Comment franchir la délicate étape de la transmission d'entreprise familiale ?

Reconnues comme un atout pour l'économie locale, les entreprises familiales souffrent de ne pas être suffisamment transmises. Etat des lieux et témoignages, lors d'une récente table ronde, organisée par l'Ajpme, Association des journalistes spécialisés dans les PME.

Partners corporate relationship concept. Close up handshake of business people in meeting attendance.
Partners corporate relationship concept. Close up handshake of business people in meeting attendance.

Transmettre son entreprise à sa famille, un exercice qui demande rigueur et doigté ! C’est ce qu’a montré la table ronde «Transmettre son entreprise en famille : quels sont les freins et difficultés à surmonter?», organisée récemment par l’Ajpme (Association des journalistes spécialisés dans les PME) à Paris.

Au niveau global, tout d’abord, les entreprises familiales représentent 17% des cessions annuelles en France, soit 2 600 entreprises (aux effectifs compris entre 10 et 5 000 salariés), a rappelé Alain Tourdjman, directeur des études économiques et de la prospective de a banque BPCE, qui consacre un Observatoire à la cession-transmission des entreprises. La situation diffère selon les secteurs : dans le commerce du gros et de détail, le transport et la construction, par exemple, le taux de transmission des entreprises familiales s’avère très supérieur à la moyenne nationale. En revanche, il est inférieur pour les secteurs comme l’information-communication, les activités technologiques ou la santé, qui requièrent des formations longues. 

Autre paramètre qui détermine une transmission familiale plus ou moins fréquente : la taille de l’entreprise. «Aujourd’hui, la transmission familiale se fait plus dans les entreprises les plus petites. Le taux se réduit au-delà de 100 salariés», observe Alain Tourdjman. Pascal Ferron, vice-président de Walter France, réseau de cabinets d’expertise-comptable et conseil, l’observe au quotidien, quand il reçoit des artisans et commerçants modestes dans son cabinet d’expert-comptable (qu’il a lui-même repris de son père) : «On constate plus de transmission dans les toutes petites entreprises (…), il existe une sorte de compagnonnage de l’un des enfants avec le père ou la mère.»

L’indispensable
anticipation

En France, l’outil le plus souvent utilisé lors des transmissions d’entreprises familiales est le pacte Dutreil, jugé globalement satisfaisant par les professionnels présents à la table ronde. Il permet, sous certaines conditions, de bénéficier d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence des trois quarts de la valeur de l’entreprise transmise. «A condition de s’organiser, on ne peut pas dire que le coût fiscal soit un frein (…). Le problème réside plutôt dans le fait que les patrons d’entreprise ne s’organisent pas à l’avance», pointe Marielle Poisson, avocate, fondatrice du cabinet Dikaios, évoquant certains clients qui commencent à s’inquiéter de leur succession à 65 ans… «Il faut anticiper avec le chef d’entreprise sur une dizaine d’années. Cela permet d’éviter les frottements fiscaux et dans le cadre familial», préconise Pascal Ferron.

C’est ce qu’a fait Philippe Grodner, président du groupe de lingerie féminine Simone Pérèle, qui compte 2 000 salariés pour un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros. «J’ai voulu anticiper. Il y a une quinzaine d’années, j’avais 45 ans, et j’ai commencé à réunir les membres de la famille avec un psychologue d’entreprise pour nous aider à nous organiser», explique-t-il. Au terme de la  transmission, la totalité du capital est resté familial. En 2005, l’un des enfants a été nommé directeur général, coopté par les autres membres de la famille. Lesquels ont reçu une formation pour devenir des actionnaires responsables. Philippe Grodner, lui, est resté président non opérationnel.

Les conflits familiaux,
en tête des problèmes

Egalement président de FBN, Family Business Network, réseau qui regroupe des entreprises familiales, Philippe Grodner met en garde : aux Etats-Unis, la moitié des entreprises familiales ne passent pas la troisième génération pour des raisons de conflit familial. «Nous passons souvent plus de temps à concilier les parties qu’à régler des aspects juridico-techniques. L’expert-comptable n’est pas seulement un expert en comptabilité», approuve Pascal Perron. Les sources possibles de conflit sont innombrables : les enfants actionnaires qui se sentent lésés par rapport à celui, bien rémunéré, qui dirige l’entreprise ; ceux qui avaient accepté de jouer le rôle d’actionnaire dormant et, brusquement, veulent toucher des sommes importantes ; mais aussi l’ombre pesante d’un père ou d’une mère trop génial(e) qui refuse de s’effacer…

«Il faut prendre du recul, c’est ce que j’essaie de faire», confirme Michel Bourel, président de Cavavin, réseau de franchise qui compte 157 points de vente (dont 153 tenus par des franchisés). Lui-même a fondé son entreprise en 1985. Il y a trois ans, il a laissé la main à son gendre, ne conservant que le titre de président, pour deux ans encore. Une fois par semaine, il se rend dans les locaux de l’entreprise. «Il y a des petites choses au quotidien qui peuvent détériorer l’atmosphère», constate Michel Bourel. A l’image de la nouvelle gestion des frais de déplacements, pas suffisamment économe aux yeux de cet entrepreneur issu d’un milieu populaire…

Une étape scrutée par
tout l’environnement

«Quand on arrive à 60 ans, les questions commencent à se poser. En franchise, on s’intéresse à l’âge du capitaine», poursuit Michel Bourel. Partenaires habituels de l’entreprise, salariés, franchisés, potentielles recrues… l’échéance de la transmission d’une entreprise familiale est scrutée par tous, témoignent ces chefs d’entreprise qui ont passé la main. Ainsi, si Michel Bourel a jugé que son gendre était apte à reprendre l’entreprise, c’est notamment en raison de «sa capacité d’écoute, de contact, qui fait partie de l’ADN de la franchise», explique-t-il. Du côté des salariés, l’annonce de la reprise familiale a été un «soulagement», selon Michel Bourel : les 45 salariés, basés à La Baule, étaient loin d’être assurés de conserver leur emploi en cas de reprise par un fonds d’investissement…

Mais le caractère familial n’apparaît pas forcément comme un atout aux yeux de tous. «Si vous voulez attirer des talents, il faut que la gouvernance soit claire», pointe Philippe Grodner. En clair, une entreprise familiale peut décourager de potentielles recrues qui peuvent redouter de travailler dans une entreprise… avec des incompétents nommés à des postes clés, ou des actionnaires intrusifs. Outre le manque d’anticipation et les conflits familiaux, d’autres causes peuvent faire échouer ou complexifier les transmissions d’entreprise d’après l’Observatoire de la BPCE. Notamment, le fait que les entreprises ne soient pas en assez bonne santé pour permettre leur reprise, le besoin de capital du dirigeant pour prendre sa retraite, la difficulté de trouver un repreneur potentiel au sein de la famille, ou encore la nécessité de maintenir l’équité entre les héritiers.

Repères

180 000€ 

C’est la valeur moyenne de transmission d’un fonds
de commerce en France en 2015. Le montant moyen est
de 162 700 euros pour une TPE, de 324 742 euros pour une PME
et de 465 669 euros pour une ETI.

Source : Direction de l’information légale et
administrative.

40%

C’est la proportion de conseils considérant en
2016 que les prix des PME sont surévalués. Et 85% pensent que les
dirigeants surestiment systématiquement la valeur de leur entreprise au
début de leur projet de cession.

Source : Baromètre transmission PME de la
CNCFA.