santiago "Marie-France"... au milieu d'un coup d’État au Chili qui poussa sa famille à fuir, raconte à l'AFP sa mère, qui comme des milliers d'autres Sud-Américains, se remémore l'accueil chaleureux que lui fit l'Hexagone des années 1970-1980.

Le 11 septembre 1973, le général Augusto Pinochet prend le pouvoir en renversant le président Salvador Allende, qui se suicide dans le palais présidentiel bombardé. A Valparaiso, à 100 km de là, où elle habite, Maria Eugenia Mignot-Verscheure entend le "bruit d'un hélicoptère".

Les évènements s'enchaînent rapidement. Son frère la prévient qu'elle fait partie d'une "liste de personnes à emprisonner". Épouse d'un Français, elle se réfugie avec lui quelques jours plus tard à l'ambassade de France à Santiago.

Maria Eugenia a alors 25 ans. Membre d'un parti soutenant le gauchiste Allende, elle voulait "résister au maximum". Mais l'enfant qu'elle porte l'emporte sur son combat politique.

Marie-France naît dans une clinique de la capitale chilienne grâce à "la protection de l'ambassade", dit la désormais septuagénaire, depuis son petit appartement parisien chargé de souvenirs.

Un diplomate français la défend aussi à l'aéroport, quand un militaire fait descendre la famille de l'avion au motif que sa fille est "chilienne et ne dispose pas d'un sauf-conduit". "Elle est Française et elle va en France", lui répond-il.

"Ils n'ont pas osé nous emprisonner. Nous sommes remontés dans l'avion. Les portes se sont fermées et nous sommes arrivés en France", se souvient-elle.

Est-ce en hommage à ce soutien que la petite s'est appelée Marie-France ? "Inconsciemment oui", sourit la retraitée, qui a prénommé sa deuxième fille Maria Paz (Marie Paix).

Grande famille

L'exil des Latino-Américains est raconté au Musée national de l'histoire de l'immigration, situé dans un palais Art déco parisien. Entre 1964 et 1979, la France a accueilli 15.000 réfugiés politiques brésiliens, argentins, uruguayens et surtout chiliens. Beaucoup d'autres sont arrivés ensuite.

Alors que la société française se montre toujours plus hostile à l'immigration ces dernières décennies, Maria Eugenia et tous les exilés interrogés par l'AFP soulignent l'accueil "à bras ouverts" qu'ils ont reçu dans l'Hexagone.

"Nous étions comme une grande famille", affirme Leyla Guzman, une Chilienne de 53 ans qui a passé un an, enfant, dans le centre d'accueil de Fontenay-sous-Bois, près de Paris, où elle travaille aujourd'hui comme agent municipal.

A l'entrée du centre, devenu aujourd'hui Maison du citoyen et de la vie associative, une plaque rappelle que l'association catholique Mission de France y a accueilli 771 réfugiés latino-américains entre 1973 et 1987, dont près de la moitié étaient mineurs.

Entre les associations, les municipalités de gauche et les pouvoirs publics, "tout un réseau s'est créé pour accueillir au mieux les réfugiés latino-américains", ajoute-t-elle.

La gauche française, qui contrôlait encore beaucoup de mairies en France, "nous a permis de nous émanciper", de trouver un travail, "d'exister", commente José Luis Munoz, un Uruguayen de 74 ans arrivé en France en 1976, après le coup d'État en Argentine.

Pour beaucoup, l'Hexagone n'était même pas la première destination. Un autre Uruguayen, José Luis Rodriguez, 75 ans, raconte avoir atterri en Europe avec une seule idée : "annoncer à mes parents que j'étais vivant."

Héritage

Dans la France de l'après-mai 1968, la mort du président chilien avait choqué une gauche qui cherchait à s'unir et finirait pas prendre le pouvoir en 1981 avec le socialiste François Mitterrand.

"Allende représentait pour la gauche quasi mondiale un espoir pour cette fameuse troisième voie : un régime socialiste, de gauche, mais en même temps démocratique", explique Philippe Texier, ex-magistrat français de 82 ans qui a fondé le Comité des juristes pour le Chili afin de dénoncer publiquement les crimes du régime Pinochet.

En ce sens, le coup d'Etat au Chili est devenu "une histoire française", abonde la réalisatrice franco-chilienne Carmen Castillo, 78 ans, chassée du pays par la dictature en 1974, et qui trouva refuge en France.

Malgré la "déchirure" de l'exil, elle dit avoir reçu un "cadeau" loin de chez elle : le cinéma, avec lequel elle cherche à "lutter contre la machine de l'oubli".

Pour son œuvre, cette ancienne militante du MIR, un groupe de gauche révolutionnaire, a été décorée en juillet de la haute distinction de la Légion d'honneur française, au grade de "chevalier".

Une "reconnaissance" selon elle pour ces Chiliens qui ont servi de trait d'union entre Chili et France... et dont l'héritage est encore visible aujourd'hui.

En 2022, deux enfants de Chiliens exilés, Rodrigo Arenas et Raquel Garrido, sont devenus députés français. Tous deux pour la gauche radicale.

"Nous avons été élevés dans une conscience politique très forte", explique Rodrigo Arenas, arrivé en France à l'âge de quatre ans, en 1978. "Pour moi, c'était un peu le monde de la Guerre des étoiles, avec Pinochet en Dark Vador. Nous étions les Jedi."

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