Biens africains: les musées français face au défi "titanesque" de la transparence
Retracer la provenance de dizaines de milliers d'objets africains: plusieurs musées français ont engagé un inventaire "titanesque" et sans précédent de leurs collections publiques pour identifier les oeuvres pillées pendant la colonisation et ouvrir la...
Retracer la provenance de dizaines de milliers d'objets africains: plusieurs musées français ont engagé un inventaire "titanesque" et sans précédent de leurs collections publiques pour identifier les oeuvres pillées pendant la colonisation et ouvrir la voie aux restitutions promises par Emmanuel Macron.
"C'est à la fois titanesque et exaltant", indique à l'AFP Emilie Salaberry, directrice du musée d'Angoulême, qui abrite quelque 5.000 objets africains. "Ca bouleverse notre vision des collections et la manière dont elles doivent vivre".
Fin 2017, le chef de l'Etat s'était engagé à réunir d'ici à 2022 les conditions du retour du "patrimoine africain en Afrique" mais le processus a pris du retard et l'examen d'un projet de loi-cadre, indispensable pour autoriser les restitutions de biens culturels, vient d'être reporté sine die.
Sans attendre que la situation se décante, des musées français ont engagé un fastidieux travail d'exploration de leurs collections --où reposent quelque 90.000 objets d'Afrique sub-saharienne, selon un rapport de 2018 -- pour mettre au jour de possibles spoliations coloniales.
"C'est un vrai travail d'enquête qui est requis pour recouper les faisceaux d'indices et retrouver des sources qui peuvent être éparpillées, parfois à l'étranger, et même ne pas exister du tout", résume pour l'AFP Emilie Girard, présidente du réseau ICOM France, qui regroupe quelque 600 musées.
Cette mission, qui se fait souvent à moyens constants en sus de l'activité quotidienne des musées, fait notamment figure de chantier colossal pour le Quai Branly, qui abriterait quelque 79.000 œuvres d'Afrique sub-saharienne. L'établissement parisien n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Manque de sources
Signe de la difficulté de la tâche, le musée de l'Armée a, lui, entamé ce recensement dès 2012 mais n'a pu, à ce jour, "étudier" la provenance que "d'environ un quart" de ses 2.248 références africaines, malgré le recrutement d'un chargé de mission affecté à cette tâche.
"La principale difficulté (...) demeure le manque relatif de sources", précise à l'AFP le musée parisien, qui assure pouvoir "formuler des hypothèses raisonnables" sur la provenance à défaut de "conclusions définitives".
"Il faut attendre la poursuite des recherches pour mieux cerner les conditions d'acquisitions problématiques", souligne l'établissement, précisant qu'une partie de ses objets africains provient de "prises de guerre".
La Monnaie de Paris, qui possède une collection africaine de nature très différente (une cinquantaine d'objets monétaires et quelque 2.000 poids servant à peser la poudre d'or), affirme, elle, avoir pu écarter l'hypothèse de spoliations.
"Ces objets sont entrés dans nos collections pendant la période coloniale mais ont été simplement collectés au moment où ils étaient devenus obsolètes et négligés", certifie à l'AFP Dominique Antérion, chargé de conservation à la Monnaie, soulignant qu'il s'agit de biens qui avaient, par nature, "vocation à être échangés".
La question est bien plus sensible pour des objets chargés de symboles politiques ou cultuels, comme les 26 trésors royaux d'Abomey, rendus au Bénin en 2021, ou les objets personnels de l'émir Abdelkader, héros algérien de la résistance à la colonisation, dont Alger réclame la restitution à la France. Le musée de l'Armée possède un caftan et un sabre lui ayant appartenu.
Impératif éthique
Pour faire le tri sans grever son budget, le musée d'Aquitaine, qui compte 2.500 objets africains, a engagé une démarche de "mutualisation des ressources" avec d'autres structures, dont des musées du continent (Gabon, Cameroun...).
"Il y a besoin de montrer tout ce qu'on a, y compris les insuffisances de nos catalogues, de nos datations, de nos désignations souvent porteuses de charge coloniale", explique à l'AFP Katia Kukawka, conservatrice en chef du musée, qui évoque un "impératif éthique" au moment où les ex-puissances coloniales sont bousculées par le Sud global.
En France, la recherche de provenance d'oeuvres d'art entre toutefois lentement dans les moeurs. Depuis 2022, l'université Paris-Nanterre propose une formation dédiée à cette discipline. L'école du Louvre a ouvert la sienne à la rentrée 2023.
"Les attentes de la société ont changé vis-à-vis des musées", analyse Emilie Girard, également directrice des musées de Strasbourg. En France, comme ailleurs en Europe, "on nous demande une plus grande transparence et c'est une bonne chose pour mieux contextualiser les oeuvres".
Chacun attend désormais de connaître le contenu du projet de loi-cadre sur les restitutions, qui doit définir les critères permettant le retour d'oeuvres en Afrique.
Le caractère illégal de l'acquisition pourrait en faire partie, même s'il sera très dur à démontrer, prévient Emilie Salaberry. "Faute d'archives, il y aura énormément d'objets pour lesquels la lumière ne pourra jamais être faite" et pour lesquels des "restitutions formelles" ne seront donc pas possibles, assure-t-elle.
La "circulation" de ces oeuvres en Afrique doit toutefois rester possible via des prêts ou des dépôts longue durée, souligne l'experte. "Il faudra être créatif".
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