Vers un nouveau modèle économique

L'instance de concertation Piver Hauts-de-France a organisé sa 41e rencontre thématique portant sur les transitions économiques, le 6 février à Lille et à Amiens. Axé sur les nouveaux modèles économiques et professionnels, ce rendez-vous a mis en lumière ces nouveaux modèles émergeant des transitions environnementales, basés sur le coopération territoriale, la collaboration, le local, le circulaire... et au sein desquels la place de l'entreprise en tant que simple acteur de production est remis en question.

(c)Adobestock
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Quand on parle d'économie, on parle du fondement et du système d'échanges d'une société. Et l'économie ne peut évincer de son socle aucun élément, dont l'environnement dans lequel elle perdure. Puisée pendant des décennies, la planète rappelle, chaque jour, qu'elle existe. À tel point qu'en 2009, un collectif de chercheurs nationaux a créé le concept de « limites planétaires » dont l'objectif est de déterminer une durabilité de notre mode de vie. Le réchauffement climatique est la limite planétaire la plus visible. Mais l'érosion de la biodiversité, ou encore l'acidification des océans en sont d'autres. « On a besoin de la Terre pour vivre et non l'inverse, rappelle Olivia Sallé, chargée de mission au Cerdd Hauts-de-France, le centre de ressources documentaires piloté par la Région et l’État qui accompagne et outille les acteurs dans leur transition environnementale. Ces limites posent un cadre et il faut être lucides sur la situation. »

Pour ces chercheurs, elles fondent la base de la définition d'un modèle économique : elles façonnent un choix méthodologique pour créer des actions. « Et les limites sont interconnectées entre elles, précise Olivia Sallé. Le but est de bâtir un glossaire de solutions pour opérer des changements de pratiques et aujourd'hui, notre logique d'action se base sur la sobriété, les nouveaux modèles économiques, la coopération, l'adaptation et surtout il faut adopter un système de pensée complexe. »

Et ces limites planétaire actuelles nous plongent dans un constat : le système économique en place, linéaire qui suit une logique de production industrielle, est à bout de souffle. Pression sur l'environnement, les entreprises, les marchés... les conséquences, négatives, se répercutent in fine sur « la qualité et le sens du travail », constate Olivia Sallé. Les changements de comportements et de pratiques, devenant nécessaire pour la survie de la société, permettent de bâtir des concepts et des territoires résilients mais aussi « de préserver les emplois localement. » En résultent des nouveaux modèles économiques « qu'il faut imbriquer entre eux et questionner », prévient-elle.

Entre bénéfices et limites

Ce questionnement n'est pas nouveau, mais la prise de conscience de la nécessité grandit. Si la société serait plus ancrée dans son environnement avec une économie de fonctionnalité, qui renverse et remet en cause le modèle économique industriel, d'autres modèles économiques existent, impulsant une transition sociétale, et de nombreux acteurs les déploient et les mettent en place. Pratiquée et mise en lumière pendant la crise sanitaire de 2020 - notamment avec les fermes des agriculteurs - l'économie circulaire travaille sur la chaîne de valeur, s'attarde sur le comportement du consommateur et sur les ressources au cours du processus, avec une logique de zéro déchet. Ce modèle propose une nouvelle façon de produire et de consommer.

Autre modèle économique connu, le fer de lance de l'ancrage local de l'économie, l'ESS, l’Économie Sociale et Solidaire. Encadrée par la loi depuis 2014, l'ESS est une activité économique au service des besoins, « avec une utilité sociale qui répond à une logique économique mais avec un autre système de redistribution du non-marchand », précise Olivia Sallé. Enfin, l'économie collaborative remet en cause la consommation individuelle car se base sur le partage et la mutualisation, privilégiant l'usage. Le covoiturage, la coworking, les achats groupés, les FabLab, le financement participatif ou encore les logiciels libres en sont des exemples.

Cependant, évoluant dans un autre modèle économique où l'usage n'est pas la base, l'économie collaborative se heurte à ses propres limites. « Il faut s'interroger sur les impacts environnementaux, continue la chargée de mission. Par exemple, la plateforme Vinted permet d'acheter de la seconde main mais qui, finalement, pousse à l'achat et génère du trafic lié aux transports des colis. » La plateforme Blablacar pointe une autre limite : les usagers abandonnent le train, donc des infrastructures déjà existantes pour utiliser une nouvelle façon de se déplacer. Enfin, Airbnb est le paroxysme de cette limite : devenu grand groupe, les communes doivent désormais cadrer car les habitants, au lieu de garder la valeur de partage de départ, en font un véritable business, déstabilisant le marché immobilier dans certaines villes. D'où la nécessité de réfléchir sur ces nouveaux modèles économiques, qui ne pourraient fonctionner qu'en s'imbriquant entre eux.

Le reversement du modèle industriel

Durant son rendez-vous, Piver Hauts-de-France a fait intervenir Céline Merlin-Brogniart, maître de conférences au centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (CLERSÉ), à l'Université de Lille. Pour elle, l'économie de fonctionnalité est un support pour la transition écologique. Cette économie, qui remet en cause le modèle industriel, remet également en question la relation entre tous les acteurs, intégrant ainsi la circularité des échanges, et une production basée sur l'usage. « C'est une évolution du modèle économique dans le mode de relation entre l'entreprise et son environnement ou une refonte plus générale des relations entre les acteurs, y compris de la place centrale de l'entreprise en tant qu'acteur de production », explique-t-elle. Ce modèle n'existe pas encore, mais « c'est la trajectoire », prévient Céline Merlin-Brogniart, notant « qu'il ne crée par le besoin car il répond à un usage précis ». En somme, il ne fait pas produire en masse pour vendre, mais fait produire pour la nécessité d'un besoin. « L'objectif est de changer de perspective économique afin de prendre en charge les enjeux (et externalisés) écologique, social et économique attachés à une fonctionnalité », précise Céline Merlin-Brogniart. Dispositif de coordination, investissement dans des ressources immatérielles, écosystèmes coopératifs territorialisés, évolution du rapport au travail et développement d'un patrimoine territorial commun en sont le ciment.

Un autre modèle va plus loin : l'économie de la fonctionnalité et de la coopération. Cette dernière s'intéresse à l'usage et se base sur la coopération des acteurs et consiste à concevoir et à produire des solutions fondées sur l'intégration de biens et services associée à la vente d'une performance d'usage, inscrite dans une dynamique territoriale. Ce modèle remet en cause la place de l'entreprise et des collectivités. La « servicisation » en est un exemple : « c'est un moyen d'obtenir de la valeur pour l'entreprise alors qu'il faudrait l'associer à l'environnement », éclaire Céline Merlin-Brogniart. L'économiste questionne sur l'amélioration de l'entreprise au-delà de l'aspect financier. Ainsi, le service se placerait au centre jusqu'à ce que l'entreprise devienne performante. « Un bien peut être loué, par exemple, à la place d'être vendu », note-t-elle. Alors, cette économie de fonctionnalité et de coopération demande une nouvelle gouvernance et une nouvelle coopération. Donc, une nouvelle organisation au sein des entreprises mais aussi des territoires, qui seraient le chef d'orchestre de cette économie locale avec une forme de consommation non plus individuelle mais collective.

Des modèles loin d'être appliqués mais dont la société suit doucement cette trajectoire. L'heure est aujourd'hui est à l'accompagnement : le Cerdd Hauts-de-France outille et accompagne les structures désireuses de changer de chemin.