Amélie Oudéa-Castéra: anatomie d'une chute

Une première prise de parole catastrophique et tout a dérapé, transformant en chemin de croix les quatre semaines qu'aura passé Amélie Oudéa-Castera au ministère de l'Education. Elle a cédé sa place jeudi à Nicole Belloubet, mais conserve...

Amélie Oudéa-Castéra, après le conseil des ministres à l'Elysée à Paris le 7 février 2024 © Bertrand GUAY
Amélie Oudéa-Castéra, après le conseil des ministres à l'Elysée à Paris le 7 février 2024 © Bertrand GUAY

Une première prise de parole catastrophique et tout a dérapé, transformant en chemin de croix les quatre semaines qu'aura passé Amélie Oudéa-Castera au ministère de l'Education. Elle a cédé sa place jeudi à Nicole Belloubet, mais conserve le ministère des Sports et des Jeux Olympiques.

Elle était ministre des Sports et des Jeux Olympiques depuis mai 2022. Le 11 janvier, l'exécutif ajoute à son escarcelle déjà lourde le gros portefeuille de l'Education, provoquant quelques grognements chez les profs, qui craignent une ministre à mi-temps, à six mois des JO.

Amelie Oudéa-Castéra sera restée 28 jours rue de Grenelle, un record pour un ministre de l'Education sous la Vème République.

Les enseignants et leurs syndicats doutent aussi de sa marge de manoeuvre: l'éducation est le sujet de prédilection d'Emmanuel Macron et de Gabriel Attal, qui l'a précédée dans ce ministère.

Amélie Oudéa-Castéra fait cependant figure de "bonne élève" du gouvernement, est appréciée au ministère des Sports et assure vouloir être "ministre à fond".

A peine quelques heures après sa nomination, c'est le faux pas, qui va plomber tout son parcours rue de Grenelle. Lors de son premier déplacement dans un collège d'Andrésy (Yvelines), elle est interrogée sur la scolarisation de ses trois fils dans la prestigieuse école privée parisienne Stanislas. 

La ministre invoque des "paquets d'heures pas sérieusement remplacées" à l'école publique Littré (centre de Paris) où a été brièvement scolarisé son aîné. "Propos lunaires", "séparatisme social": le tollé est immédiat chez les syndicats et la gauche.   

La ministre tente de déminer le lendemain. Auprès de l'AFP, celle qui est brocardée comme une incarnation d'un élitisme "déconnecté", dit "regretter" d'avoir "pu blesser certains enseignants".

Mais dès le dimanche, l'incendie reprend. Dans Libération, l'enseignante de maternelle qui avait eu brièvement le fils ainé de la ministre dément avoir été absente. 

Le mardi suivant, Mme Oudéa-Castéra se rend à l'école Littré. Et comme son communiquant a averti la presse, les journalistes se pressent, tandis que des manifestants l'accueillent sous les huées.

Démission du recteur

Un nouveau front s'ouvre: Mediapart révèle un rapport de l'Inspection générale de l'Education nationale sur l'établissement privé catholique Stanislas (où sont donc scolarisés les enfants de la ministre), qui relate des "dérives" notamment homophobes. 

Médiapart révèle ensuite qu'Amélie Oudéa-Castéra a fait la promotion d'une école privée hors contrat qui accueille notamment de jeunes sportifs lorsqu'elle était ministre des Sports, et soutenu la demande de cette école de passer sous contrat avec l'Etat. "Il est normal que des échanges aient pu avoir lieu sur ce dossier dans le cadre de ses fonctions", réagissait alors l'entourage de la ministre.

Entretemps, un rapport parlementaire épingle la ministre pour ses rémunérations jugées "anormales" lors de son passage en tant que directrice générale de la Fédération française de tennis (FFT). 

Pour "AOC", la curée semble quotidienne mais la crise des agriculteurs lui accorde quelques jours d'accalmie. 

Après les enseignants, les syndicats et les défenseurs de l'école publique, c'est l'administration qui la fragilise encore un peu plus: l'un des plus hauts cadres de l'Education nationale, le recteur de Paris, démissionne. Une décision rarissime. Il entend ainsi protester contre la décision du ministère d'instaurer un "moratoire" sur une partie de sa réforme des classes prépas parisiennes, destinée à introduire davantage de mixité sociale.

Une grève des enseignants le 1er février, prévue de longue date, s'avère plus mobilisatrice qu'escomptée.

Une deuxième grève, mardi, se déroule dans les collèges, contre les réformes du "choc des savoirs" censées relever le niveau des élèves, annoncées par Gabriel Attal lorsqu'il était ministre de l'Education. Avec notamment la mise en place des groupes de niveau en français et en mathématiques en classes de 6e et 5e, une disposition décriée par une partie des enseignants.

Longtemps, Amélie Oudéa-Castéra semble bénéficier du soutien du président Emmanuel Macron. Publiquement, députés et autres hommes et femmes politiques de la majorité la soutiennent du bout des lèvres. Sous couvert d'anonymat, ils critiquent vertement sa maladresse, sa "déconnexion", son manque de sens politique et la jugent "cramée".

Ses études prestigieuses (Sciences-Po, ENA, ESSEC), ses origines familiales (son père était directeur de Publicis, elle est la nièce des journalistes Alain et Patrice Duhamel) donnent du grain à moudre à ses adversaires et à ceux qui ont été affligés par ses propos: elle devient le symbole d'une élite très française, qui marie la politique et les mondes de l'argent et des médias, pratiquant l'entre-soi scolaire et méprisant l'école publique malgré de beaux discours.

Proche du chef de l'Etat, qu'elle a cotoyé à l'ENA, elle n'a jamais été élue. 

Ancienne championne de tennis junior, elle est mariée à Frédéric Oudéa, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, directeur général de la Société générale jusqu'en 2023 et aujourd'hui président du géant pharmaceutique Sanofi. 

34HR227