Vallourec se restructure et espère rebondir

Son nom est né, en 1931, de l’assemblage des premières lettres de Valenciennes, Louvroil et Recquignies. Vallourec, fabricant de tubes sans soudure, n’a depuis cessé de se développer jusqu’à devenir incontournable dans le monde pétrolier. Mais les crises s’accélèrent sur ce marché depuis 2014. Le groupe, surendetté, lance un plan de sauvegarde de l’emploi qui prévoit la suppression de 137 postes dans le Hainaut, et débute une restructuration financière.

Vallourec continue de louer le savoir-faire des salariés nordistes.
Vallourec continue de louer le savoir-faire des salariés nordistes.

Les salariés d’Aulnoye-Aymeries ont tiré la sonnette d’alarme en septembre. La direction de Vallourec venait d’annoncer l’échec de son projet de recapitalisation et ils tremblaient pour leur emploi. Les représentants syndicaux avaient prévenu les élus, organisé une manifestation conjointe avec les cheminots. Une réponse leur est finalement parvenue : de ce qu’en savait le ministère des Affaires étrangères, il n’y aurait pas de fermeture de site. Cela n’a pas rassuré pour autant…

Vallourec a tenté d’échapper au marasme. Fin 2019, le groupe s’était choisi un nouveau patron, Edouard Guinotte, 48 ans, entré chez Vallourec en 1995 comme responsable logistique et production de Vallourec composants automobiles. Le dirigeant a passé cette année à travailler sur un plan d’économie et à une augmentation de capital de 800 millions d’euros, avec une urgence sur le calendrier : 1,7 des 3,5 milliards d’euros de dettes du groupe arrive à échéance en février 2021.

La recapitalisation a failli réussir. En début d’année, un dialogue s’est engagé avec Bpifrance, bras financier de l’Etat, déjà actionnaire de 14,6% du groupe. Vallourec affichant alors des résultats à la mesure de sa demande, Bpifrance s’était montré favorable jusqu’à ce qu’une nouvelle crise pétrolière arrive et que la dette du groupe se creuse au point de devenir tellement importante que la recapitalisation ne soit plus envisageable.

Cédric Souillart, directeur industriel France (à gauche) et Hubert Paris, directeur Europe/Afrique sont venus rencontrer leurs salariés d’Aulnoye-Aymeries mercredi.

Un effondrement des ventes

Les ventes se sont effondrées. Durant les neuf premiers mois de l’année, le parapétrolier a expédié 1,191 million de tonnes de tubes alors que c’était encore 1,771 en 2019, à la même époque, faisant chuter son chiffre d’affaires de 24%. De 3,169 milliards d’euros pour les trois premiers trimestres de 2019, il peine à atteindre 2,412 milliards aujourd’hui.

«Le marché du gaz et du pétrole représente 70% de notre chiffre d’affaires, explique Hubert Paris, directeur Europe/Afrique de Vallourec. On n’a plus de demande actuellement. Quand le prix du baril de pétrole chute, les compagnies pétrolières diminuent leurs dépenses d’investissement. Lors de la crise de 2015/2016, par exemple, les investissements avaient baissé de 50%. Ils ont repris ensuite progressivement, mais seulement de l’ordre de 30%. Cette fois-ci aussi, nous pensons qu’il y aura une reprise, mais qu’elle va prendre du temps. On ne retrouvera sûrement le niveau de 2018 qu’en 2024 ou 2025.» Le groupe table sur des économies pour passer le cap, des économies de personnel notamment…

De 1 050 salariés à 913 emplois dans le Nord

Vallourec s’est rapidement mis à produire un peu partout en France et s’est séparé de son site de Recquignies, où l’on fabriquait des fonds bombés, puis de celui de Louvroil, spécialisé dans les coudes et raccords de tubes en acier, pour se concentrer sur la production de tubes sans soudure.

Dans le Nord, il a longtemps conservé son usine de Valenciennes, aujourd’hui disparue. Le groupe dispose de trois usines à Aulnoye-Aymeries, y a ouvert deux centres de recherche et développement. Il a construit une usine à Anzin, fermée lors de l’ouverture du site à Saint-Saulve, plus moderne et mieux équipé, mais bien trop grand depuis que son laminoir a fermé en 2017. Depuis trois ans, il est de nouveau à Valenciennes ; un bâtiment loué lui sert de centre de services partagés. Dans ses différents sites nordistes, Vallourec emploie aujourd’hui 1 050 salariés et, jusqu’à peu, une foultitude d’intérimaires.

«Vallourec, ça a été jusqu’à 4 000 employés à Aulnoye, se désole Bernard Baudoux, maire de cette ville de 9 000 habitants. Il n’y en a plus qu’un millier aujourd’hui, c’est dire ce que le territoire a déjà accepté.» Saint-Saulve avait encore 759 salariés en 2015. Trois plans sociaux sont venus trancher dans les effectifs. Ils ne sont plus que 130 aujourd’hui. Et bientôt, ce sera 108.

Le nouveau plan de sauvegarde de l’emploi prévoit, en effet, la suppression de 22 postes à Saint-Saulve, 47 au centre de services partagés de Valenciennes, 68 à Aulnoye-Aymeries, auxquels s’ajoute la modification de 7 postes. «A l’intérieur de notre groupe, nous avons aujourd’hui 89 postes disponibles, dont 46 dans le Nord», précise Hubert Paris. Une quarantaine de salariés pourrait bénéficier d’une retraite anticipée. «Reste une cinquantaine de personnes – on a même 60 en tête – pour lesquelles il va falloir un reclassement externe, poursuit le directeur Europe/Afrique. Quelles sont les mesures d’accompagnement pertinentes pour favoriser leur reclassement ? Cela va dépendre du profil de chacun, nous allons nous faire aider par un cabinet pour les trouver.»

C’est du site d’Aulnoye-Aymeries que seront bientôt dirigés les salariés de Saint-Saulve.

Le dernier plan social ?

Les Nordistes sont une goutte d’eau noyée dans un effectif de 17 000 salariés dans le monde. «On n’arrive même plus à penser que ce sera le dernier plan social», désespère Christophe Couvreur, délégué CGT sur le site d’Aulnoye-Aymeries. «On comprend les interrogations et les inquiétudes de nos salariés, répond Hubert Paris. Aujourd’hui, personne n’est capable de savoir comment va évoluer le marché. La crise de 2015, personne ne l’avait anticipée. Nous prenons à l’instant T les mesures qu’il faut pour être capable d’être compétitif.»

«Le Nord reste un site important pour nous, insiste Cédric Souillart, directeur industriel France de Vallourec. La forge d’Aulnoye est unique, son brevet est déposé. Notre centre de R&D se distingue parce qu’il est à côté des lignes de production et qu’il y a des compétences ici que l’on ne retrouve pas ailleurs dans le monde.» C’est pour cette raison que le groupe n’aurait pas transféré l’activité de Saint-Saulve en Allemagne. «Nous savons que ce site de Saint-Saulve aura deux années très difficiles, explique Hubert Paris. Nous pensons que nous pourrons revenir ensuite à un niveau pertinent de charge. Nous allons donc avoir recours à l’activité partielle de longue durée pour traverser cette période difficile.» Il compte aussi internaliser le stockage sur le site de Saint-Saulve et mutualiser les directions de Saint-Saulve et d’Aulnoye-Aymeries. «Les sites français ont des handicaps, comme les coûts qui nuisent à la compétitivité mondiale, martèle le directeur Europe/Afrique, mais aussi des atouts. Notre réponse pour les sauvegarder sera donc de nous focaliser sur des produits à plus forte valeur ajoutée, de conserver notre capacité de proposer des tubes spéciaux – le boom de l’activité se trouve là –; et de poursuivre notre effort de recherche et développement , ainsi que d’innovation. Là encore, la France a une carte à jouer.»

«Supplice chinois»

Serait-ce suffisant pour rassurer ? Pas pour les élus de la région. Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France, entouré des maires d’Aulnoye-Aymeries et Maubeuge, du président de l’Agglomération Maubeuge Val-de-Sambre, de la députée Anne-Laure Cattelot, de la sénatrice Valérie Létard et des représentants syndicaux, demande depuis le 20 novembre à l’Etat et à Vallourec de se retrouver autour d’une table de travail. «Il n’est pas question de baisser les bras, indique Xavier Bertrand. Nous menons un combat commun face au supplice chinois que nous inflige Vallourec. Nous sommes persuadés qu’il y a des marges de progression possibles dans ce plan social.» Anne-Laure Cattelot opine. «Bpifrance a investi 500 millions d’euros dans Vallourec, rappelle-t-elle, j’attends des actions fortes en échange.»

Si les élus tiquent, les créanciers de Vallourec, eux, semblent rassurés. Devant l’impossibilité de se recapitaliser, le parapétrolier a lancé une procédure de mandat ad hoc pour demander à ses créanciers de transformer un peu plus de la moitié de sa dette en actions, et à ses actionnaires actuels d’investir un peu plus encore pour ne pas être dilués dans cette future masse financière. «Selon nos premiers retours, commente Hubert Paris, nos créanciers n’ont pas trop de doutes quant à nos capacités à rester performants opérationnellement.»

 

Le site d’Aulnoye-Aymeries va perdre 68 de ses 870 emplois.


Une dépendance aux marchés du gaz et du pétrole

La question trotte dans toutes les têtes. Lors de sa conférence de presse, à Aulnoye-Aymeries, Hubert Paris a indirectement répondu. «Comment on en arrive à cette situation de dépendance uniquement à un marché ? Cela n’a pas été un choix délibéré de Vallourec. Il y a quelques années, on pouvait s’appuyer sur trois marchés. On fabriquait des tubes pour des centrales de production thermique à charbon, mais ça a disparu. Les pays ont arrêté d’en construire, le marché s’est éteint. La conséquence a été la cession de l’aciérie de Saint-Saulve dont la production était dédiée à ce marché et la fermeture de son laminoir. L’autre marché, c’était l’industrie automobile. Cela s’est considérablement réduit, la construction automobile s’est même effondrée.» Il évoque des pistes de rebond – des applications dans l’éolien, l’hydrogène, la captation de carbone –, mais douche d’emblée l’enthousiasme : «Cela ne se fera pas avant cinq à dix ans selon les spécialistes.»