Clé d’un développement territorial harmonieux ?
Effet de mode ou tendance de fond ? Un peu partout, sous des formes diverses, des expériences de circuit court se déploient. Le Labo de l’Économie sociale et solidaire s’efforce d’en saisir les logiques afin d’en tirer des outils pour les acteurs des territoires qui s’y engagent.
De l’entrepreneur social 2.0 à la Société à participation ouvrière au PDG tiré au sort, c’est peu dire que les porteurs des projets de circuits courts présentent des profils différents. Ils étaient côte à côte pour présenter leur démarche, ce 12 janvier, à Paris, lors des deuxièmes rencontres des circuits courts, organisées par le Labo de l’ESS. À la base, au sein du Labo, l’objectif consiste à fournir des outils utiles aux acteurs des circuits courts. Exemple, un questionnaire permettant d’évaluer son projet à l’aune des critères sociaux et solidaires dans les différentes étapes, comme la fixation du prix. Pour ce, de multiples expériences de circuits courts en cours ont été analysées. Parmi elle, celle d’Ambiance Bois. Sise sur le plateau de Millevaches (Limousin), cette société à participation ouvrière commercialise des produits du bois, depuis vingt-six ans. Vingt-six personnes y travaillent. «Nous avons trois activités principales. Notre spécificité est d’englober tous les secteurs de l’arbre à la maison», explique Rémy Cholat, coopérateur. La société produit du matériel de bois non traité pour l’aménagement de la maison, à l’image du parquet, avec un millier de références. Mais la société construit aussi des maisons à ossature de bois, dotées d’isolements réalisés avec des matériaux comme l’ouate de cellulose. «Ce sont des maisons passives. Elles ne nécessitent pas de chauffage», précise Rémy Cholat. Dernier pan d’activité : le bois énergie, avec le recyclage de matériaux. Les copeaux sont utilisés pour le chauffage, en interne. La sciure est commercialisée pour chauffer les bâtiments communaux. «Nous utilisons les ressources locales», ajoute Rémy Cholat. Le mélèze provient de la région, dans un rayon de 50 km.
L’éthique, le savoir-faire et la proximité
Apparemment à mille lieues d’Ambiance Bois, 1083, marque de jeans et chaussures Made in France a été fondée et est aujourd’hui gérée par Thomas huriez, jeune entrepreneur qui a fait ses classes dans la mode éthique. Basée dans la Drôme, la société commercialise des jeans en coton bio et des baskets à moins de 100 euros. Ces dernières sont produites à Romans, alors que les vêtements sont réalisés à Marseille par une petite société familiale. Mais ce qui motive Thomas huriez, ce n’est pas tant la notion de pays mais combien celle de proximité. «Cela responsabilise», explique-t-il, évoquant le tragique effondrement de l’immeuble du Rana Plaza où travaillaient des sous-traitants en textile au Bangladesh : la distance rend la chaine des responsabilités complexe à remonter… A contrario, Thomas huriez s’applique à favoriser «la proximité entre le client et le fabricant». Ainsi, sur la page Facebook de l’entreprise, les ouvriers reçoivent un retour direct des clients sur leur travail… «C’est aussi un facteur de valorisation de métiers qui risquent de disparaître», précise le jeune entrepreneur.
Tous les circuits courts ne sont pas vertueux
Ces exemples très différents font partie des 400 initiatives analysées par le Labo de L’ESS. Pour celui-ci, ces systèmes de relations appartiennent au registre de la coopération, et débouchent sur des formes de développement territorial. «Dans un contexte de crises multiples, un ensemble de démarches essaient de rapprocher les producteurs et les consommateurs», constate Yuna Chiffoleau, Chercheur en sociologie à l’INRA de Montpellier. Leurs motivations sont diverses : pour certains, il s’agit de défendre des valeurs. Pour d’autres, simplement de trouver des solutions concrètes aux problèmes locaux, être plus efficaces. En revanche, point commun à toutes ces démarches de circuit court, «l’innovation est d’abord organisationnelle», ajoute Philippe Serizier, chercheur au sein de l‘ Institut CDC pour la Recherche. La gouvernance de ces projets constitue l’un des enjeux forts des circuits courts. Autre point essentiel : la symbiose des projets avec les différentes échelles territoriales : difficile pour un projet de circuit court de prospérer, si par exemple, la région ne le favorise pas…
Mais, met en garde Yuna Chiffoleau, «tous les circuits courts ne sont pas sociaux et solidaires. Il y a aussi beaucoup d’opportunisme, de dérives dans un circuit qui reste non contrôlé». C’est le cas, illustre la chercheuse, dans le circuit alimentaire, où certaines initiatives constituent une concurrence pour des projets de circuits courts plus vertueux.