Environnement
À Metz, la filière hydrogène transfrontalière confirme sa montée en puissance
Au Centre de Convention du Technopole de Metz, le séminaire transfrontalier consacré aux avancées de la filière hydrogène en Grande Région en termes d’emploi et de formation a permis de dresser un état des lieux complet et de jeter les prospectives. Beaucoup d’enjeux se font jour pour développer une économie de l’hydrogène. Les atouts sont là. La dynamique enclenchée. Reste à optimiser la structuration de la filière. Pour cela, la coordination entre les acteurs européens est incontournable.
Après un premier séminaire le 17 juin 2022, alors que les projets hydrogène n’étaient encore qu’émergents, la Région Grand Est, France Travail, l’Union des Entreprises de Moselle et l’Afpa Grand Est se sont associés pour une seconde édition qui a connu une belle réussite, dans la qualité de son programme, et aura permis de mesurer le chemin parcouru quant à la structuration de cette filière et des projets dédiés. Au Centre de Convention du Technopôle (Parc des Expositions de Metz), les organisateurs et leurs partenaires allemands, belges, luxembourgeois, néerlandais et suisses ont composé un arc de compétences réunissant quelque 300 représentants d’entreprises, d’acteurs publics régionaux et nationaux, ainsi que du monde de la formation académique et des professionnels. Une journée consacrée à la filière hydrogène en Grande Région scindée en deux.
Une journée informative et pédagogique
Une matinée à l’auditorium avec une Masterclass animée par Mikaa Blugeon-Mered, coordinateur de la Task Force Hydrogène du Medef international et chargé d’enseignement en géopolitique à Sciences Po Paris ; une présentation du projet DEF’Hy par sa cheffe Inès Taoufik porté par France Hydrogène et de Green SKHy porté par l’Afpa Grand Est par Clément Maury, coordinateur, et une table ronde transfrontalière associant l’Agence sarroise pour l’hydrogène, Grand Région Hydrogen, le Belgian Hydrogen Council et France Hydrogène. L’après-midi a vu se tenir le «Village de l’hydrogène» autour d’une vingtaine d’exposants. 200 lycéens et étudiants de six établissements du Grand Est ont pu découvrir les formations et les métiers de la filière hydrogène à travers des démonstrations pédagogiques et des échanges avec les professionnels et un plateau TV autour de grandes thématiques «pour une coopération hydrogène sans frontière», «coopération et complémentarités en Grande Région», «les risques hydrogène : intégrer la sécurité à l'équation», «décarboner la production d'acier grâce à l'hydrogène», «développer des formations adaptées aux besoins des entreprises». C’est donc en début de matinée qu’Eugen Roth, président du Conseil syndical de la Grande Région, et Valérie Debord (en visio), vice-présidente régionale en charge de l’emploi, de la formation, de l’orientation et de l’apprentissage, ont donné le coup d’envoi de ce second séminaire.
Eugen Roth, président du Conseil syndical de la Grande Région, a ouvert le séminaire messin.
La région Grand Est : territoire fertile pour l'hydrogène
On rappellera les grands axes de la stratégie hydrogène de la Région Grand Est dans son plan 2020-2030 autour de ces deux enjeux majeurs : proposer une offre de transport - routière et fluviale - bas carbone, complémentaire aux véhicules électriques ou bioGNV et décarboner l’industrie. La Région Grand Est ne manque pas d’atouts pour développer une économie de l’hydrogène : un territoire riche en sources d’énergies renouvelables mobilisables pour la production d’hydrogène comme la biomasse, l’électricité d’origine éolienne, l’hydroélectricité, le photovoltaïque, la géothermie ; des réseaux électriques et de gaz denses ; des infrastructures de transports routiers et fluviaux, un sous-sol de qualité pour le stockage souterrain ; une position géographique transfrontalière et européenne stratégique ; des entreprises et industries prêtes à s’engager dans les secteurs de l’automobile, de la métallurgie, des plastiques, du gaz, de l’agroalimentaire ; des savoir-faire de précision ; une R&D dynamique avec 50 chercheurs des Universités de Lorraine, Strasbourg et Troyes : des projets déjà engagés (FaHyence à Sarreguemines, VitrHydrogène à Vitry-le-François, Mhyrabel à Audun-le-Roman, Sainte-Marie-aux-Mines, Hydreol à Chaumont, R-Hynoca à Strasbourg, Vynova à Thann, LE3 - péniches entre Mulhouse à Metz, Saint-Avold avec un projet de production massive d’H2 et Mosahyc avec un canalisation dédiée entre l’Allemagne, la France et le Luxembourg.
Agréger les expertises et les compétences.
L'hydrogène en voie d'accélération
Dans son propos ciblé sur «des stratégies nationales hydrogène aux formations», Mikaa Blugeon-Mered rappelait «qu’en terme d’hydrogène, il ne fallait seulement se focaliser sur la décarbonation.» Dans un exposé campant la place de l’H2 à l’échelle de la planète, il observait «aucune université dans le monde n’est consacrée à l’hydrogène. La France, avec son projet d’Ecole nationale de l’hydrogène, fait figure de bonne élève.» Poursuivant : «33 écoles dans le monde sont dédiées aux énergies renouvelables. À l’échelle planétaire, 1 372 diplômes sont liés aux énergies fossiles, 653 aux énergies renouvelables et moins de 50 à l’hydrogène.» On l’aura compris, la réalité d'une solide filière hydrogène en est encore aux balbutiements. Un état embryonnaire qui est amené à accélérer de manière spectaculaire si on prend en compte les besoins H2 pour parvenir à une neutralité carbone en 2050 : 12 % de la demande mondiale d’énergie, 5 000 GW d’électrolyse (0,3 GW installés en 2021), 21 000 TWh d’électricité (soit la demande mondiale actuelle), 30 % de la production mondiale d’électricité, 66 H2 vert, 33 % H2 issu des énergies fossiles. Au niveau de l’Union européenne, la Directive Énergies Renouvelables 3 (RED3) fixe comme ambition 42 % d’hydrogène dans l’industrie en 2030 et 60 % en 2035 (avant décotes). Mikaa Blugeon-Mered l’a affirmé : «Nous sommes très loin aujourd’hui des objectifs ! Il faut savoir que 50 % des projets d’hydrogène viennent de Chine. Et que 83 pays ont acté une stratégie hydrogène. 10 pays, dont la France, développent pour cela un plan de formation pour faire naître une filière.» Concluant : «L’H2 peut aider pour le climat mais l’HN3 (ammoniac) et l’HN4 (ammonium) risquent d’empirer la crise de la biodiversité. Si on remplace une crise par une autre crise, on ne gagne rien !»
Faire connaître les métiers de l'hydrogène
La filière hydrogène présente des opportunités de conversion et de création d’emplois en France. D’ici à l’horizon 2030, 100 000 emplois directs et indirects seront créés sur plus de 80 métiers selon les estimations de France Hydrogène. Cependant, les acteurs de la filière font remonter dès à présent des difficultés dans leurs recrutements. Les tensions et difficultés pourraient s’accroître et devenir un vrai frein si aucune anticipation ni réponse collective ne sont apportées. Le projet DEF’Hy, lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt «Compétences et Métiers d’Avenir» réunissant les acteurs emblématiques de l’emploi et la formation, l’AFPA, EIT Innoenergy, Pôle emploi, RCO-Le Réseau des Carif-Oref, Adecco Digital France et France Hydrogène, s’est lancé pour renforcer les premières bases des états des lieux déjà effectués concernant les enjeux stratégiques de compétences, métiers, emplois et formations qui permettront à la filière d’atteindre les objectifs de création de valeur et d’emplois dans les territoires et pour aller plus loin dans le diagnostic en rassemblant les expertises autour d’un objectif commun. C’est ce contexte et cette ligne stratégique que Inès Taoufik, cheffe du projet DEF’Hy, l'a détaillé, présentant là un état des lieux complet. L’an passé, la filière hydrogène représentait plus de 6 000 emplois. «L’une des questions essentielles tient en la connaissance et en l’attractivité de ces métiers», a indiqué Inès Taoufik.
Besoin de techniciens et d'ingénieurs
Dans le travail partenarial mené, via DEF’Hy, sur une durée de six mois, trois typologies de formation ont été identifiées : celles menant directement vers un métier de la filière, celles connectées à l’hydrogène généralistes demandant une complémentarité H2 et celles de sensibilisation à l’hydrogène ou formations de type découverte. Au total, en agglomérant ce trio, le paysage se dessine ainsi : 216 offres de formation recensées et 349 sessions en France, 75 formations certifiantes dont 56 % de formations bac +5, 4 formations sur 10 comportant le mot hydrogène dans leur intitulé, 68 % des formations existantes en 2023 et 32 % qui se créeront d’ici deux ans, 36 % des formations d’une durée de moins d’une semaine, 26 % de l’offre concernant des modules de sensibilisation et 44 % des formations cœur hydrogène, 25 % des formations accessibles via l’apprentissage. Inès Taoufik rappelait ces éléments importants dans la structuration de l’échelle d’accès aux connaissances et l’amélioration des compétences : «Beaucoup de formations sont ciblées sur la mobilité. La formation des formateurs est un enjeu majeur. On peut dire que tous les métiers sont en tension, particulièrement celui de chef de projet. À l’avenir, il y aura besoin de techniciens et d’ingénieurs.»
Faire connaître les métiers de l'hydrogène.
L'Afpa, coordinatrice d'une ambition commune
Entre 2021 et 2022, les offres d’emploi de la filière hydrogène ont augmenté de 77 % : des besoins en recrutement évolutifs et souvent peu anticipés. Clément Maury, coordinateur du projet Green SKHy, prenait ensuite la parole. Le projet Interreg Europe du Nord-Ouest Green SKHy est coordonné depuis le 1er janvier dernier par l’Afpa. Il est consacré au développement des compétences hydrogène en Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays Bas et Suisse. Il tend à lever les obstacles au développement de la filière hydrogène à travers une approche commune de l’évolution du besoin en compétences, la création de formations professionnelles et académiques transnationales et l’expérimentation de plateaux techniques mobiles de formation. Pour synthétiser cette ambition, Clément Maury a formulé cette locution : «Grandir ensemble.» Ajoutant : «Il faut voir au-delà de nos frontières à partir d’un diagnostic partagé sur la dorsale européenne.» 17 partenaires fédérés et 68 associés : le levier est enclenché.
Bâtir le futur
Le dénominateur commun est trouvé, comme l’a confirmé la table ronde clôturant la matinale sur cette thématique explicite «coopérer en Grande Région au service du développement des compétences hydrogène». Le passage de relais symbolique s’est fait officiellement entre l’EURES-t Grande Région qui œuvre avec ses 21 partenaires à la promotion et au déploiement de la mobilité transfrontalière et Interreg Green SKHy. Un nouveau palier est franchi. Demain c’est maintenant dans ce défi collectif : générer des solutions alternatives aux énergies fossiles pour lutter contre le changement climatique. L’hydrogène en est une clé. Ce changement de paradigme aura nécessairement un impact sur nos modes de vie. Réduire les émissions de gaz à effet de serre, préserver l’environnement, repenser notre urbanité, redéfinir notre attractivité, faire des choix rationnels, pertinents et cohérents : tout cela nous oblige. Pour le présent et les générations futures.
Une filière en devenir et aux potentialités certaines.