Trois questions à Julien Laugier, économiste, Groupe BPCE
« 1% seulement des PME qui ont fait défaut en 2024 ont moins de trois ans »
La vague des faillites d'entreprises devrait continuer en 2025. Phénomène particulièrement inquiétant, les PME qui comptent le plus de salariés et plusieurs années d'existence sont particulièrement concernées.
Quelles sont les dernières évolutions en matière de défaillances d'entreprises et à quoi faut-il s'attendre pour 2025 ?
En 2024, nous devrions atteindre 65 000 défaillances d'entreprises, avec un rythme qui s'est accéléré depuis le quatrième trimestre de l'année précédente. L'an prochain, il est probable qu'il se maintienne au moins jusqu'à la mi-année. Ensuite, une partie au moins des entreprises devraient retrouver des débouchés, si l'amélioration de l'environnement économique prévue par des économistes se confirme. Pour l'instant, on constate que le scénario catastrophe redouté à l'issue du Covid ne s'est pas concrétisé, mais que le niveau de défaillances des PME et ETI s'est stabilisé à un niveau extrêmement élevé. Les chiffres sont inquiétants : au cours des 12 derniers mois (de juillet 2023 à juin 2024), nous avons enregistré 62 844 défaillances d'entreprises, un niveau supérieur de 21% à 2019. Nous traversons une phase de rattrapage : les entreprises qui avaient survécu grâce aux aides durant le Covid, alors qu'elles n'étaient pas structurellement viables, disparaissent.
Les PME sont-elles particulièrement touchées par ces défaillances ou s'agit-il d'une idée fausse ?
C'est un fait qu'il me semble essentiel de rétablir, car il est lourd de conséquences. Souvent, on entend dire que la vague des faillites d'entreprises est alimentée par la création massive d'entreprises des dernières années. C'est faux ! 1% seulement des PME et ETI qui ont fait défaut en 2024 ont été créées il y a moins de trois ans, contre 13% en 2015. Cela signifie que de plus en plus d'entreprises qui ont plus d’ancienneté font défaut. Elles ont tissé des liens avec un écosystème de fournisseurs, clients, banquiers... lesquels peuvent être déstabilisés par leur disparition. En revanche, il est exact que les PME sont particulièrement touchées par les défaillances. Et cette tendance aussi est très inquiétante. En effet, elle concerne plus particulièrement les PME qui comptent le plus de salariés, ce qui a un impact économique d'autant plus néfaste. Sur les 12 derniers mois, 5 300 PME qui emploient au moins dix salariés ont fait défaut, contre 3 400 en 2019. Cela représente une augmentation de 56%. C'est beaucoup plus que le rythme d'augmentation du nombre de faillites des TPE de moins de trois salariés (16%) et de celles qui en emploient entre 3 et 9 (plus de 30%).
Que nous enseigne la crise sur les faiblesses et caractéristiques structurelles des PME ?
Déjà, en 2019, on avait assisté à un nombre assez élevé de défaillances de PME qui me semblent liées à une faiblesse chronique : une rentabilité assez médiocre, notamment en raison du coût élevé du travail. Régulièrement, les études de la Banque de France montrent que le taux de marge des PME est nettement moindre que celui des grandes entreprises, voire des ETI. Cela les rend particulièrement vulnérables lorsque surviennent les crises comme celles des dernières années : Covid, inflation, instabilité de l'environnement économique...Cette accumulation a plongé beaucoup de PME qui étaient déjà sur une ligne de crête dans les difficultés. Notons, par ailleurs, que souvent, les dirigeants, conscients de cette fragilité, préfèrent consolider leur bilan plutôt qu'investir. Et lorsqu'ils le font, ils se concentrent sur des investissements de renouvellement, comme le remplacement d'un outil de production obsolète. Pour les investissements verts, ils se concentrent sur des projets comme l'achat de machines plus économes en énergie, selon Bpifrance. Les investissements de croissance sont limités. De moins en moins de PME adoptent une stratégie de croissance qui suppose, par définition, de prendre des risques.