A la croisée des chemins entre la santé et l’agroalimentaire
Véritable filière d’excellence, la nutrition-santé est, dans notre région, riche en innovations. Pour preuve : elle compte la majorité des déposants de brevets ainsi que les premiers effectifs en recherche et développement publics comme privés.
Depuis un an, les projets séduisent de plus en plus les acteurs du capital-investissement, avec des levées de fonds ayant atteint 40 millions d’euros en 2013. Alors, oui, le Nord-Pas-de-Calais tire son épingle du jeu ! Le pari de demain ? Continuer d’alimenter cet écosystème dense pour maintenir la création d’emplois et l’émergence de nouvelles pépites. Dans ce dossier spécial, nous avons voulu faire le point sur la filière, dresser l’état de la recherche scientifique régionale, tout en présentant des portraits d’entreprises aussi innovantes que créatives. Des défis restent à relever : rester dans la mouvance, concrétiser la dynamique et permettre aux entreprises de croître toujours plus.
Depuis deux mois, le Pôle Nutrition Santé Longévité (PNSL) est présidé par Bruno Desprez, directeur général de Florimond Desprez à Cappelle-en-Pévèle. Il succède à Marc Roquette, à la présidence depuis 2009. Déjà membre actif du Pôle depuis sa création, Bruno Desprez a pour ambition de faire entrer le PNSL dans une version 3.0 en l’inscrivant davantage dans une dimension partenariale.
Fédérateur. C’est en ce terme que l’on pourrait qualifier le PNSL. Mais on pourrait aussi évoquer son rôle de facilitateur de contacts et d’émulsions de projets. Le PNSL, dès son origine, est devenu incontournable en Nord-Pas-de-Calais certes, mais aussi en dehors. Car sa vocation est autant régionale, qu’européenne et internationale. Eclairage en compagnie du nouveau président et d’Etienne Vervaecke, directeur général d’Eurasanté.
La Gazette. Vous venez d’être élu président du PNSL mais votre implication y était déjà forte. Florimond Desprez a déjà, par exemple, participé à trois projets de recherche collaboratifs portant sur la chicorée. Comment inscrivez-vous votre entreprise dans l’innovation et le PNSL ?
Bruno Desprez. En effet, je suis membre depuis 2006, autrement dit quasiment depuis le début ! Il n’y avait aucun pôle agroalimentaire dans la région avant le PNSL. Les industries du secteur sont immédiatement devenues adhérentes, flairant l’opportunité d’être à la croisée des chemins entre la biotechnologie et l’agroalimentaire, mais aussi entre le monde académique et le monde de l’entreprise. Prenons l’exemple du métier d’amélioration des plantes de Florimond Desprez… Notre métier est très lent et nous demande de prévoir ce qui va se passer dans dix à douze ans. Nous sommes, par exemple, engagés dans le programme Aker qui vise à améliorer la compétitivité de la betterave par de nouvelles stratégies variétales. Certes, très agricole mais tout en étant proche des technologies et du développement de la santé. Nous nous devions de faire partie du PNSL. Depuis la création du Pôle, on s’approche d’un marché qui a besoin d’environnement, de santé, de nutrition, de sécurité alimentaire… Mais il faut du temps.
Comment les entreprises agroalimentaires s’approprient-elles la recherche ? On les imagine baignées dans une culture du secret, qu’en pensez-vous ?
B. D. C’est un monde de production. L’investissement dans la recherche représente 0,5% du chiffre d’affaires. Quand on a une industrie agroalimentaire vraiment en pointe, cela peut monter jusqu’à 3%. Vous le voyez, c’est peu. Notre rôle, c’est justement de faire émerger ces démarches de R&D. Prenons des fleurons comme Bonduelle, Lesaffre, Tereos, ou encore McCain. Ils ont fait une première démarche en venant dans le Pôle. Ces entreprises sont souvent déjà dans la culture des innovations partenariales, c’est donc très important pour réaliser les réseaux. A nous de leur montrer la voie et de leur dire qu’elles doivent s’ouvrir tout en étant compétitives et innovantes. Nous sommes là pour rendre durable l’esprit d’innovation.
Existe-t-il d’autres pôles en France, similaires au PNSL ?
B. D. Il y a des pôles complémentaires. Mais d’autres aussi qui ont des rôles de collaboration à jouer, comme Aquimer par exemple. Sans parler des partenariats à envisager à l’étranger mais aussi en France ! Je pense notamment au pôle Valorial, en Bretagne. L’originalité de PNSL, c’est le couplage et l’équilibre entre l’alimentaire et la santé.
Travaillez-vous avec ces pôles que vous venez de citer ?
B. D. Pas encore ! Mais nous sommes complémentaires, c’est certain. C’est la même chose avec Vitagora, en Bourgogne, qui intègre des éléments plus pointus que PNSL, notamment sur le goût. Il y a des interpénétrations même si, sur un même sujet, PNSL aura une vision plus «santé» et les autres pôles, plus «technologique». Tout est question d’équilibre. Structurellement on part de loin dans la région.
C’est-à-dire ?
B. D. Le Nord-Pas-de-Calais a les faiblesses de ses forces. Nous disposons d’importantes industries agroalimentaires et un secteur santé en pointe… Mais le problème, selon moi, c’est que la région a du mal à se spécialiser et à se structurer.
La région semble encore souffrir d’une mauvaise image…
B. D. On dit souvent qu’il n’y a pas assez de recherche, d’étudiants… Mais c’est la qualité qui est avant tout nécessaire ! Oui, les étudiants s’exportent mais à nous de les garder avec notre secteur académique brillant. Il faut savoir que Lille 1 est la meilleure université en termes de formation continue, alors utilisons-la ! Soyons honnêtes : on ne peut pas faire de recherche et d’innovation avec l’offre de formation actuelle, notamment en ce qui concerne la formation continue. Parlons aussi de la fédération de Lille 1, Lille 2 et Lille 3 qui est en train de se faire… Il y a une opportunité ! PNSL est à la croisée de toutes ces universités. Favorisons la construction de l’Université de Lille ! Si on favorise la structuration de l’innovation par la formation, on va aider à cette lisibilité. Nous avons un rôle à jouer. C’est une formation à double sens : les entrepreneurs à l’université et les académiques dans les entreprises.
Est-ce par un manque de moyens que les entreprises investissent peu dans la recherche collaborative, favorisée par le PNSL ?
Etienne Vervaecke. Ce n’est pas une affaire d’obscurantisme de la part des dirigeants d’entreprise de ne pas faire de recherche. Pour en faire, les produits et services doivent intégrer une dépense de recherche supplémentaire. Soyons clairs : dans les produits finis – B to C − c’est difficile de faire absorber des dépenses de R&D. La dichotomie se situe entre les entreprises qui fabriquent des produits intermédiaires – B to B – et les entreprises de produits finis. Contrairement à ce qui peut se passer dans d’autres régions, nous tirons notre force d’une communauté d’entreprises qui s’appuie surtout sur des produits intermédiaires. Elle a donc une culture de la mise en œuvre de projets de recherche bien plus grande que dans le produit fini. A partir de là, il faut davantage essaimer et irriguer. C’est ce qu’implique notre nouvelle feuille de route.
Qu’est-ce qui freine les entreprises dans leurs démarches ?
B. D. Il y a un foisonnement de structures. La pédagogie est nécessaire pour orienter les entreprises vers les bons interlocuteurs. Il y a tellement d’entrées possibles que les gens ne savent pas toujours où aller. Et on doit surmonter une difficulté évidente : travailler dans l’innovation et la confidentialité. C’est très difficile.
E. V. Le métier du Pôle repose sur la recherche partenariale. Mais ce n’est qu’une facette de la recherche dans une entreprise. La réalité et les besoins d’une entreprise sont aussi liés à des problématiques de fonds propres, de ressources humaines, d’export… Le menu proposé aujourd’hui aux membres du PNSL intègre tous ces sujets.
Bruno Desprez, vous venez d’être élu à la présidence. Vous évoquez une feuille de route 3.0. Pouvez-vous nous en dire plus ?
B. D. Le premier challenge c’est de continuer ce qui a été fait par mon prédécesseur, Marc Roquette. Il faut conserver nos adhérents (actuellement au nombre de 90 : académiques, TPE, PME, entreprises de taille moyenne et plus, ndlr). Nous avons ouvert les thématiques pour pouvoir fédérer les plus petits acteurs et leur démontrer qu’ils ont intérêt à nous rejoindre. Un brasseur tout seul sera difficile à convaincre. Si on en a une dizaine et qu’on les fait travailler ensemble, ils vont rapidement y prendre goût ! PNSL doit être un pôle incontournable pour l’agroalimentaire, la santé et la nutrition. Un autre challenge, c’est de trouver des plus gros acteurs sur la santé et des plus petits sur l’agroalimentaire ! Et que les petits n’aient pas peur des gros ! Mais comment trouver de l’argent quand les fonds publics diminuent ?
E. V. Nous avons une volonté de fédérer autour de la nutrition mais aussi des domaines comme les maladies liées au vieillissement ou au métabolisme. Sur la feuille de route 3.0, il y a des innovations qui portent sur le comportement autour de l’alimentation. Le PNSL a été à l’initiative de nombreux produits alimentaires permettant de prévenir les désordres ou les pathologies, ou dans le diagnostic des maladies cardio-métaboliques ou liées au vieillissement. Jusqu’alors nous avions peu intégré les sciences cognitives et comportementales. C’est désormais chose faite.
Mais c’est aussi le cas des maladies gastro-intestinales, du domaine de la sécurité sanitaire, des outils analytiques de l’instrumentation… Nous avions déjà des innovations comme des outils d’imagerie ou des technologies biopuces mais ce n’était pas écrit dans nos documents cadres. Je pense aussi à la sélection végétale, variétale et animale. Le Nord-Pas-de-Calais a la chance d’avoir des acteurs qui pèsent dans le domaine. Notre intention c’est de mieux les fédérer pour concevoir les innovations de demain.
Comment fonctionne le Pôle d’un point de vue structurel et financier ?
B. D. Le pôle est régulièrement évalué par l’AERS (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et témoigne d’une bonne efficacité. Nous dépendons du ministère de l’Industrie. Il y aussi l’évaluation des projets et de nos stratégies annuelles. Les indicateurs sont au vert, sauf celui des PME qu’il faudrait équilibrer davantage. Nous bénéficions de subventions de l’Etat, de la Région et d’autres partenaires. Il va falloir trouver d’autres sources de financement pour moins dépendre de subventions. Car si on veut toucher les PME, il nous faut des moyens. Nous allons de plus en plus être jugés sur l’efficacité, les produits, les emplois, qu’ils soient nationaux ou régionaux.
Les aides de l’Etat ne vont certainement pas aller en augmentant. Ne craignez-vous pas de ne plus pouvoir mener vos missions ?
E. V. Notre budget, stable, s’élève à 450 000€ mais avec une part privée programmée pour augmenter et qui devrait atteindre les 50% à horizon 2016. Le juge de paix de la performance d’un pôle de compétitivité, c’est le nombre et la qualité des projets collaboratifs que le pôle est en mesure d’accompagner, de faire émerger et de financer. Vous savez, nous avons trois candidats au titre du financement du FUI (Fonds unique interministériel), c’est une première ! Notre chance, c’est de disposer de projets portés par des petites entreprises sans rapport avec ce que peuvent revendiquer d’autres pôles de compétitivité. Quatre dossiers ont été labellisés FUI et examinés en comité des financeurs.
Lesquels ?
E. V. Un premier porte sur une PME de 15 personnes avec un projet en partenariat avec une entreprise de 350 salariés ; un autre, par une entreprise de 100 personnes avec un partenaire régional de 100 personnes, ou encore, une entreprise de 20 personnes, principal acteur en R&D qui a fédéré un gros acteur en région et enfin, un projet développé par une PME de 100 personnes. On ne parle donc pas de mastodonte ! Et pourtant ce sont des projets entre 5 et 50 millions d’euros de budget de R&D ! Les dynamiques de développement dans le domaine de la santé permettent à des entreprises de cette taille de porter des projets. Prenons l’exemple d’un de ces dossiers : un projet porté par une entreprise lyonnaise dans le domaine d’outils innovants dans le diagnostic rapide dans la sécurité sanitaire. Il n’aurait jamais vu le jour sans le PNSL. PNSL a souhaité intensifier ses liens avec un de nos pôles alter égo en santé : Lyon Biopôle qui travaille sur les maladies infectieuses, la microbiologie etc. Il a recueilli une intention de projet d’une entreprise technique avec une vocation d’application dans le monde agroalimentaire mais hélas, sans partenaire clé dans ce domaine. Ils se sont fait retoqués. On les a contactés et en un mois de temps, on leur avait trouvé deux entreprises.
Une douzaine de nouvelles entreprises viennent de rejoindre le pôle, notamment Auchan ou Oxylane. A-t-il été difficile de les convaincre ?
B. D. Oxylane ou Auchan vont plus loin que la production alimentaire et l’industrie lourde. Il est logique qu’elles se rendent compte de l’innovation à faire et qu’elles entraînent les autres. Mais chaque innovation se doit d’être accompagnée. Les PME ont souvent les mêmes procédés que les grandes entreprises, les «clusteriser» est donc un bon moyen. On ne vient pas au PNSL comme au self-service ! C’est un club où chacun est acteur, où l’innovation est proposée par les entreprises. Ce sont les membres qui font le PNSL.
E. V. On retrouve aussi des membres extra régionaux. Notre intention c’est d’assumer le statut de pôle aiguillon de l’innovation à l’échelle nationale et internationale. Mais aussi de faire venir des entreprises étrangères pour qu’elles implantent leurs unités ici.
Malgré cette volonté, on a le sentiment que le pôle souffre d’une image lilloise.
E. V. Oui on a l’image d’un pôle métropolitain mais la zone d’expression de PNSL et d’Eurasanté est bien sûr régionale. Regardez par exemple les groupes : Roquette est à Lestrem, Copalis au Portel, Ingredia à Saint-Pol et Arras… Il faut arrêter de penser que tout se passe à Lille !
La santé est-elle toujours un secteur qui recrute ?
E. V. En 1996, au lancement d’Eurasanté, la filière comptait 17 500 salariés. Depuis, on a gagné 4 500 emplois (voir encadré). Je n’impute pas l’exclusivité de la création nette de ces emplois à Eurasanté et au PNSL mais j’ai la faiblesse de dire que nos démarches y ont un peu aidé par la performance ou l’aide à l’implantation d’entreprises… Nous avons conscience de la dimension de l’emploi, c’est la concrétisation de l’ensemble de nos projets. L’emploi ne pourra se générer que si les entreprises ont accès à des compétences. Nous avons donc mis en place un site Internet depuis trois ans − emplois.eurasante.com − ainsi qu’un diagnostic pour comprendre les besoins en compétence des entreprises régionales. Et voir ainsi ce qui peut être mis en place en termes de formation.
B. D. Nous n’allons pas tenter de labelliser des formations existantes mais d’imaginer des formations transversales entre les universités, qui nous permettront d’absorber de la formation. Les enseignants chercheurs pourraient instruire leur propre recherche aux partenaires privés. Et les entreprises pourraient aussi enseigner. Mais pour cela il faut du budget ! Le centre d’énergie atomique (CEA) a l’intention de venir dans le Nord. A nous de l’attirer ! Ils ont la recherche et les outils dans la santé, l’alimentation… c’est une chance énorme ! Je trouve par exemple que l’INRA n’est pas assez présent en région, il faut lui montrer qu’il a tort ! Oui, il y a des manques en région mais à nous de montrer qu’on leur manque aussi !
ENCADRE
Eurasanté : une forêt de petites pousses…
En y incluant le CHR, Eurasanté s’étend sur près de 300 hectares dont 40 réservés à l’accueil d’activité économique.
135 entreprises / 2 700 salariés (Santelys : 450 salariés, Diagast : 170 salariés, Bayer : 300 personnes…)
Poids moyen : 20 salariés avec une majorité de TPE/PME
Filière santé régionale : 22 000 salariés.
Chiffre d’affaires santé : 6,5 milliards d’euros, en hausse, 40% à l’export
Filière agroalimentaire (avec les emplois artisanaux) : 30 000 salariés
Eurasanté est membre du réseau J’innove en Nord-Pas-de-Calais.