Congrès des notaires : Christiane Taubira réussit son examen de passage
Réunis en congrès à Montpellier jusqu’au 26 septembre, sur le thème de la transmission, les notaires ont réservé un accueil chaleureux à leur ministre de tutelle. Christiane Taubira a su trouver les mots pour amadouer la profession, et s’est bien gardée d’évoquer les sujets qui fâchent.
Sur le site internet qu’ils consacrent, comme chaque année, à leur congrès, les notaires ont réservé un espace à la garde des Sceaux. Mais en cliquant sur “le point de vue du ministre”, l’internaute découvre une photo de… Michel Mercier, qui n’occupe plus ce poste depuis le mois de mai. La titulaire, Christiane Taubira, n’est pas rancunière. Le 24 septembre, elle a participé avec enthousiasme à la séance d’ouverture du 108e Congrès des notaires, à Montpellier. Elle a dit aux praticiens exactement ce qu’ils voulaient entendre, tout en évitant les sujets qui fâchent.
“Je suis venue avec curiosité, en terre inconnue”, affirme tout sourire la ministre, vêtue d’un pantalon noir et d’une veste framboise. S’exprimant sans notes, Christiane Taubira insiste ensuite sur “l’utilité” de la profession, la “confiance” dont sont investis les notaires, la “rigueur” dont ils font preuve et, à plusieurs reprises, le rôle de “service public” qu’ils remplissent. A chaque fois, elle recueille des applaudissements nourris. “Tous les pays n’ont pas choisi de créer une profession assurant l’authenticité des actes juridiques”, rappelle-t-elle, en opposant “deux philosophies”, celle du droit latin et celle de la common law. La ministre est parfaitement informée de la croisade menée par le notariat contre “le droit anglo-saxon”, comme l’a encore rappelé Benoît Renaud, président du Conseil supérieur du notariat (CSN), quelques minutes plus tôt.
Croisade contre l’Europe. Christiane Taubira ne peut non plus ignorer la défiance entretenue par la profession à l’égard des institutions européennes. Il est vrai que le notariat ne mâche pas ses mots. Alors que les services de la Commission discutent, à Bruxelles, de la modernisation d’une directive relative à la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles datant de 2005, Benoît Renaud fustige “une Europe de la doctrine, une Europe des eurocrates, une Europe des illusions”. Le débat, porté par le commissaire en charge du Marché intérieur, Michel Barnier – “un Français, pourtant”, s’insurge le président du CSN –, ne concerne pas seulement les notaires mais aussi “les infirmiers, professeurs de ski, détectives privés”. Pour la profession, cette réglementation est inadmissible car “contraire à notre statut de délégataire de l’autorité publique”. Autrement dit, c’est la nomination par la Chancellerie qui fait le notaire et non le diplôme. La ministre semble de cet avis. “Notre détermination sera entière”, lâche-t-elle à l’intention des praticiens, évoquant les négociations européennes.
La ministre admet volontiers ce que le droit doit à la profession, ce qui n’a pas été le cas de tous ses prédécesseurs. “Vous nourrissez, par vos éclairages, certaines politiques publiques”, avance-t-elle. Benoît Renaud n’en est pas peu fier. “Je constate que les notaires inspirent les parlementaires. Et si les juristes au Parlement sont surtout issus du barreau, le vote de lois nées dans nos congrès résonne comme un hommage au travail et à la créativité des notaires, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes”, sourit le président du CSN, qui ne peut s’empêcher d’ajouter, taclant les avocats : “chacun son domaine de compétences”.
Confiance présidentielle. Le notariat peut se permettre une pointe d’humour. Le rapport Attali, qui dénonçait en 2007 la “rente de situation” dont bénéficieraient les professionnels, semble loin. Le président Sarkozy avait alors repris à son compte cette formule, suscitant une défiance durable dans les rangs de la profession. François Hollande semble recevoir un meilleur accueil. A Montpellier, cette année, le président du CSN salue la présence du “conseiller à la Justice du président de la République” et ironise : “Une présence d’un conseiller n’a pas été si fréquente dans nos derniers congrès.”
Dans ces circonstances, le discours de Christiane Taubira est particulièrement bien accueilli. Conformément à la tradition, mais avec une chaleur perceptible, les quelque 3 900 praticiens installés dans le parc des expositions de Montpellier se lèvent et applaudissent longuement leur ministre de tutelle à la fin de son discours. Dans les couloirs, on ne parle que d’elle, “bien meilleur garde des Sceaux depuis des années” confie même un praticien, qui n’a manifestement pas gardé de Michel Mercier, Michèle Alliot-Marie ou Pascal Clément un souvenir impérissable.
Le “mariage pour tous” escamoté. La ministre aura su, il est vrai, éviter les thèmes les plus difficiles. Benoît Renaud s’est attardé sur l’augmentation du “droit de partage”, un impôt dû en cas de partage d’un bien en indivision, dont le taux est passé de 1,1% à 2,5%, au printemps dernier, avant les élections. Christiane Taubira se garde bien de répondre. “Vous n’avez pas été d’une grande charité avec le ministre des Finances”, se contente-t-elle de souligner. La ministre n’évoque pas non plus un autre sujet brûlant, le “mariage pour tous”, destiné à permettre l’union des couples de même sexe. Le président du CSN l’a fait quelques minutes plus tôt, mais de manière extrêmement mesurée, sans prendre position. “Il est évident que le notariat ne peut pas être absent de ce débat”, s’est-il contenté de souligner. Lors de précédents congrès, la simple évocation des couples de même sexe avait suscité des huées parmi les notaires, nuisant à l’image de la profession. Ce n’est que face à des caméras de France 3 Languedoc-Roussillon que Benoît Renaud livre le fond de sa pensée : “Nous sommes extrêmement prudents face à l’accès à la procréation médicale assistée et à l’adoption.”
La seule critique lancée par la ministre à l’égard des officiers publics porte sur la parité. Soulignant que la progression du nombre des notaires s’accompagne d’une féminisation de la profession, Christiane Taubira rappelle que seuls 30% des praticiens sont des femmes. “C’est pas mal. C’est mieux que l’Assemblée nationale. C’est moins bien que le gouvernement”, s’amuse-t-elle, avant d’observer que “dans les organes de direction de la profession, les femmes sont encore moins nombreuses”. Les notaires rient et applaudissent, conquis.