Voyages en avion : chère valise !
Les billets d’avion semblent vendus à des prix avantageux, mais l’industrie aérienne se rattrape sur les frais annexes. Le chiffre d’affaires du transport de bagages a plus que doublé depuis 2014. Les compagnies classiques s’alignent sur leurs concurrentes à bas coût.
«L’Italie et le Portugal à partir de 39,99€» martelaient avant l’été les affiches publicitaires pour la compagnie espagnole à bas coût Vueling dans les grandes villes de France. Ces prix attractifs, toutes taxes comprises, sont précisément conçus dans ce seul objectif : allécher. Car, en pratique, les tarifs ne sont pas toujours disponibles aux dates voulues, sans parler des horaires. Et surtout, plusieurs frais peuvent s’ajouter aux prix annoncés.
C’est le cas notamment du transport des bagages. Les voyageurs étaient jusqu’alors habitués à déposer leur valise en soute ou dans la cabine de l’avion, dans les deux cas gratuitement, à condition de ne pas dépasser un certain poids. Les compagnies à bas coût ont bouleversé ces usages. Les passagers ont dû progressivement verser des suppléments au-delà de 14 kg (Easyjet) plutôt que 23 kg (Air France), payer davantage lorsque la décision de passer en soute est prise à l’aéroport, voire tout bonnement acheter le droit de transporter un bagage. Ainsi, la compagnie à bas coût Ryanair, qui a bâti sa réputation sur des prix cassés compensant l’inconfort assumé du voyage, n’autorise en cabine qu’un petit sac à glisser sous le siège.
25 milliards d’euros en 2018
Les compagnies traditionnelles se sont engouffrées dans la brèche. Comme Air France avec Transavia, elles ont commencé par créer des filiales «à bas coût» qui copient sans vergogne les méthodes de leurs concurrents. Et désormais, même pour les lignes classiques, le transport de bagages n’est plus inclus systématiquement dans le prix du billet d’avion. C’est le cas pour le groupe Air France-KLM, qui réclame un supplément aux acquéreurs du billet le moins cher (classe économique non remboursable, non échangeable), s’ils veulent enregistrer leur valise en soute. Pour un long courrier, ces frais peuvent atteindre 90 euros, par objet.
Ces constats ont été effectués par la plateforme numérique spécialisée dans le voyage CarTrawler et le cabinet de conseil IdeaWorks, qui siègent respectivement à Dublin et dans l’Etat américain du Wisconsin. Ces deux sociétés de service ont publié une étude consacrée au chiffre d’affaires que les compagnies aériennes tirent du transport de bagages, en constante progression. De 13,4 milliards de dollars (11,9 milliards d’euros) en 2014, ces revenus sont passés à 28,1 milliards de dollars (25,4 milliards d’euros), en 2018. Cela représentait, l’an dernier, 3,2% du chiffre d’affaires global des compagnies aériennes, contre 1,8% il y a cinq ans. L’étude précise que ces revenus se répartissent en trois catégories : l’enregistrement des valises en soute, les suppléments appliqués aux bagages volumineux ou pesants et, dans certains cas, la facturation des bagages en cabine.
«La surprise de ces deux dernières années consiste en la décision de plusieurs leaders mondiaux d’imposer des frais», expliquent les auteurs. Ainsi, Air France-KLM n’est pas la seule à facturer le transport de valises aux détenteurs des billets les moins chers. En Europe, British Airways, Scandinavian Airlines ou le groupe Lufthansa-Swiss-Austrian procèdent de la même manière. En revanche, les compagnies asiatiques ou moyen-orientales, comme Emirates ou Qatar Airways, continuent d’offrir le transport de valises à leurs clients, quel que soit le type de billet acheté. En Amérique du Nord, le fonctionnement est le même qu’en Europe : American Airlines, United, Delta ou Air Canada facturent les bagages des passagers ayant payé le prix le plus bas.
Ces convergences régionales s’expliquent, assurent les auteurs de l’étude. Elles résultent de la concurrence des compagnies à bas coût, qui déteignent sur les habitudes des passagers. Ceux-ci ont compris qu’ils peuvent être amenés à payer pour leurs valises sur certains vols, et sont donc plus enclins à accepter cette politique, même dans les avions des compagnies les plus installées. En d’autres termes, le bas coût dicte sa loi au marché.
Miser sur l’envie de voyage
La stratégie de l’industrie aérienne est limpide : il s’agit de faire apparaître le billet d’avion comme une «offre» particulièrement attractive, quitte à se rattraper sur les prestations annexes. Au total, les revenus additionnels des compagnies représentent désormais 11% du chiffre d’affaires du secteur. Car le transport de bagages n’est pas le seul supplément susceptible d’être imposé au passager. Voyager avec un nourrisson, qui pourtant n’utilise pas de siège, peut coûter quelques dizaines d’euros, selon les compagnies. Les places à côté d’un hublot, dotées de davantage d’espace pour les jambes, ou situées à l’avant de l’appareil afin d’en sortir plus rapidement, sont facturées. Des frais de dossier, ainsi que des retenues pour modification ou annulation, sont couramment appliqués. Et bien sûr, les cacahuètes, le soda ou le sandwich, lointains reliquats des somptueux plateaux-repas d’antan, sont désormais vendus sur de nombreux vols, pas seulement par le secteur à bas coût.
Ces constats permettent de relativiser l’impact des affiches publicitaires alléchantes. Lorsqu’il a connaissance d’un vol à 39,99€ pour une ville italienne, le client ne croit pas naïvement qu’il obtiendra un billet à ce tarif-là. Il sait que le prix final risque d’être plus élevé, mais l’affiche éveille en lui l’envie de voyage, et, du point de vue de l’industrie aérienne, c’est largement suffisant.