Avocats et barreaux des Hauts-de-France se mobilisent

Alors que les avocats des 17 barreaux des Hauts-de-France, les 7 du ressort de la cour d'appel d'Amiens et les 10 du ressort de celle de Douai, participaient à la journée «justice morte» du 21 mars, les 17 bâtonniers de la Conférence régionale des bâtonniers des Hauts-de-France ont été reçus à la préfecture de région. Entretien avec son président et avocat au barreau de Beauvais, Xavier Pérès.

Les 17 bâtonniers de la Conférence régionale des bâtonniers des Hauts-de-France ont été reçus à la préfecture de région le 21 mars.
Les 17 bâtonniers de la Conférence régionale des bâtonniers des Hauts-de-France ont été reçus à la préfecture de région le 21 mars.

La Gazette : Pourquoi cette journée «justice morte», assortie d’une délégation à la préfecture de région ?

Xavier Pérès : Le choix d’une mobilisation de l’ensemble de la profession et d’une démarche commune et solidaire de l’ensemble des 17 barreaux des Hauts-de-France aujourd’hui (le 21 mars) est finalement très opportun pour faire part de nos désaccords sur le projet de réforme de la justice, car c’est aujourd’hui que la garde des Sceaux le transmet au Conseil d’Etat. Le premier de nos griefs porte sur l’absence de concertation. Elle s’était engagée à nous livrer, courant février, les axes de son projet de loi, mais ne nous a rien communiqué, nous indiquant seulement le 9 mars qu’elle déposerait le projet de loi définitif le 21 mars au Conseil d’Etat. Ce n’est pas en dix jours que l’on peut entamer une discussion sur un projet déjà rédigé, sauf à se contenter de changer la place d’une virgule. Deuxième point, l’esprit de ce texte nous inquiète énormément dans la mesure où il va donner beaucoup plus de pouvoirs au parquet et beaucoup moins de droits aux justiciables, personnes poursuivies ou victimes. Nous craignons à terme la suppression du juge d’instruction au profit du parquet. On peut discuter de l’opportunité de cette suppression, mais il faut rediscuter des modalités de l’enquête et de la saisine du juge. Nous sommes inquiets du caractère abrupt, non négocié et non préparé de cette façon de faire.

«La justice n’est pas un sujet sur lequel on peut légiférer en ayant uniquement une vision budgétaire»

Nous acceptons que le projet ait pour motivation de concentrer le juge sur son cœur de métier, notamment grâce aux nouvelles technologies, mais refusons de considérer qu’elles soient la solution à tout, notamment à la saisine de la justice. Nous sommes opposés aux décisions que la justice pourrait rendre sans jamais avoir vu ou entendu le justiciable, uniquement en ayant reçu des octets par Internet. Ce n’est pas le sens de la proximité que nous défendons. Le sujet de la déjudiciarisation et la perspective de déserts judiciaires nous apparaissent aussi extrêmement graves en ce sens qu’ils témoignent de l’effritement en cours d’un des piliers de la démocratie. C’est sur toutes ces questions que nous avons voulu manifester symboliquement et de manière solidaire notre réprobation, tout en souhaitant que la garde des Sceaux nous associe à des discussions pour rédiger un projet qui pourrait être accepté. La justice n’est pas un sujet sur lequel on peut légiférer en quelques semaines sans y avoir réfléchi et en ayant uniquement une vision budgétaire.

Stéphane Dhonte, bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Lille, et Xavier Pérès, président de la Conférence régionale des bâtonniers des Hauts-de-France.

Régionalement, avez-vous des sujets d’inquiétude ?

Effectivement, le projet de loi a des aspects plus locaux puisqu’il prévoit une spécialisation tant des tribunaux que des cours d’appel, mais avant tout nous souhaitons la défense de l’ensemble des territoires des Hauts-de-France. Il faut éviter que justice ne puisse être rendue à des justiciables parce qu’ils sont éloignés d’un lieu de justice ou parce qu’ils ne disposent pas d’une bonne connexion internet. C’est un de nos chevaux de bataille pour les mois qui viennent lorsque viendra le temps des décrets d’application. Assurer la défense des justiciables partout où ils sont et pas uniquement dans les métropoles reste notre préoccupation majeure.

La mobilisation répond-elle à vos attentes ?

Le 30 mars, la journée nationale de protestation, va réunir l’ensemble des avocats, des magistrats et des greffiers. C’est la première fois qu’à l’occasion de cette réforme nous aurons une protestation unanime de ces trois professions. Nous sommes vraiment sur une inquiétude et une protestation de l’ensemble de tous les corps participant au fonctionnement de la justice. On a une opposition de tous les barreaux de France, y compris celui de Paris, et, dans chaque barreau, de tous les confrères quel que soit le type d’affaires et de contentieux qu’ils aient à traiter. Ainsi en est-il des avocats qui traitent des ventes par adjudication. Jusqu’ici ils rechignaient à la grève et donc au report des audiences pour ne pas faire supporter à leurs clients des frais, par ailleurs très importants, pour cause de renvoi. Cette fois et de manière tout à fait exceptionnelle, les avocats qui interviennent dans ces procédures d’adjudication, et notamment ceux de Lille, ont effectivement considéré qu’il était de l’intérêt supérieur de la défense des justiciables, y compris de leurs clients, de faire reporter les audiences. Des solutions ont été trouvées pour que le report d’audience ne soit pas préjudiciable aux justiciables. Compte tenu du danger encouru du fait de ce projet de loi, la grève a été votée dans tous les barreaux et appliquée avec les seules réserves de préserver les droits de la défense et des justiciables en matière d’urgence, tels les cas de mise en liberté. Un tel mouvement de grève y compris des adjudications, c’est assurément rare !