Bombardier transport augmente sa capacité de production

Au mieux de sa forme, Bombardier Crespin va rejoindre Alstom

Bombardier l’appelle le "plan 1 000". Son site de Crespin, dans le Valenciennois, ne va plus produire 700 voitures de train par an, mais 1 000 dès cette année. Le groupe, pour y parvenir, augmente sa capacité de production, ses équipes, ses investissements alors même que l’ensemble de la branche Bombardier transport intègre Alstom ce 29 janvier. Ce n’est pas rien : cette acquisition fait d’Alstom le deuxième groupe ferroviaire mondial.

Bastien Cattelain (à gauche) et Stefaan D'Haene ont chapeauté le "plan 1 000" de Bombardier.
Bastien Cattelain (à gauche) et Stefaan D'Haene ont chapeauté le "plan 1 000" de Bombardier.

Le carnet de commandes est plein pour les cinq prochaines années au moins. Bombardier Crespin a encore devant lui la production de 66 des 360 Franciliens achetés par l’Île-de-France et la SNCF, 190 plateformes OMNEO, et, sous forme de consortium, de 71 RER NG, 314 M7 belges et 44 rames MF 19 pour le métro parisien. Le premier confinement lié au coronavirus a amené du retard dans la production, mais ce n’est pas seulement cela qui a décidé Bombardier à fabriquer 1 000 voitures par an. En effet, le train est redevenu un moyen de transport privilégié et les commandes affluent.

Ainsi, «2019 a été la meilleure année de fréquentation de nos TER, confirme la SNCF. Nous étions en progression constante depuis 2016». Le réseau connaissait jusqu’alors plusieurs années difficiles. Les horaires n’étaient plus adaptés ; le matériel, pas assez entretenu ; les trains, trop vieux, trop chers. Les usagers préféraient les éviter... La SNCF a donc revu sa copie en 2015, décidé de modifier ses offres et de maîtriser sa masse salariale ainsi que les prix demandés aux régions. Les résultats ont été là : entre 2015 et 2019, la fréquentation a augmenté de 15% dans les Hauts-de-France. L’Etat, de son côté, s’est engagé à atteindre la neutralité carbone en 2050 et mise beaucoup sur l’amélioration des modes de transport, le ferroviaire tout particulièrement. Dans son plan de relance, il lui consacre plus de 5 milliards d’euros.

«Nous bénéficions de cette conjonction, sourit Bastien Cattelain, le concepteur du "plan 1 000". Le marché du ferroviaire est en forte croissance et a besoin de transports fiables et modernes. Nous proposons des produits qui répondent parfaitement à cette demande.» «Nous sommes les seuls à bénéficier du label Origine France garantie», ajoute Stefaan D’Haene, directeur des ressources humaines France-Benelux de Bombardier.

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Bientôt 2 000 salariés travailleront à Crespin pour produire 1 000 voitures de train par an.

Un investissement de 25 millions d’euros

Jusqu’à présent, le site ne pouvait fabriquer que 700 voitures par an. C’est beaucoup plus que la cinquantaine du début des années 2000, mais pas assez pour tenir les délais de livraison. Alors, Bombardier investit 25 millions d’euros à Crespin pour passer le cap.

Avec cette somme, le groupe compte ajouter des postes de montage, de nouvelles lignes de production, de l’outillage plus performant ; se moderniser en robotisant et digitalisant ; s’agrandir en augmentant, par exemple, la capacité de stockage de son magasin extérieur. Il ne lui faut pas seulement améliorer son site industriel, mais aussi s’assurer qu’il pourra être approvisionné pour suivre la cadence. Bombardier utilise donc 4 de ces 25 millions d’euros pour équiper 23 de ses fournisseurs. 

Sirail, spécialisé dans le câblage ferroviaire, est l’un de ces fournisseurs. Les commandes de Bombardier ont représenté 26 de ses 65 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019. Le "plan 1 000" va doubler son travail sur les voitures de train NAT ("Nouvelle automotrice Transilien") et augmenter de 70% celui sur les REGIO 2N. Sirail va donc avoir besoin de réorganiser les 10 000 m² de son site de Crespin, d’avoir de nouvelles tables de production, d’ajouter des ponts roulants, de s’acheter de nouveaux outils comme du matériel à sertir, de redimensionner sa supply-chain interne, et de recruter 85 équivalents temps plein supplémentaires sur son site de Crespin.

Un recrutement de 400 personnes en CDI

De même, Bombardier Crespin va avoir besoin d’embaucher. Le "plan 1 000" prévoit de renforcer le personnel de 400 CDI supplémentaires. Le site comptait 1 480 personnes en CDI en août, avec un renfort de 400 à 500 intérimaires ; 200 d'entre eux se sont vu offrir un contrat à durée indéterminée ; 93 personnes extérieures ont été recrutées pour des postes de cadres, d’employés techniques et d’agents de maîtrise. Il reste encore 90 postes à pourvoir. Bombardier tend également la main aux entreprises en difficulté de la région pour recueillir leurs salariés prêts à franchir la passerelle. Les discussions sont en cours avec Stelia et Vallourec, mais aussi Hop ! et Bridgestone. La Région s’est proposée, de son côté, pour convoyer ces salariés volontaires quotidiennement jusqu’au site de Crespin. Stefaan D’Haene précise : «350 de ces 400 embauches sont en production» ; 500 intérimaires continueront d’appuyer le travail. «Notre plan sera entièrement mis en place mi-2021», ajoute Bastien Cattelain.

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Le "plan 1 000" prévoit de renforcer le personnel de 400 CDI supplémentaires.

Alstom et Bombardier, «un mariage d’égaux»

«Ces investissements arrivent trop tard», déplore cependant Pascal Luissiez, technicien en conception de chaîne de montage et représentant de la CFDT. L’ensemble de la branche Bombardier transport passe en effet, ce 29 janvier, dans le giron d’Alstom.

«Le groupe Bombardier Inc. a commencé son activité ferroviaire au milieu des années 80, explique Stefaan D’Haene. Le groupe voulait devenir un acteur global et l’Europe représentait 70% du marché ferroviaire mondial. Les ANF, ici à Crespin, avaient participé à la construction du métro de New York. Le groupe s’en est porté acquéreur en 1990.» Il a investi 500 millions de francs pour moderniser cette usine de 1882 et, l’année suivante, passait non seulement de 1 050 à 2 000 salariés mais était aussi choisi pour fabriquer la première navette double niveau du tunnel transmanche. «Je me souviens qu’il y a 30 ans, notre travail ressemblait un peu à de l’artisanat, raconte Pascal Luissiez qui faisait partie des effectifs des ANF. On coupait même nos panneaux sur place. Aujourd’hui, le travail est plus standardisé, les matériels se sont complexifiés. Il faut beaucoup de métiers mais nous sortons des trains complets.»

«On a développé de l’ingénierie à Crespin, confirme Stefaan D’Haene, et ça nous a permis de remporter de grands projets.» Les AGC (Autorail articulé à grande capacité), trains à la fois diesel et électrique, ont été leur deuxième grande victoire. En 2001, la SNCF et les régions lui en commandaient 700 exemplaires. En 2007, les AGC sont devenus bimodes et bicourants. En 2019, Bombardier présentait son projet de trains à batteries «zéro émission».

Seulement, Bombardier Inc., dont le siège est à Montréal, au Canada, n’est pas présente que dans le ferroviaire mais aussi dans l’aéronautique. «Il y a eu quelques difficultés avec ses C-Series, reconnaît Stefaan D’Haene, et cela a généré une dette beaucoup trop importante pour le groupe. Il a décidé de se recentrer sur les avions d’affaires.» Dans un communiqué de presse, Eric Martel, le président et chef de la direction de Bombardier, explique que cette vente «permettra de commencer à remodeler notre structure de capital et d’assainir notre bilan par une réduction de la dette».

Alstom, présent depuis 100 ans à Petite-Forêt dans le Valenciennois, cherchait à s’agrandir. Il n’a pas perdu cette information. «C’est un mariage d’égaux», avance Bastien Cattelain. «Nous avons des carnets de commandes assez proches, poursuit Stefaan D’Haene. Il est de 33 à 34 milliards d’euros chez Bombardier transport, de 37 chez eux. Nous avons 35 000 employés ; eux, pareil.» «Ils acquièrent avec Crespin le bijou de famille», renchérit Bastien Cattelain. «Alstom, c’est comme notre cousin, mais nous, nous sommes Bombardier, pointe Pascal Luissiez. Depuis un certain nombre d’années, nous voyons la situation financière se dégrader. On manquait d’investissements, de formations. Les emplois n’étaient plus renouvelés. Cela nous manquait, c’était difficile, mais on continuait de faire des produits géniaux qui intéressent beaucoup de monde. Nous sommes contents d’être repris, mais c’est comme si on perdait notre identité quelque part.»

Alstom emploie, à Petite-Forêt,1 450 personnes en CDI et en CDD, ainsi que 250 intérimaires. Derrière ces chiffres se cachent un centre d’excellence pour la conception, le développement, la fabrication, la validation et les essais de matériels ferroviaires comme les métros, dont celui de Lille, les trams-trains, les trains à double niveau, mais aussi un centre mondial des intérieurs de trains, de métros, de tramways, de bus, et un centre de services dédié au soutien logistique, au support technique et vente de pièces détachées.

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Le site de Crespin permettra d’accélérer les ambitions d’Alstom d’accéder, entre autres, à d’importantes ressources techniques et de recherche et développement pour lui permettre de mener ses projets d’innovation pour une mobilité plus verte et durable.

Une volonté d'être le leader mondial de la mobilité durable et intelligente

Il ne faut pas se fier aux apparences. Ce «mariage d’égaux» n’est pas anecdotique : Alstom, en acquérant Bombardier transport pour un peu plus de 5 milliards d’euros, devient le numéro 2 mondial du ferroviaire derrière le groupe chinois CRRC et ses 26 milliards d’euros de chiffre d’affaires. «Bombardier nous apportera une présence géographique élargie qui facilitera notre accès à des marchés clés comme l’Amérique du Nord, le Royaume-Uni, l’Allemagne, nous explique-t-on chez Alstom. Il nous amène aussi des niches sélectives et attractives, des produits spécifiques qui complèteront notre portefeuille afin de répondre avec plus de justesse aux besoins de solution de mobilité sur mesure de nos clients. Bombardier représente, par ailleurs, la plus importante flotte de trains installée et un vaste réseau de sites de maintenance.» Ce n’est pas tout. Le site de Crespin permettra d’accélérer les ambitions d’Alstom sur le segment de la signalisation ; d’avoir accès à un portefeuille d’innovation fourni ; d’accéder à d’importantes ressources techniques et de recherche et développement pour lui permettre de mener ses projets d’innovation pour une mobilité plus verte, durable, et plus intelligente. Alstom, dès le 29 janvier, sera grand de 76 000 salariés et de 15,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Le principal actionnaire d’Alstom viendra lui aussi de Bombardier. La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDFQ) aura 18% de son capital et des droits de vote. «C’est un investisseur stratégique reconnu, dit-on chez Alstom, avec une approche de long terme. Il possède un historique d’investissement à succès dans le transport ferroviaire. Il s’est engagé à réinvestir chez nous les 2 milliards d’euros que lui rapportera la cession de sa participation chez Bombardier transport dont il détenait 32,8% du capital, et à réaliser un investissement additionnel de 0,7 milliard.» Alstom s’approche ainsi un peu plus de son ambition de devenir le leader mondial de la mobilité durable et intelligente. Les salariés de Bombardier sont décidés à porter haut leurs couleurs jusqu’à la dernière heure du dernier jour. Et le Valenciennois, avec la naissance de ce géant, se voit confirmé en tant que premier territoire ferroviaire de France.

Bombardier invente les TER à batteries

Cinq régions se sont portées volontaires pour tester ces nouveaux trains qui n’avanceront plus grâce à un moteur diesel mais avec des batteries. C’est une révolution : ça fera diminuer les émissions de carbone dans l’atmosphère. Les Hauts-de-France font partie du banc d’essai. Comme la Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes, PACA et l’Occitanie, la Région a investi 5,4 millions d’euros dans le projet. La SNCF a, pour sa part, mis 6 millions sur la table et Bombardier 5,5.

L’entreprise de Crespin va effectuer les premières transformations sur cinq rames AGC-bimode en fin d’année. Les essais de validation auront lieu en 2022, avec l’idée d’une mise sur le marché dès 2023. Dans les Hauts-de-France, c’est l’Oise qui verra en premier circuler ces nouveaux trains sur sa ligne Abancourt-Beauvais-Creil. Les batteries permettront aux rames d’avoir une autonomie d’au moins 80 kilomètres. Elles se rechargeront lors des traversées de section électrifiée ou lorsque le train freine, pour diminuer son empreinte environnementale. «Les TER diesel représentent encore un quart des 2 255 trains du parc TER, le TER à batteries est une solution zéro émission», se félicite Christophe Fanichet, président directeur général de SNCF Voyageurs.