Vingt ans après, le mystère non résolu du Bugaled Breizh

Accident de pêche ou accrochage avec un sous-marin? Le naufrage du chalutier Bugaled Breizh, qui a coûté la vie à cinq marins bretons dans la Manche en 2004, reste...

L'épave du "Bugaled Breizh" sur une barge tirée par un remorqueur de haute-mer, le 13 juillet 2004 à Brest, six mois après son naufrage © MARCEL MOCHET
L'épave du "Bugaled Breizh" sur une barge tirée par un remorqueur de haute-mer, le 13 juillet 2004 à Brest, six mois après son naufrage © MARCEL MOCHET

Accident de pêche ou accrochage avec un sous-marin? Le naufrage du chalutier Bugaled Breizh, qui a coûté la vie à cinq marins bretons dans la Manche en 2004, reste inexpliqué 20 ans après le drame.

"On chavire, viens vite, on chavire, fais vite!" Il est 12H25 GMT (13H25 heure française), ce 15 janvier 2004, lorsque l'appel de détresse duBugaled Breizhretentit sur les ondes VHF, alors qu'il se trouve au sud du Cap Lizard, dans les eaux internationales entre la France et la Grande-Bretagne.

Les marins de l'Eridan, qui pêchent à quelques milles de leurs amis du Guilvinec (Finistère), se rendent immédiatement à son secours. A leur arrivée, seuls quelques débris et du gasoil flottent à la surface.

Deux corps sont repêchés par les secouristes britanniques: ceux du capitaine Yves Gloaguen (44 ans) et du matelot Pascal Le Floch (49 ans). Un troisième corps, celui de Patrick Gloaguen (34 ans, second mécanicien), sera découvert dans l'épave.

Georges Lemétayer (59 ans, chef mécanicien) et Eric Guillamet (41 ans, matelot) n'ont, eux, jamais été retrouvés.

Les enquêteurs privilégient dans un premier temps l'hypothèse d'une collision avec un navire de surface, dans cette zone de la Manche où transitent, chaque année, des dizaines de milliers de cargos, porte-conteneurs et autres vraquiers. 

L'un d'eux, le porte-conteneurs philippin "Seattle Trader", est poursuivi jusqu'en Chine, avant d'être finalement innocenté. Ce n'est qu'en juillet 2004, au moment du renflouement de l'épave, que cette thèse sera définitivement abandonnée, l'analyse de la coque permettant d'écarter l'éventualité d'un éperonnage.

Deux pistes resteront dès lors en course: un accident de pêche ou l'accrochage avec un sous-marin. 

La première est soutenue par le Bureau d'enquêtes sur les événements de la Mer (BEA Mer) qui, dans un rapport de novembre 2006, explique l'accident par l'enfouissement du chalut dans une couche de sédiments et de vase, de nature à créer une effet ventouse.

La navire aurait alors perdu sa stabilité, se couchant sur bâbord. Une série d'erreurs humaines et de non respect de consignes de sécurité aurait aggravé la situation, faisant sombrer le bateau en deux à trois minutes.

Cette thèse, qui "remettait en cause les compétences de l'équipage", a été rejeté d'emblée par les familles des victimes, se souvient Me Christian Bergot, qui en défendait quatre.

- "Espoirs douchés"-

La piste sous-marine convainc, elle, davantage les marins et leurs proches. Car, très tôt, les experts judiciaires ont expliqué le naufrage par l'intervention d'une "force exogène", puis par "l'accrochage d'un sous-marin" avec le câble bâbord du chalut.

Les eaux du sud du Cap Lizard sont en effet une zone d'exercices militaires britanniques, où se déroulait, le jour du naufrage, le "Thursday War" (la guerre du jeudi). Un autre exercice de l'Otan ("Aswex 04") devait également commencer le soir-même.

Dès lors, plusieurs sous-marins sont suspectés, notamment le néerlandais Dolfijn ou le Britannique HMS Turbulent. La piste d'un sous-marin de l'US Navy, dans le cadre d'une mission d'espionnage, est même évoquée par un ancien amiral devenu expert judiciaire.

"Au cours de la procédure, on a tout entendu", se souvient Me Bergot. "A chaque fois, il y a eu des espoirs. Et ces espoirs ont été douchés".

Faute d'élément probant, les juges d'instruction concluent l'enquête, en mai 2014, sur un non-lieu, en n'écartant aucune des deux thèses. En novembre 2021, la justice britannique va plus loin, en se rangeant à la thèse de l'accident de pêche.

"Les délais de prescription sont expirés. Même s'il y avait un élément nouveau, il y a fort peu de chances que la procédure soit rouverte", pointe Me Bergot. "Les familles que je représentais ont tourné la page. Il y a une grande résignation de leur part."

Seul Thierry Lemétayer, 56 ans, fils de Georges, veut encore y croire. "L'affaire continue. Le combat n'est pas inutile. Je suis presque persuadé de connaître la vérité de mon vivant", affirme-t-il.

Après 19 ans passés sur la base navale de Brest, l'épave du Bugaled a été démantelée au printemps 2023. Avec elle a disparu une des dernières pièces du dossier.

349J6F7