WEF : une sieste à Davos
La récente session du forum économique de Davos vient confirmer une tendance déjà perceptible lors des millésimes précédents : le repli sur soi du club des grands décideurs de la planète. Réunis autour d’une thématique ronflante mais creuse, les leaders de ce monde ont pudiquement évité les sujets qui fâchent...
A près de septante-cinq ans, Klaus Schwab vient de boucler son 43e forum économique mondial (WEF) à Davos, une ville qui se targue d’être la plus élevée d’Europe (1 560 m d’altitude). Un sommet dans les sommets, en quelque sorte, qui réunit chaque année le gratin des firmes multinationales, un large panel de politiques et de personnalités syndicales, religieuses et scientifiques, outre les incontournables gens de médias. A l’origine conçu comme un outil de propagande des méthodes de management américaines, à destination des décideurs européens, le Forum a rapidement revu ses ambitions à la hausse, en phase avec l’humilité légendaire de Klaus Schwab. Il vise désormais à « améliorer l’état du monde », lequel a bien besoin de soins attentifs, convenons-en. Mais nul ne peut véritablement identifier les contributions décisives du Forum au mieux-être de la planète. D’abord parce qu’il est un lieu d’échanges et se défend de décider quoi que ce soit sur la marche du monde. Ensuite parce que bien des rencontres, nouées ou renouvelées en cette occasion, échappent aux projecteurs des assemblées plénières. Les grands fauves du business et de la politique ont à Davos l’opportunité d’organiser des conciliabules discrets, voire secrets, qui entretiennent le folklore de l’événement et nourrissent les fantasmes des participants.
N’en déplaise aux complotistes forcenés, le Forum ne saurait être le directoire du monde. On ne peut pour autant négliger l’impact des nombreuses contributions sur les décideurs, qu’un agenda de forçat prive du temps nécessaire à la réflexion stratégique. Encore que dans l’ensemble, les développements excathedra ont principalement relevé du registre conventionnel, ça et là saupoudrés des propos iconoclastes de quelques blasphémateurs professionnels, commis d’office dans le rôle de bouffons. Car s’agissant de la séance de brain storming la plus prestigieuse de la sphère des dirigeants, le Forum se doit d’accueillir quelques voix discordantes pour apaiser les consciences. Si Hugo Chavez et Fidel Castro n’ont pas été invités, c’est uniquement à cause de leur état de santé.
Un Forum plan-plan
L’édition 2013 du Forum promettait le vague-à-l’âme. Car peu avant l’ouverture de la session, PriceWaterHouse (PwC) dévoilait les résultats de son enquête annuelle auprès de 1 300 grands managers mondiaux. C’est le pessimisme qui domine quant aux perspectives de l’exercice en cours. Tout particulièrement en France, où seulement 13% d’entre eux sont confiants. Les motifs de cette morosité sont identifiés : l’atonie mondiale de l’activité, bien sûr, et aussi les tendances dominantes en matière de durcissement des réglementations et de la fiscalité. Sur ces derniers points, les inquiétudes ont été corroborées par l’intervention remarquée du Premier ministre britannique Cameron, qui s’est fendu d’un ardent plaidoyer en faveur de la lutte contre… l’évasion fiscale. Quand on sait que la City a une réputation de blanchisserie industrielle et que le Royaume- Uni entretient de très rentables paradis fiscaux, une telle « sortie » a de quoi laisser circonspect. Mais il semble que les politiques invités à la tribune n’aient pas renoncé à la langue de bois qu’ils réservent d’ordinaire à leurs électeurs. Mario Monti, en particulier, chaleureusement félicité par Christine Lagarde pour son action remarquable comme Président intérimaire du Conseil italien, s’exposera bientôt aux suffrages pour honorer ses « énormes responsabilités sociales » et prévenir dans son pays « la montée du nationalisme et du populisme ». Oh, merci super-Mario. Pour éclairer en toute modestie son rôle éminent dans la transformation de l’Italie, il cite son entretien récent avec l’Emir du Qatar, venu investir quelques picaillons en Italie. « Pourquoi ne l’avezvous pas fait avant ? » lui demande le techno-Président. « A cause de la corruption », aurait répondu l’Emir, avec cette franchise qui caractérise les pétromonarques. Ainsi, en quelques mois, Monti aurait terrassé la mafia qui prospérait impunément depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Chapeau.
On pourra s’étonner que les interrogations lancinantes sur l’avenir du système financier aient été totalement éludées par ce dernier Forum, principalement consacré à la « dynamique de la résilience » – traduction la plus proche du flou conceptuel qu’inspire l’intitulé en V.O. Ce qui n’a pas empêché quelques grands banquiers de conspuer les velléités de réglementation, avec l’aplomb et le cynisme propres à la corporation. Une exception de taille, toutefois : Axel Weber, patron d’UBS (1ère banque suisse), a jeté un pavé dans la mare en affirmant que « les banques doivent retourner à leurs activités de base ». C’est-à-dire se consacrer aux prêts et aux services de paiement, et ainsi renoncer aux juteuses spéculations pour compte propre – ce brasier sur lequel mitonne le risque systémique. Weber les encourage aussi à « revoir leur système de rémunération », sauf à s’exposer à un « sévère retour de bâton de la société civile ». Nul doute que le banquier suisse soit aujourd’hui ultra-minoritaire dans son milieu professionnel. Mais ses arguments pourraient faire de nouveaux adeptes, car ils sont fondés sur la peur, qui peut être bonne conseillère. Peur pour l’intégrité du système financier, qui est une condition de survie pour l’industrie bancaire ; peur pour la sécurité des managers, qui ne relève pas nécessairement de la paranoïa. La diatribe d’Axel aura ainsi représenté la seule note discordante dans le ronron du Davos 2013. Pas grand chose, donc, au milieu du tintouin d’un sommet qui prétend au bouillonnement intellectuel. On souhaite de longues et heureuses années à Klaus Schwab. Mais on prédit qu’à ce rythme, le Forum ne lui survivra pas.