"C'est notre Coupe du monde": à Sète, la passion des joutes nautiques

Comme presque chaque été à Sète depuis 1744, les champions de la joute languedocienne se sont affrontés sur les flots lundi, perpétuant une discipline sportive ancestrale qui forge l'identité de cette ville du sud-est de...

Les champions de la joute languedocienne s'affrontent à Sète (Hérault) le 21 août 2023 © Sylvain THOMAS
Les champions de la joute languedocienne s'affrontent à Sète (Hérault) le 21 août 2023 © Sylvain THOMAS

Comme presque chaque été à Sète depuis 1744, les champions de la joute languedocienne se sont affrontés sur les flots lundi, perpétuant une discipline sportive ancestrale qui forge l'identité de cette ville du sud-est de la France et fascine jusqu'aux plus jeunes.

Sous une température caniculaire, atténuée par une brise venue de Méditerranée, des milliers de spectateurs ont pris place dans des tribunes dressées au coeur du "Cadre royal", de part et d'autre du grand canal de cette ville portuaire, pour le grand tournoi des fêtes de la Saint-Louis. Certains sont aussi massés sur de petites embarcations familiales amarrées aux quais ou même dans l'eau, sur de simples bouées.

A l'arrière d'une barque manœuvrée par 10 rameurs, juchés sur une plate-forme à trois mètres du niveau de l'eau (la "tintaine"), les jouteurs tout de blanc vêtus essaient de pousser leur adversaire avec une lance (2,80 m) dont les trois piques en acier de la pointe doivent se planter dans une zone bien précise d'un lourd bouclier (pavois) en bois.

"Le secret pour gagner, c'est un peu de chance et beaucoup de force", confie avant d'embarquer sur la barque bleue Christophe Bancilhon, un Sétois de 52 ans, "dont 50 ans de joutes".

Ce tournoi "représente l'amitié et la fête. La compétition, ça passe derrière", assure Damien Hispa, 32 ans. "Les techniques, elles se gardent secrètes, mais il faut de la force, de la franchise et parfois un petit peu de triche, toujours dans le respect", ajoute-t-il dans un sourire.

Quelle que soit la tactique, il faut faire chuter trois hommes d'affilée, lors de la phase qualificative, pour atteindre celle à élimination directe, nommée ici "les revanches".

A l'issue de plusieurs heures de duels où les perdants finissent à l'eau, celui qui émergera parmi les 89 inscrits cette année remportera le Grand-Prix de la Saint-Louis, le "Graal" de la joute languedocienne de l'avis général.

"C'est notre coupe du Monde, même s'il n'y a pas d'argent à gagner et que d'ailleurs on n'en veut pas", souligne Francis Le Bail, président de l’Ecole des joutes de la Marine, institution qui forme des dizaines d'enfants. 

A 16 ans, ils pourront rejoindre l'une des sept sociétés de joute que compte Sète ou celles des localités voisines: Mèze, Balaruc, Agde ou le Grau-du-Roi.

Les joutes, dont on trouve des traces en Egypte, chez les Romains et les Grecs, seraient arrivées dans le Languedoc avec Louis IX, alors qu'il s'était installé à Aigues-Mortes (Gard) avant de partir en croisade.

Avant le départ pour la Terre Sainte, les chevaliers, soldats et marins se seraient affrontés, montés sur des embarcations légères.

Du Languedoc à la Belgique

Le 29 juillet 1666, un tournoi a été organisé pour la pose de la première pierre du port de Sète voulu par Colbert et Louis XIV, avant même la naissance de la ville. De nos jours, une tradition de joutes existe aussi en Provence, à Lyon, en région parisienne ou en Belgique.

A Sète, elles ont été organisées chaque année depuis 1744, interrompues seulement par la Révolution, les deux Guerres mondiales et la pandémie de Covid-19.

"Depuis que je suis née, on +vit joutes+, explique Cécile Molto, dont le "père, le mari, le beau-frère" et maintenant les deux jeunes enfants sont des pratiquants passionnés.

Lors de son entraînement la semaine dernière, sur un chariot de l'école de joute tiré par un instructeur, Loris, trois ans, cadet de la famille Molto, a le regard déterminé de celui qui veut faire chuter son adversaire.

"Moi, j'aime les joutes, le foot et l'école", lance Tiago, quatre ans et demi, avant de repartir à l'assaut pour une nouvelle passe sous le regard de sa mère, Alyson Di Maria.

"A cet âge-là, ils travaillent surtout l'équilibre, comment tenir le pavois et manier la lance. Et puis ils pensent surtout à s'amuser", explique dans l'enceinte de l'école, David Gras, un costaud fort d'une carrière de 36 années de joutes.

Pour les adultes, la joute languedocienne, dont la saison court de mai à septembre, "c'est un peu comme le rugby, pour le côté convivial, avec les repas, les défilés et les copains". "Même si, ajoute-t-il, c'est aussi trois mois intenses pendant lesquels on peut toujours prendre un coup de pavois ou de lance".

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