Calais Cœur-de-Vie : vers un renouveau tertiaire ?

La situation commerciale du Calaisis semble difficile. Alors que le camp de la Lande, autrement appelé la Jungle, a été démantelé il y a un peu plus d'un mois, les commerçants du centre-ville peinent à retrouver une clientèle. C'est encore plus vrai à Calais Cœur-de-Vie, centre commercial au cœur de la plus grande ville du Pas-de-Calais, racheté en 2014 par la municipalité pour un euro symbolique afin de revitaliser le centre-ville. Si le maire de Calais, Natacha Bouchart, est allée présenter le projet au MAPIC à Cannes les 16, 17 et 18 novembre derniers, beaucoup de Calaisiens ne se déplacent plus dans cette galerie commerciale au taux de remplissage d'à peine 50% et à la réputation négative tenace.

Frédéric Van Gansbeke pense que l'orientation prise par la municipalité est une bonne chose.
Frédéric Van Gansbeke pense que l'orientation prise par la municipalité est une bonne chose.

Réputation. Lorsqu’on leur demande leur avis à propos du centre commercial, les Calaisiens ont un avis plutôt… mitigé. “Il n’y a rien à y faire, tout est fermé“, dit Philippe, de passage devant la galerie. “C’est effrayant de voir un espace aussi grand et aussi vide“, constate Louise, une passante. Certains iraient jusqu’à croire que la galerie est complètement fermée ! Une mauvaise réputation qui mérite d’être expliquée. Pendant longtemps le centre commercial a eu la réputation d’avoir des loyers excessivement élevés. Ce qui était «plutôt vrai» au début selon Frédéric Van Gansbeke, gérant du Coin du Pain à Calais et président de l’union des commerçants du Calaisis. «Aujourd’hui, avoir une cellule à Calais Cœur-de-Vie n’est pas plus cher que sur un boulevard. Ça a été le cas, ça ne l’est plus depuis que la mairie a repris le flambeau. Après, au vu du flux, n’importe quel loyer serait excessif…» Le loyer de la surface commerciale à Calais Cœur-de-Vie est en effet d’environ 100 à 200 euros le mètre carré à l’année ; dans de grands centres commerciaux, il faut compter entre 600 et 700 euros… Un prix qui pourrait être alléchant au final, s’il n’y avait pas un problème au niveau foncier : les taxes foncières sont très élevées puisque indexées sur la valeur locative. «À l’époque, ils avaient trouvé des gens pour louer à des prix élevés. Aujourd’hui, il faut trouver le moyen de justifier la baisse de la valeur locative afin de baisser les taxes foncières.»

Conjoncture ? À Calais, tout semble aller contre un centre commercial à l’emplacement de Calais Cœur-de-Vie : le centre-ville se vide de ses commerces et les zones commerciales qui ouvrent sont principalement situées en périphérie de Calais et non en son centre. D’un autre côté, la concurrence directe de la Cité Europe n’est pas facile. Des enseignes ont investi l’un et l’autre des centres commerciaux, afin que l’ouverture d’un magasin aux 4B (ancien nom de Calais Cœur-de-Vie) ne vienne pas faire concurrence aux boutiques de la Cité Europe. Ce qui est déjà problématique pour le représentant des commerçants calaisiens : «Les doublons marchent dans les grandes villes telles que Lille, avec une clientèle qui a un gros pouvoir d’achat. À Calais, le tissu économique est vraiment plus difficile, ça ne marche pas de la même façon.» Et en 2008, après la crise, il a fallu faire des choix malgré des chiffres d’affaires très acceptables. Ainsi, la galerie est passée de 40 cellules occupées à 12 ou 13 par effet domino. Aujourd’hui, d’anciens locataires, qui connaissent le bâtiment, se renseignent sur l’éventualité d’un retour (LKG par exemple, qui était présent à l’époque, a passé un coup de fil suite à une intervention de Natacha Bouchart). Mais l’image de la ville a pâti de la crise migratoire ces dernières années et rend le contexte encore plus difficile pour le centre commercial.

Politique publique. D’autre part, Frédéric Van Gansbeke dénonce une politique de «paupérisation du centre-ville». Le commerçant explique : «Au moment où les communistes étaient à la tête de la Ville, on a détruit les tours, on a installé en centre-ville une catégorie socioprofessionnelle très basse, avec des revenus très bas. La clientèle est là et on ne s’en plaint pas, mais aujourd’hui on est confrontés à cette clientèle-là de façon quasiment exclusive et aujourd’hui le centre-ville de Calais n’attire pas la part la plus aisée de la population, partie habiter à Marck, Guemps… mais pas à Calais. Le problème est le même dans le centre-ville que dans le centre commercial. Ceci dit, il ne se limite pas aux murs de Calais Cœur-de-Vie.» Une population qui, du coup, reste en périphérie pour faire ses courses, là où se sont installées de vastes zones commerciales, puisque des enseignes comme Decathlon, L’Incroyable, etc. ne se voyaient pas investir Calais Cœur-de-Vie. Un véritable cercle vicieux pour le commerce de proximité en centre-ville.

Scénario catastrophe. À cause de ces problèmes, le centre commercial peine à trouver des enseignes prêtes à sauter le pas et à s’installer à Calais Cœur-de-Vie, qui fait quasiment figure de galerie fantôme avec une bonne part de ses rideaux métalliques baissés. «On était jusqu’à il y a deux ans dans une spirale perdante. Rien ne rouvrait, tout fermait», relate le gérant. «Tout le monde connaît l’historique du centre, enchérit Hélène Vantorre, directrice du centre commercial. C’est un peu le loup. Il faut qu’on rentre en contact avec les responsables développement des différentes marques. Jules, Celio, H&M auraient pu rester ici parce que ces magasins avaient de bons chiffres d’affaires. Mais les loyers étaient tellement démesurés que ça ne pouvait pas le faire.» Le scénario catastrophe serait une friche commerciale de 10 000 m² en plein centre-ville, scénario que veulent à tout prix éviter les différents acteurs économiques. «Si la situation se présente, explique la directrice, on va devoir refaire une ouverture avec 20 enseignes, mais le projet va prendre 10 ou 15 ans avant de se mettre en place et d’être abouti. Donc on va essayer d’éviter ça.»

Et après ? Les projets sont nombreux. Le 25 novembre, le comptoir de l’îlot a été inauguré en présence de Natacha Bouchart et des associations en lien avec l’Îlot Jacquard, projet immobilier prévu pour 2018 et censé regrouper différentes associations. Une école de langues est prévue pour 2017. Les Eaux de Calais, quant à elles, sont d’ores et déjà installées dans le centre. Ainsi, la galerie ne serait plus seulement un centre commercial, mais se concentrerait davantage sur des activités tertiaires. «Il ne faut pas essayer de faire concurrence à la Cité Europe. Vu leur envergure, ce serait perdu d’avance. Il faut que nous soyons complémentaires.» D’autre part, différents services vont être mis en place afin de faire venir les commerçants dans le centre commercial. Tout d’abord, Hélène Vantorre prévoit de laisser à disposition certaines cellules vides afin de dégager une sorte d’espace publicitaire pour d’autres commerces à proximité. Ainsi, Turquoise, une boutique de vêtements pour les plus jeunes située à quelques encablures, a pu indiquer l’emplacement de sa boutique. D’autre part, le projet de pépinière commerciale mûrit dans la tête d’Hélène Vantorre : «Lorsqu’on démarre, c’est compliqué de tenir seul une boutique entre 10h et 19h, six jours sur sept. Cela peut constituer un frein en soi. C’est pourquoi la mutualisation, via un espace dédié, peut être intéressante, en cas d’arrêt maladie ou pour le cas où certains aimeraient faire leur comptabilité, par exemple.»

Tertiaire ? L’idée d’un développement du centre commercial vers le tertiaire fait donc son chemin. Pour Frédéric Van Gansbeke, il s’agit d’une bonne orientation : «J’ai toujours dit qu’il faudrait sortir du 100% commercial. Il faut faire un centre de vie, où on retrouverait des services par exemple. Là, la crèche et le centre médical ouverts, c’est une bonne chose. Une dynamique se recrée. Le problème pour le commerce, ce sont les flux en ville. Le centre-ville n’attire pas les flux. Ici, il y en a.» Reste à savoir si les services amèneront suffisamment de personnes et de clients pour tourner définitivement la page du centre commercial aux 50% de cellules inusitées…

CAPresse

Un mercredi matin dans le centre commercial, les décorations de Noël donnent un drôle de visage à la galerie...

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Frédéric Van Gansbeke pense que l'orientation prise par la municipalité est une bonne chose.