Au procès du TGV Est, les images d'un déraillement à 243 km/h

"Eh, ça aurait dû freiner là"... Il est 15H04 ce 14 novembre 2015. Dans moins de 10 secondes, la rame d'essai du TGV Est va dérailler heurtant le parapet du pont au-dessus du canal de la Marne...

Photo prise au lendemain du déraillement mortel de la rame d'un TGV d'essai dans le canal de Eckwersheim, le 15 novembre 2015 © FREDERICK FLORIN
Photo prise au lendemain du déraillement mortel de la rame d'un TGV d'essai dans le canal de Eckwersheim, le 15 novembre 2015 © FREDERICK FLORIN

"Eh, ça aurait dû freiner là"... Il est 15H04 ce 14 novembre 2015. Dans moins de 10 secondes, la rame d'essai du TGV Est va dérailler heurtant le parapet du pont au-dessus du canal de la Marne au Rhin, causant la mort de 11 personnes.

La voix incrédule et inquiète qui résonne ce mardi dans la salle d'audience du tribunal judiciaire de Paris est celle prononcée le jour fatal par Francis L., un des prévenus au procès du déraillement de ce TGV.

Une caméra était embarquée dans le poste de pilotage de la rame et ce sont les ultimes images de cette catastrophe sans précédent dans l'histoire ferroviaire française qui sont diffusées. La salle d'audience, pleine en majorité de familles des victimes, retient son souffle. Des femmes pleurent.

Avant la diffusion des vidéos, des gendarmes, parmi les premiers arrivés sur les lieux du drame à la hauteur d'Eckwersheim (Bas-Rhin), avaient décrit des "scènes de chaos". "J'ai ressenti une forte angoisse", se souvient Patrice Jacquet, un des gendarmes chargés de l'enquête.

Les causes de l'accident sont connues: vitesse excessive et freinage trop tardif. Mais qui est responsable? C'est ce que doit déterminer le tribunal.

La SNCF, ses filiales Systra (commanditaire des essais) et SNCF Réseau (gestionnaire des voies) ainsi que trois personnes physiques - Denis T., 57 ans, conducteur titulaire, Francis L., 64 ans, cadre de la SNCF chargé de lui donner les consignes de freinage et d'accélération, et Philippe B., 65 ans, ingénieur de Systra chargé de renseigner le conducteur sur les particularités de la voie - sont sur le banc des prévenus.

Ils sont tous poursuivis pour "homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité".

Le 14 novembre 2015, il ne s'agissait pas du premier essai de la rame de la future ligne à grande vitesse Est européenne (LGVEE). Le matin-même, un autre essai, avec la même équipe de pilotage, s'était déroulé sans incident.

Sur l'écran du tribunal, on se retrouve dans la cabine de pilotage. Le train file à 357 km/h. A cette vitesse, il faut à peine 10 secondes pour parcourir un kilomètre.

Sept personnes sont dans la cabine, trois de plus que ce qui est prévu par le règlement. Mais, selon les enquêteurs, ce surnombre n'a gêné en rien la conduite du train. "Il s'agissait uniquement de professionnels", rapporte un gendarme.

Demain, c'est dimanche

On entend des rires dans la cabine. "Demain, c'est dimanche", dit l'un. "Moi, je sors ma fille de la maternité demain", dit une autre voix impossible à identifier. Francis L.  donne les consignes au cheminot Denis T. "On freine avant (le kilomètre) 401". "402 dans un kilomètre, il faudrait freiner quand même".

Sur l'écran du tribunal, on voit s'afficher les kilomètres parcourus et l'air devient irrespirable alors qu'approche l'instant fatidique.

Un cri: "Oh! merde les gars" et la rame bascule sur la gauche.

L'enquête a démontré que le TGV a abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit. Il a déraillé 200 mètres plus loin, au kilomètre 404,2, à une vitesse de 243 km/h.

La caméra continue d'enregistrer. On entend des cris de douleur. La vitre de la cabine est fendillée.

"Qu'est-ce qu'on a foutu? Qu'est-ce qui s'est passé?", demande un des passagers de la cabine. "Mais putain, on était à la bonne vitesse".

Dans la cabine personne ne sait encore que la rame s'est disloquée sous le choc.

Il y avait 53 personnes à bord, du personnel de la SNCF et de Systra et des invités, dont quatre enfants.

La dernière motrice est tombée dans le canal. On dénombre sept morts (sur 18 passagers) dans l'avant-dernière voiture, "la voiture labo" avec les techniciens chargés des mesures de bord.

Revoir ces images était "dur mais nécessaire pour comprendre", a confié à la fin de la projection Agnès Mianney, blessée dans l'accident, et dont le mari, Christophe, salarié de la SNCF est mort dans la voiture-labo.

"Il y a eu une erreur et on espère que les personnes qui ont commis cette erreur le reconnaissent", a-t-elle ajouté.

Le procès est prévu jusqu'au 16 mai.

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