Yves Boisset, le cinéma comme un combat
Le cinéaste Yves Boisset, décédé lundi à l'âge de 86 ans, a très souvent bravé la censure avec des films marquants des années 1970, comme "L'Attentat" sur l'affaire Ben Barka, "R.A.S" sur la guerre...

Le cinéaste Yves Boisset, décédé lundi à l'âge de 86 ans, a très souvent bravé la censure avec des films marquants des années 1970, comme "L'Attentat" sur l'affaire Ben Barka, "R.A.S" sur la guerre d'Algérie ou "Dupont Lajoie" sur le racisme ordinaire.
Cinéaste de gauche, s'inspirant d'évènements réels, considérant chaque film comme un combat, il entendait dénoncer "la bêtise, dont le racisme est une variante spécifique" et "chercher la vérité".
Après une vingtaine de longs-métrages, il abandonne le cinéma en 1991 au profit de la télévision, gardant intacte une volonté --"frisant l'inconscience", selon un critique-- d'en découdre avec les injustices.
Né le 14 mars 1939 à Paris, ce diplômé de cinéma fait son service militaire en Algérie. Il est ensuite journaliste au mensuel Cinéma et assistant auprès de réalisateurs comme Jean-Pierre Melville ou Vittorio de Sica.
Son premier film en 1968 est une sympathique série B, "Coplan sauve sa peau". Il change ensuite de braquet, tournant 10 films en 10 ans. Et pas des nanars ! D'abord, "Un condé" (1970), avec Michel Bouquet, sombre portrait de la police.
"A partir de là, les ennuis (avec la censure) ont commencé", dira-t-il.
En 1972, c'est "L'Attentat", avec Jean-Louis Trintignant, inspiré par l'assassinat en France de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka. Le film s'en prend au pouvoir gaulliste. L'équipe est interdite de tournage sur plusieurs lieux.
Un an plus tard, sort "R.A.S" (pour: "Rien à signaler"). Il est l'un des premiers cinéastes à s'emparer de la guerre d'Algérie. Une histoire d'insoumission dont le leader d'extrême droite alors, Jean-Marie Le Pen, et ses amis disent tout le mal qu'ils pensent. La censure exige que les scènes de torture soient écourtées. Des bobines sont volées pendant le tournage, le financement plusieurs fois bloqué. Peu importe, "R.A.S" est un succès public.
En 1975, paraît son film le plus célèbre, "Dupont Lajoie", à partir de meurtres racistes à Marseille commis quelques années plus tôt. Jean Carmet crève l'écran. Bagarres et intimidations de l'extrême droite ont lieu lors du tournage et de la sortie en salles. Des projections sont annulées.
Téléfilms engagés
Infatigable, il réalise en 1977 "Le Juge Fayard dit +le Shériff+", avec Patrick Dewaere, d'après l'assassinat du juge François Renaud. "C'est l'histoire d'un type --ce sera à peu près le même sujet dans la plupart de mes films-- qui cherche désespérément à ce que la vérité triomphe et qui va le payer", résume Yves Boisset.
Le SAC (Service d'action civique, service d'ordre gaulliste) de Charles Pasqua obtient de la justice que toute mention de l'organisation disparaisse du film. L'équipe poinçonne la bande sonore, remplaçant le mot "SAC" par un bip-bip. Résultat: "chaque fois que les spectateurs l'entendent, ils se mettent à crier debout +SAC : assassin!+. Cela donna au film un formidable effet publicitaire", se réjouira-t-il. Il riait moins au moment du film où il s'est fait violemment agresser.
Scénariste de ses films, il réalise aussi "Espion, lève-toi" (Lino Ventura), "Canicule" (Lee Marvin) ou "Bleu comme l'enfer" (Lambert Wilson). Un de ses principaux succès est "Un taxi mauve" (Philippe Noiret et Charlotte Rampling).
Fatigué qu'on lui mette en permanence des bâtons dans les roues, il arrête le cinéma en 1991: "je me suis efforcé de survivre en faisant des téléfilms qui étaient souvent des films traduisant des préoccupations sociales évidentes".
Il signe en 1993 "L'Affaire Seznec", en 1995 "L'Affaire Dreyfus", en 1997 "Le Pantalon" (sur les fusillés pour l'exemple de la guerre 14-18), en 2006 "Les Mystères sanglants de l'Ordre du temple solaire" et, en 2009, "L'Affaire Salengro". Un travail plusieurs fois récompensé.
Passionné d'athlétisme durant sa jeunesse, père de trois enfants, il publie ses Mémoires en 2011, "La Vie est un choix".
Il y accuse --ce qui lui vaudra une condamnation pour diffamation-- l'ex-ministre socialiste Michel Charasse d'avoir diligenté un contrôle fiscal lors de la préparation d'un film gênant pour le président François Mitterrand sur le commerce des armes. Un film finalement jamais tourné.
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