Au Québec, le boom minier face à la résistance citoyenne

Habiter un terrain convoité par l'industrie minière: voilà la nouvelle réalité de nombreux Québécois. La province, riche en minéraux essentiels, aiguise les appétits mais des citoyens inquiets des effets sociaux...

Yvan Lafontaine contemple son vaste terrain, visé par un claim minier, du haut d'une tour d'observation à St-Mathieu-du-Parc, Québec, Canada le 20 février 2024 © Genevieve Normand
Yvan Lafontaine contemple son vaste terrain, visé par un claim minier, du haut d'une tour d'observation à St-Mathieu-du-Parc, Québec, Canada le 20 février 2024 © Genevieve Normand

Habiter un terrain convoité par l'industrie minière: voilà la nouvelle réalité de nombreux Québécois. La province, riche en minéraux essentiels, aiguise les appétits mais des citoyens inquiets des effets sociaux et environnementaux sont déterminés à résister.

Car ici le sous-sol n'appartient pas aux propriétaires des terres, et beaucoup l'ont découvert récemment. 

Ces derniers mois, des dizaines de milliers de permis d'exploration des sols ont été délivrés. Dans la nouvelle ruée mondiale vers les minéraux primordiaux pour alimenter le virage "électrique" de la transition énergétique, la province francophone est un point crucial sur la carte. 

Dès l'entrée de Saint-Élie-de-Caxton, à mi-chemin entre Montréal et Québec, le ton est donné: "Saint-Élie, incompatible avec l'activité minière", "Creuse pas dans mon Caxton" clament de nombreuses pancartes installées dans ce village de 2.000 habitants.

"On est en guerre", raconte Gilbert Guérin, porte-parole du comité "Creuse pas dans mon Caxton", montrant du doigt une carte multicolore détaillant les permis d'exploration appelés "claims" qui morcellent le village.

Au Québec, il suffit en effet de quelques clics et d'environ 75 dollars (50 euros) pour devenir titulaire d'un claim minier couvrant au plus 100 hectares. Et quelqu'un à l'autre bout du monde peut le faire de la même manière.

"J'ai acheté ici, je pensais être souverain chez moi, mais j'ai compris que le sous-sol ne m'appartenait pas", confie Yvan Lafontaine depuis la tour d'observation qu'il a fait construire dans le village voisin de Saint-Mathieu-du-Parc.

Quand il a appris qu'une entreprise avait acquis les titres miniers du sous-sol de sa propriété, son petit "paradis", ce grand amateur de nature a contre-attaqué et donc acheté à son tour 12 claims autour.

À l'heure actuelle, plus de 350.000 claims sont enregistrés au Québec soit 10% de la province. De plus en plus les régions du sud de la province, où vit la majorité de la population, sont convoitées.

Selon une analyse de l'AFP de données gouvernementales, le nombre de claims émis a fortement augmenté depuis un an et demi. Ainsi, de septembre 2022 à la fin février 2024, environ 160.000 titres ont été octroyés, soit une hausse de 140% par rapport aux 18 mois précédents.

Le rêve de ces nouveaux acheteurs: trouver lithium, zinc, graphite, nickel, cobalt...

Far West

La loi sur les mines est "désuète", estime Julie Hamelin, qui fait partie des habitants mobilisés. "C'est un peu le Far West la façon d'acheter des claims", ajoute-t-elle, exhortant le gouvernement provincial à protéger les terres habitées, et non à les exploiter.

Comparant Saint-Elie à un "petit village gaulois", Gilbert Guérin, ancien fonctionnaire, s'inquiète des "conséquences irréversibles" qu'entraînerait un projet minier, notamment sur l'eau souterraine de la région.

Alors, pour résister, les habitants ont dépensé à leur tour des milliers de dollars pour acheter plus de 220 claims autour du village, afin de décourager les entreprises.

Face à la grogne qui monte, le gouvernement du Québec a annoncé son intention de moderniser sa loi sur les mines. Mais il tient à rassurer, expliquant dans un courriel à l'AFP "qu'aucune exploration ne peut être réalisée sans le consentement du propriétaire d'un terrain privé".

De leur côté, les compagnies minières ne cessent de rappeler le potentiel québécois. 

"Il y a énormément de graphite au Québec. Ça pourrait être la réserve la plus importante au monde", explique à l'AFP Hugues Jacquemin, PDG de Northern Graphite.

"Il faut absolument développer cette filière parce qu'elle est indispensable pour la fabrication des batteries et des véhicules électriques", renchérit le dirigeant, sur le site du Lac-des-Îles, à 260 km au nord de Montréal.

C'est un virage que le Québec doit "absolument" prendre notamment pour devenir indépendant vis-à-vis de la Chine, qui domine jusqu'ici le marché des minéraux stratégiques.

Le développement de la filière électrique est l'une des priorités du Québec et du Canada, qui se vantent justement d'être l'un des seuls pays dans le monde a posséder tous les minéraux nécessaires à la production de batteries. 

Mais à Saint-Élie-de-Caxton et ses environs, les citoyens n'adhèrent pas tous à ces arguments. "Je ne pense pas qu'il faille aller dans cette direction", estime Julie Hamelin. "La solution, c'est la décroissance en utilisant ce qu'on a déjà".

34LV9UZ