Zoom sur l’abus de biens sociaux

Retrouvé agonisant d’une balle dans la tête, Serge Alexandre Stavisky, «héros-escroc» dans la célèbre affaire qui porte son nom, est encore aujourd’hui considéré comme l’aigrefin de l’un des plus grands scandales financiers du XXème siècle. Impliqué dans de nombreuses fraudes et délits, ses activités ont conduit dans les années 30 à la création d’une infraction d’abus de biens sociaux, appelée également abus des biens et pouvoirs sociaux.

Zoom sur l’abus de biens sociaux

Depuis bientôt presque cent ans, l’infraction d’abus de biens sociaux vient sanctionner l’usage de biens de la société par certains dirigeants de société. Zoom sur l’abus de biens sociaux. 


Abus de biens sociaux vs abus de confiance

Habituellement, l’infraction d’abus de biens sociaux est présentée comme un abus de confiance commis spécifiquement au sein d’une société. L’abus de confiance est défini comme «le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé.» Sous son ancienne rédaction, issue de l’article 408 (ancien) du Code pénal, l’abus de confiance ne pouvait être réalisé que dans le cadre de contrats limitativement énumérés. Étaient alors visés les contrats de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage et de travail salarié ou non salarié. Les contrats de société étant exclus du champ d’incrimination de l’infraction d’abus de confiance, il était donc difficile d’imputer un détournement à un dirigeant social. Par ailleurs, dans le cadre d’un abus de confiance, la loi suppose nécessairement une remise volontaire d’un bien. Refusant depuis de longue date qu’un immeuble puisse faire l’objet d’un détournement au titre d’un abus de confiance, la Cour de cassation dans son interprétation «autorisait» ainsi certains dirigeants d’acheter par la société divers types d’immeubles (maisons, appartements, villas) en vue de les occuper ou d’en faire profiter des proches. La société ne bénéficiait alors d’aucun retour sur investissement puisqu’aucun loyer n’était versé. Ces difficultés étant désormais dissipées par le législateur, l’abus de confiance commis dans le cadre d’un contrat de société retrouve à s’appliquer pleinement, sous la dénomination d’abus de biens sociaux.


Abus de biens sociaux, quésako ?

Un dirigeant de société de production de champagne qui bénéficie régulièrement de caisses de champagne gratuitement ? Des dépenses personnelles prises en charge par la société ? Une rémunération disproportionnée du dirigeant par rapport à la capacité financière de la société ? La conclusion de contrats déséquilibrés ou le règlement de factures de complaisance avec une autre société dans laquelle le dirigeant a des intérêts ? Tous ces exemples ont un point en commun : ils peuvent tous constituer un abus de biens sociaux. L’abus de biens sociaux est défini comme «le fait, pour certaines personnes limitativement énumérées, de détourner des biens de la société, de mauvaise foi et à des fins personnelles, pour en faire un usage contraire à l’intérêt de celle-ci.»

Quelle(s) société(s) ? : À la lecture de la loi, on comprend aisément que de nombreuses formes de société sont visées par les textes notamment les sociétés à responsabilité limitée (et les EURL), les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés par actions simplifiées (et les SASU), les sociétés de placement immobilier, les sociétés de mutuelles d’assurances ou encore les sociétés de construction. Ainsi, les sociétés de personnes notamment en commandite simple ou en nom collectif sont exclues du champ d’application de l’infraction. En cas de détournement, leurs dirigeants seront poursuivis sur le fondement de l’abus de confiance.

Qui ? : Toutes les personnes composant la société ne sont pas visées par la loi. Sont principalement concernés le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme, le gérant d’une SARL et les dirigeants de fait dans les sociétés anonymes et SARL. Le liquidateur peut également être auteur d’un détournement, peu importe la forme de la société.

Quoi ? : Quant au détournement, il peut porter, selon la loi, sur des biens, du crédit, des pouvoirs et voix de la société. Autrement dit, aucun bien n’est exclu du champ d’incrimination : peu importe que soit alors détourné un bien mobilier ou immobilier, corporel ou incorporel. Il a ainsi été reconnu que le détournement d’un fichier clients pour un usage personnel pouvait constituer un abus de bien social. Une fusion-absorption sans justification économique et sans aucun intérêt pour la société absorbante peut ainsi être considérée comme un détournement des pouvoirs de la société. De plus, le dirigeant qui pour faire annexer la partie fixe de sa rémunération sur la partie variable propose de renouveler les membres du comité de rémunération, ayant jusqu’alors émis un avis négatif fait un usage abusif de ses pouvoirs notamment de proposition.

Dans quel(s) but(s) ? : À des fins contraires aux intérêts de la société́ et dans l’intérêt personnel du dirigeant, peu importe qu’il se soit enrichi personnellement. La loi protège ainsi l’intérêt social de la société et les juridictions adoptent une conception large de ce dernier. C’est ainsi que même si la société s’est enrichie à la suite du détournement, l’infraction peut être constituée. L’intérêt personnel doit être tiré aux bénéfices du dirigeant lui-même, de ses proches, d’une autre société ou personne morale. Il peut être financier mais aussi intellectuel : la sauvegarde d’une réputation familiale, d’intérêts électoraux ou la recherche d’un certain prestige ou d’une notoriété caractérisant alors l’intérêt personnel. Enfin l’infraction demande la preuve de la mauvaise foi du dirigeant. Généralement, elle se déduit de sa qualité et de ses fonctions. Il est considéré habituellement que les dirigeants sont à même d’apprécier la portée de leurs actes. Attention, l’infraction est donc facilement caractérisée.


Les peines encourues

L’abus de biens sociaux simple est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 €.

En cas d’utilisation de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ou de siège social d’une personne morale établie à l’étranger, la peine est portée à 7 ans d’emprisonnement et 500 000 €. En sus, des peines complémentaires peuvent s’ajouter notamment une interdiction temporaire ou définitive d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale.


Le rôle de l’avocat

Que vous soyez poursuivi pour des faits d’abus de biens sociaux, créancier de la société abusée, ou que vous subissiez les conséquences du comportement du dirigeant de la société dans laquelle vous êtes actionnaires ou associés, l’avocat mettra au service de votre défense ses compétences et ses connaissances afin de vous conseiller et vous accompagner tout au long de la procédure. Stratégie et pugnacité sont les maîtres mots chez Filor Avocats.

Maître Sophie Ferry, avocat au barreau de Nancy. Cabinet Filor Avocats