Une région entre industrie et tertiaire

Après la démographie, l’Insee s’est penchée, dans son second fascicule de l’étude générale sur les territoires régionaux, sur les mutations et les polarités économiques de la région. Bousculant certains clichés, “Mutations et polarités économiques” dresse le portrait d’une région disparate et complexe en termes d’emplois.

En termes de valeur ajoutée créée par les entreprises, la région Nord-Pas-de-Calais est la troisième de France derrière Rhône- Alpes et Paca, devançant la toute proche Ile-de-France. Si l’évolution de son activité économique s’est diversifiée, la région reste industrielle malgré une profonde transformation qui est allée dans le sens d’une tertiarisation pas toujours bénéfique. “Ce passage de l’économie industrielle à l’économie tertiaire vient déstabiliser les zones les plus industrialisées dont fait partie la région Nord-Pas-de-Calais.”

Historiquement, la mono-industrie territoriale, la faible qualification des salariés et le manque de diversification ont entrainé une série de catastrophes industrielles avec la fermeture, notamment, de grands noms du textile, de la sidérurgie… Plus qu’ailleurs, la politique publique a été nécessaire (parfois insuffisante) pour sortir la région de l’ornière et opérer une reconversion profonde et durable. L’Etat a dû “faciliter les transitions professionnelles des salariés par l’accès aux qualifications”. Combien de contrats de site ? Combien de fonds de soutien à la reconversion ? Combien de pôles de compétitivité, d’excellence ? Derrière des chiffres montrant les tendances des transformations économiques, les auteurs de l’étude donnent des exemples parfois étonnants sur la disparité territoriale. “Les espaces sont aujourd’hui non seulement polarisés par leur structure sectorielle mais aussi par les fonctions occupées par les emplois. Cette organisation spatiale induit des écarts territoriaux importants, que ce soit en termes de dynamisme ou de vulnérabilité. La juxtaposition des analyses aboutit à une lecture où s’entrecroisent huit profils d’espaces infrarégionaux au regard des problématiques économiques. Une analyse transversale fait apparaître quelques étonnements, par exemple dans la zone de Lens-Hénin. Elle qui connaît d’importantes difficultés démographiques et sociales s’illustre ici par des résultats avantageux. Avec une reconversion avancée dans le tertiaire, une spécialisation dans des activités porteuses et de vives créations d’unités et d’emplois, elle se voit affectée au sein du même espace dynamique que la métropole régionale.” On peut voir concrètement la fin du déclin de l’ex-bassin minier : “Cette rupture de tendance souligne tantôt un maintien industriel (Bruaysis et Béthunois), tantôt un léger regain (Valenciennois).” L’image selon laquelle la désindustrialisation est phénomène inéluctable est dépassée…

La reconversion via l’Etat. En 2007, les trois quarts des emplois en France relèvent du secteur tertiaire. En moins de 40 ans, le secteur industriel a baissé de moitié en termes d’emploi. “L’évolution des données régionales de 1975 à 2007 permet de mettre en évidence le processus de tertiarisation des emplois qui a opéré dans la région.” Avant 1974, quatre emplois sur dix sont dans l’industrie. C’est l’époque, par exemple, où Usinor (devenu Sollac, puis Arcelor, puis Mittal) fait vivre 18 000 foyers dans le Dunkerquois : aujourd’hui, moins de 3 000 salariés travaillent sur le site d’Arcelor-Mittal à Grande-Synthe. Le tertiaire, lui, adopte une tendance inverse. De 1975 à 2007, il passe de 46% à 75% des emplois régionaux : éducation, travailleurs sociaux, santé et administration voient leurs employés se multiplier. Parallèlement, les emplois agricoles se réduisent à la portion congrue.

Mais la trame de ces changements n’est pas aussi récente. Pour les auteurs de l’étude, tout remonte à l’après-guerre : “Au début des années cinquante, le système industriel est à son apogée. La reconstruction et l’émergence de la société de consommation créent une demande forte et stimulent une production intensive.” Le Nord-Pas-de-Calais, plus que les autres régions, met la main à la pâte dans trois secteurs : le charbon, la métallurgie et le textile. “A la fin de la décennie, les premiers signes d’usure apparaissent. (…) Les structures économiques du textile en Nord-Pas-de-Calais sont assez peu réactives aux évolutions. Les mines souffrent d’une disparition programmée depuis une longue période. La désindustrialisation ébranle les piliers de l’économie régionale d’autant plus que l’industrie nordiste de main-d’oeuvre fait face à une mécanisation poussée puis à une robotisation qui transforme les rythmes de travail.” La concurrence des années soixante-dix et le plan européen Davignon (qui redéploie dans les années quatre-vingt les sites métallurgiques en Europe) achèvent la transformation de l’économie régionale. Les pouvoirs publics interviennent alors fortement à travers la Datar qui pousse, entre autres, à l’implantation de l’industrie automobile. Un choix gagnant pour le Douaisis.

Un regard territorial pour affiner l’analyse. Pour mesurer l’étiage de la reconversion de l’activité économique des régions françaises, on a recours alors à l’indice de Krugman : celui-ci mesure la somme des écarts en valeur absolue, entre la structure d’activité par secteur dans la région et celle du reste du territoire national. “Plus cet indice est élevé, plus la structure productive de la région diffère de celle du reste de la France.” L’indice de spécificité nordiste se réduit considérablement entre 1976 et 2007. La convergence avec les autres régions françaises nivelle l’ancienne particularité industrielle de la région. Pour aller plus loin dans l’analyse de la structure des emplois sectoriels, les spécialistes simplifient la répartition des emplois : agriculture, industrie, construction, commerces, transports, services, éducation, santé, administration, et action. A travers ce prisme, on voit comment et dans quelles proportions la tertiarisation de l’activité économique a transformé les territoires régionaux. “Si le découpage en zones d’emploi donne une vision synthétique de la restructuration économique à l’oeuvre, il a tendance à masquer les différences territoriales fines. Pour une analyse plus détaillée de l’évolution des structures sectorielles de l’emploi, les résultats de la typologie sont aussi regardés à travers un zonage de taille moindre, qui croise le découpage des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) offrant plus de 5 000 emplois avec le découpage des contrats de Pays.

Zones rurales de l’Artois-Ternois. A cette échelle, un nouveau découpage fait sens pour les auteurs de cette étude : “La première classe, nommée ‘maintien agricole’, concerne les territoires qui ont toujours eu, tout au long de la période, une part d’emploi dans l’agriculture et la construction nettement plus importante que les autres. Il s’agit essentiellement des zones rurales de l’Artois-Ternois. La seconde classe, ‘diversification’, regroupe des espaces aux trajectoires plus hétérogènes. La structure sectorielle de l’emploi y est plus diversifiée que dans les autres espaces de la région et aucune polarisation particulière de l’emploi n’est marquée. Ces deux classes de trajectoires ne sont pas visibles dans l’analyse fondée sur les zones d’emploi car leurs spécificités sont diluées au sein de zones plus vastes. Par exemple, si la zone d’emploi de l’Artois-Ternois appartient à la classe ‘tertiarisation avancée’, c’est parce que le poids en termes d’emplois de la communauté urbaine d’Arras (classée en ‘tertiarisation aboutie’) est nettement plus important que celui des zones rurales (classées en ‘maintien agricole’). Si l’espace relatif à Lille est toujours classé comme ‘tertiarisation aboutie’, la vision affinée de la région permet de voir apparaître au sein de cette classe la communauté urbaine d’Arras et les espaces littoraux du sud-ouest, en particulier la communauté de communes d’Opale Sud. Pour cette dernière, dès 1975, le seuil des 70% d’emplois tertiaires est atteint, avec une proportion très importante de services relevant de l’éducation, la santé, l’action sociale et l’administration.”

Audomarois territoire industriel. Le littoral se tertiarise autour de ses ports mais pas dans l’arrière-pays. Plus loin encore, on observe que l’Audomarois reste encore un territoire industriel malgré la baisse des effectifs de son industrie verrière. Prochainement, on pourra aussi tracer quelques perspectives industrielles avec la concrétisation des projets de ce territoire en termes d’industrie. L’expérience industrielle de la main-d’oeuvre pouvant faire mentir les experts et redonner un coup de fouet industriel à la région en attirant de nouvelles entreprises.