Une vision de l’avenir, clé de la mise en valeur du patrimoine local

Potentiellement facteurs de développement pour les territoires, les patrimoines locaux se révèlent complexes à mettre en valeur et à exploiter, dans le respect de leur intégrité. Des exemples illustrent la nécessité d’une collaboration entre les collectivités et aussi... de l’indispensable enthousiasme des porteurs de ces projets.

Une grotte préhistorique, un familistère… Ces deux exemples de valorisation du patrimoine local figuraient parmi les cas exposés lors du colloque “Nouveaux territoires, nouveaux patrimoines et nouveaux financements”, organisé par la Fondafip, Association pour la fondation internationale de finances publiques, le 15 janvier à Paris.
Le premier exemple est celui de la grotte Chauvet, découverte en Ardèche par des spéléologues amateurs en 1994. Il s’agit de la “doyenne des grottes ornées de l’humanité”, rappelle Abraham Bengio, consultant en politiques culturelles et linguistiques, avant de relater le long et difficile parcours qui a abouti à l’actuelle mise en valeur culturelle et exploitation touristique du lieu. Dès la découverte de ce site, qui comporte un millier de dessins dans un bon état de conservation, “on détermine le rôle de l’Etat : préserver”, raconte Abraham Bengio.
Le lieu est donc exproprié ; une porte blindée, placée… Mais au-delà de l’apport de la découvert pour la recherche, le conseil général de l’Ardèche, épaulé par l’Etat et le Conseil régional, s’emploie à mettre en place un projet de fac-similé de la grotte.
Las ! le site choisi est contesté par des associations environnementales et le projet, stoppé : “un très mauvais moment”, commente Abraham Bengio. Ce n’est qu’à la deuxième tentative, à partir de 2005, qu’un projet porté par les collectivités locales et le ministère de la Culture parvient à être conçu : il comprend un fac-similé de la grotte, des espaces pédagogiques, une buvette… Au total, “un site d’abord culturel, mais qui doit s’ouvrir à des préoccupations touristiques. Il doit servir le développement local”, précise le consultant.

Géré par un syndicat mixte, le projet a coûté 54,7 millions d’euros, dont 12 proviennent du ministère de la Culture. Depuis l’ouverture, en quelques mois le site a accueilli 300 000 visiteurs. “Un grand succès”, juge Abraham Bengio, puisque la fréquentation a nettement dépassé les pré- visions. Ce seuil atteint est également celui qui permet, annuellement, un “petit équilibre” financier pour le site. Un défi tout de même : “sur les premières années, nous avons confiance. Après, il faudra renouveler l’intérêt”, met en garde Abraham Bengio.

Une “Utopia”en devenir. Dans le département de l’Aisne, à Guise, le familistère Godin, lui, n’est pas encore parvenu à l’équilibre, au terme d’une aventure qui dure depuis les années 80. Mais Jean-Pierre Balligand, président du syndicat mixte qui gère le site, et qui porte le projet depuis le début, se veut optimiste.
À l’origine, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, c’est un industriel enrichi, acquis aux idées socialistes et anarchistes, qui décide de bâtir ce familistère, destiné aux ouvriers qui travaillent dans son usine, pour donner corps à une société idéale. Mais, après la mort de ce visionnaire et au cours du XXe siècle, les différents bâtiments – habitations, théâtre, piscine – sont répartis entre différents propriétaires. Et dans les années 80, l’état de délabrement du lieu est tel que le maire de la ville de Guise envisage de tout raser… Une hérésie pour Jean-Pierre Balligand qui, devenu député, oeuvre pour faire classer le site. “L’Etat nous a beaucoup aidés”, précise-t-il. La Région y met du sien à partir de 1996, en finançant la définition d’un projet global pour le devenir du site, “Utopia”.

Deux ans plus tard, le projet est enfin lancé, avec le Conseil général, la Direction des musées de France, la Région et l’Europe. “Nous n’avons pas terminé, mais nous avons réussi à engager 38 millions de travaux”, précise Jean-Pierre Balligand. Progressivement, en fonction de la restauration des bâtiments, le lieu accueille déjà des visiteurs. Environ 15 000 entre 2000 et 2006, un chiffre monté à 60 000 environ entre 2011 et 2014. Pour autant, la bataille est encore loin d’être gagnée : sur les 18 millions d’euros prévus, entre 2015 et 2020, seul un million a été pour l’instant reçu de l’Etat… Il y a de “vrais risques”, reconnaît Jean-Pierre Balligand. Mais pas de quoi perdre foi dans l’avenir de cette “belle aventure”.