Chlordécone aux Antilles: au Sénat, des débats sur l'indemnisation des victimes terminent dans l'indignation

Imbroglio rarissime au Sénat: l'examen d'un texte pour indemniser les victimes des ravages du chlordécone aux Antilles a été écourté mercredi, les élus ultramarins, macronistes et la gauche s'indignant de voir cette initiative...

L'hémicycle du Sénat, à Paris, le 23 janvier 2025 © Ludovic MARIN
L'hémicycle du Sénat, à Paris, le 23 janvier 2025 © Ludovic MARIN

Imbroglio rarissime au Sénat: l'examen d'un texte pour indemniser les victimes des ravages du chlordécone aux Antilles a été écourté mercredi, les élus ultramarins, macronistes et la gauche s'indignant de voir cette initiative "dénaturée" par la droite et le gouvernement.

C'est une scène à laquelle les couloirs feutrés du Palais du Luxembourg ne sont pas habitués... Mercredi après-midi, les débats visant à reconnaître la responsabilité de l'Etat sur le scandale du chlordécone, un pesticide utilisé en Guadeloupe et à la Martinique jusqu'en 1993 malgré des alertes sur sa dangerosité, ont tourné court.

Le sénateur de Guadeloupe, Dominique Théophile, membre du groupe RDPI composé de sénateurs ultramarins alliés aux élus macronistes, a décidé de retirer des débats la proposition de loi qu'il portait après l'adoption d'un amendement soutenu par le gouvernement.

M. Théophile espérait en effet faire inscrire dans la loi la responsabilité de l'Etat dans "les préjudices moraux et sanitaires" subis par les populations antillaises et leur octroyer une indemnisation.

Mais la majorité sénatoriale, une alliance entre la droite et l'Union centriste, a nettement réduit la portée de son initiative en limitant la reconnaissance de la France aux seuls "dommages sanitaires".

Cela exclurait, selon l'auteur du texte, le "préjudice moral d'anxiété" causé par l'utilisation de ce pesticide répandu dans les bananeraies et responsable d'une pollution massive et persistante des sols et de l'eau aux Antilles françaises.

Or ce préjudice "d'anxiété" a été reconnu par la cour administrative d'appel de Paris dans une décision datant du mois de mars, ouvrant la voie à une indemnisation des victimes pouvant le démontrer.

"Je ne pouvais pas laisser prospérer un texte dénaturé", a réagi M. Théophile auprès de la presse. "Nous ne pouvons pas écrire un texte qui exclut ce que nous avons déjà gagné" en justice, a-t-il ajouté, dépité, assurant ne pas vouloir "aller à l'encontre de ce que désire le peuple guadeloupéen et martiniquais".

Mépris de l'angoisse

Il a été soutenu dans sa démarche par plusieurs sénateurs d'outre-mer de différents groupes, par l'ensemble de la gauche et par son groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI), pourtant composé largement d'élus macronistes qui soutiennent le gouvernement. 

Plusieurs sénateurs ultramarins, dont le socialiste Victorin Lurel, ont indiqué que dans ces conditions, il vaudrait mieux reprendre dans les prochains mois une proposition de loi "mieux-disante", déjà adoptée à l'Assemblée à l'initiative du socialiste Elie Califer sur le même sujet.

Les débats ont en tout cas été tendus dans l'hémicycle. 

"Il est indéniable que la conscience de la contamination a été une source d'appréhension et d'anxiété pour certains publics. Pour autant, l'ériger en préjudice aboutirait à une procédure novatrice complexe", s'est inquiétée la sénatrice Les Républicains Marie Mercier. 

Le ministre de la Santé Yannick Neuder est allé dans le même sens, soutenant l'initiative sous réserve de certaines évolutions rédactionnelles plus "correctes juridiquement".

"Le préjudice moral, c'est la douleur morale liée au fait d'être atteint de la maladie (...) Il est reconnu. Le préjudice d'anxiété, c'est la crainte de développer la maladie. Et on n'ira pas sur ce dernier point", a-t-il assumé devant les sénateurs.

L'écologiste Yannick Jadot a fustigé "l'ambiguïté" du gouvernement: "Vous n'arrivez pas à trancher pour la santé au détriment des intérêts économiques. Ce vote, c'est le mépris de l'angoisse, de l'anxiété et des dégâts sanitaires (subis par) nos compatriotes antillais", a-t-il lancé, quand le chef des sénateurs socialistes Patrick Kanner a lui dénoncé "une mascarade" et "une séquence à marquer d'une pierre noire" pour les populations antillaises.

Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui a conclu en juillet 2021 à une relation causale probable entre chlordécone et risque de cancer de la prostate.

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