Agriculture: l'UE sous pression pour désamorcer une colère "multifactorielle"

Importations d'Ukraine, carburant, normes écologiques... A quelques mois des élections de juin, les ministres européens de l'Agriculture appellent à répondre à une colère aux causes très diverses, avant le lancement par Bruxelles...

Manifestation d'agriculteurs devant le Parlement, à Berlin, le 20 janvier 2024 © Tobias SCHWARZ
Manifestation d'agriculteurs devant le Parlement, à Berlin, le 20 janvier 2024 © Tobias SCHWARZ

Importations d'Ukraine, carburant, normes écologiques... A quelques mois des élections de juin, les ministres européens de l'Agriculture appellent à répondre à une colère aux causes très diverses, avant le lancement par Bruxelles d'un "dialogue stratégique" aux contours encore flous.

"La colère des agriculteurs est multifactorielle, ce n'est pas nécessairement pour les mêmes raisons qu'ils manifestent d'un pays à l'autre" mais au niveau européen leurs préoccupations "doivent être mieux prises en compte", a averti le ministre belge David Clarinval, dont le pays occupe la présidence tournante de l'Union européenne.

Réunis à Bruxelles, les ministres des Vingt-Sept ont salué l'organisation jeudi d'une première séance du "dialogue stratégique" proposé par la Commission européenne, qui réunira organisations agricoles, secteur agro-alimentaires, ONG et experts.

Confirmé seulement la semaine dernière, l'initiative avait été promise dès septembre par la présidente de l'exécutif européen Ursula von der Leyen, appelant à "moins de polarisation" autour du Pacte vert, vaste ensemble de législations environnementales.

"Initiative bienvenue, mais tardive", a réagi le Copa-Cogeca, l'organisation des syndicats agricoles majoritaires européens.

L'enjeu agricole est explosif avant les élections européennes: "L'extrême-droite tente d'utiliser les agriculteurs comme levier politique. Il faut les défendre sans manipulation politique", s'est agacé le ministre espagnol Luis Planas.

Au programme jeudi: revenus des agriculteurs, durabilité, innovation technologique, compétitivité. "La polarisation s'est intensifiée, il est impératif de définir une vision commune", garantissant à la fois compétitivité et durabilité, a insisté le vice-président de la Commission Maros Sefcovic.

"Les participants décideront jusqu'où ils veulent aller" avec des conclusions attendues "d'ici septembre", a-t-il expliqué.

Priorité à la compétitivité

"Il aurait fallu que ce dialogue soit entamé quand la nouvelle Politique agricole commune (PAC) ou le Pacte vert ont été présentés", déplore Luis Planas. "Mais il n'est jamais trop tard si c'est mené correctement. La voix des agriculteurs doit être entendue".

Au-delà des problèmes immédiats, il s'agit de préparer le terrain pour la prochaine PAC post-2028, estime-t-il.

Si les récentes manifestations évoquent des facteurs nationaux divers (taxation du gazole en Allemagne, par exemple), les secousses se sont multipliées partout: épisodes climatiques extrêmes, grippe aviaire, flambée des prix de l'énergie...

Autre sujet clivant: l'afflux de produits agricoles ukrainiens dans l'UE depuis la levée des droits de douane en 2022. Bruxelles devait présenter mardi aux Vingt-Sept ses propositions sur une reconduction en juin, avec de probables mécanismes "de sauvegarde".

Au-delà des cultivateurs polonais et roumains, les organisations agricoles appellent à restreindre ces importations (céréales, volailles, sucre...) accusées de plomber les prix — en écho aux critiques récurrentes sur les accords de libre-échange de l'UE.

Surtout, s'exprime une "exaspération" commune face à une "surchauffe réglementaire", estime Christiane Lambert, présidente du Copa.

Premier poste du budget européen, la nouvelle Pac entrée en vigueur en 2023 a renforcé les obligations environnementales (diversité, jachères, haies...) tandis que l'inflation grignotait son enveloppe.

"Il faut créer plus de flexibilités face aux défis" climatiques ou économiques, et "donner la priorité à la compétitivité" en "simplifiant les normes", a martelé le ministre roumain Florin Barbu, rappelant avoir réclamé en vain la poursuite de dérogations sur les jachères.

-"Machine réglementaire"-

Le Copa-Cogeca dénonce la "machine réglementaire", même si les textes déclinant le Pacte vert (stratégie "de la ferme à la fourchette") ne sont pour l'essentiel pas en vigueur.

Dans son viseur: la loi "restauration de la nature" promouvant la réparation d'écosystèmes dégradés, pourtant largement édulcorée après une violente bataille menée par la droite au Parlement européen.

Un autre texte encadrant les émissions polluantes des gros élevages épargnera les élevages bovins, mais concernera porcs et volailles. Les eurodéputés ont en revanche rejeté une législation réduisant l'usage des pesticides.

Face à la résistance croissante des agriculteurs — et élus conservateurs —, la Commission a donné des gages, proposant d'assouplir la protection des loups et renonçant à un projet d'étiquetage nutritionnel. 

Le PPE (droite), premier groupe du Parlement européen, s'est employé à édulcorer drastiquement les textes agricoles, accusant Bruxelles de ne pas adapter ses ambitions vertes à la conjoncture.

Au centre et à gauche, on appelle plutôt à renforcer l'accompagnement financier des agriculteurs — d'autant que l'UE s'apprête à lancer le débat sur son objectif climatique 2040, qui impliquerait une décarbonation douloureuse du monde agricole (11% des émissions de gaz à effet de serre européennes).

jug/jca/LyS

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