Vers une financiarisation de l’agriculture ?
Un marché foncier rural déprimé, des tendances à la concentration des terres agricoles et une amorce de financiarisation de cette activité : la FNSafer dresse un bilan 2014 morose du marché foncier agricole, en France.
«Le marché foncier rural est assez déprimé», annonce Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des Safer (FNSafer). Ces sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, à but non lucratif et chargées de missions d’intérêt général, ont notamment pour mission d’enregistrer les transactions dans le marché foncier rural. Ce 28 mai, à Paris, la Fédération présentait les résultats pour 2014. L’année passée, 205 000 transactions ont donc été enregistrées, un chiffre en baisse de 1 %, par rapport à l’année précédente. Le tout, pour une valeur de 14,6 milliards d’euros, une somme en diminution de 2 % par rapport à 2013. Les marchés fonciers ruraux regroupent plusieurs segments, celui des terres et des prés, acquis dans une perspective d’exploitation agricole, celui des vignes, des forêts, des maisons de campagnes, celui destiné à l’urbanisation et celui destiné aux espaces résidentiels et de loisirs non bâtis. En 2014, à contre-courant de l’évolution globale, les deux premiers segments ont connu une évolution positive. Le marché de la vigne a bénéficié d’une croissance de près de 10 % en nombre de transactions (9 400) qui ont porté sur 16 000 hectares pour un total de 790 millions d’euros. Il s’agit d’un marché à part, lui-même «très hétérogène», commente Robert Levesque, en charge des études à la FN- Safer. En 2014, il a connu des écarts de prix pouvant aller de 1 à 100, et même au-delà. Toutefois, note Emmanuel Hyest, les chiffres astronomiques de l’ordre de plusieurs millions atteints lors de certaines transactions ne concernent que des «micromarchés», comme en Bourgogne. «Plus jamais les investisseurs familiaux ne seront capables d’intervenir sur ces marchés», ajoute le président de la FNSafer.
Le foncier agricole
Quant au marché des terres et prés, il a connu lui aussi une légère hausse, avec 72 000 transactions qui ont pesé 3,2 milliards d’euros. Les prix y ont crû de 2,9 %, une «hausse significative», après une année 2013 qui allait déjà dans le même sens, commente Robert Levesque, pour qui cette tendance est entretenue par la baisse des taux d’intérêt. Régionalement, les disparités de prix des terrains agricoles sont extrêmement importantes : dans les zones d’élevage, en Vendée ou en Franche-Comté, par exemple, l’hectare se négocie à un prix inférieur à 3 500 euros, quand il peut dépasser les 6 500 euros dans le Bassin parisien, l’Alsace ou encore la Normandie. Mais les terres les plus chères se négocient au-delà des 12 000 euros l’hectare, dans le Nord, le Pas-de-Calais, ou encore le Var. Par ailleurs, pour la FN- Safer, le visage des exploitations agricoles est en train d’évoluer profondément. «Il y a une tendance générale à la diminution du nombre d’exploitations individuelles, qui cèdent la place à des exploitations qui appartiennent à des sociétés qui disposent d’un capital foncier plus important», commente Robert Levesque. Ainsi, les sociétés d’exploitation concentrent de plus en plus la valeur des transactions sur les terres agricoles. Une tendance similaire à celle du reste de l’Europe. «Alors que le nombre d’exploitations agricoles diminue, les surfaces exploitées par des sociétaires augmentent et représentent environ 30 % de la surface agricole européenne», explique Robert Levesque, citant le cas d’investissements libanais, britanniques ou italiens qui se dirigent vers la Roumanie. Autre cas de figure, celui d’un fonds d’investissement qui possède quelque 82 000 hectares dans divers pays de l’Est de l’Europe, comme la Pologne, la Tchéquie ou la Roumanie. Pour Emmanuel Hyest, pour la France, il faut distinguer un «modèle vertueux», celui d’apporteurs de capitaux qui, intervenant sur le marché, permettent à des agriculteurs de rester exploitants, quitte à perdre leur patrimoine, et celui, inquiétant, de la «financiarisation du foncier agricole», porté par des fonds qui investissent sur plusieurs pays. Un phénomène encore limité, estime la FNSafer, mais impossible à mesurer précisément. Et au final, ce phénomène «représente un risque pour la souveraineté alimentaire européenne», conclut Robert Levesque.