Une "influence réelle" monnayée ? Pourquoi le PNF demande un procès pour Rachida Dati

Rachida Dati a-t-elle illégalement usé de son "influence réelle" au Parlement européen pour obtenir, en échange de 900.000 euros d'honoraires, des décisions favorables à Renault et Carlos Ghosn ? C'est ce que pense le...

La ministre de la Culture Rachida Dati à l'Assemblée nationale, le 13 novembre 2024 © Ludovic MARIN
La ministre de la Culture Rachida Dati à l'Assemblée nationale, le 13 novembre 2024 © Ludovic MARIN

Rachida Dati a-t-elle illégalement usé de son "influence réelle" au Parlement européen pour obtenir, en échange de 900.000 euros d'honoraires, des décisions favorables à Renault et Carlos Ghosn ? C'est ce que pense le Parquet national financier (PNF) dans ses réquisitions.

Le ministère public a demandé un procès contre la ministre de la Culture et contre l'ex-tout puissant patron de Renault-Nissan pour corruption, trafic d'influence, mais aussi pour abus de pouvoir et abus de confiance ou recel de ces infractions.

La décision finale revient aux juges d'instruction saisis de ce dossier ouvert en 2019 et aux lourds enjeux politiques, Rachida Dati étant l'une des principales figures du gouvernement de Michel Barnier.

Ces 134 pages de réquisitions, consultées par l'AFP et également évoquées par Le Parisien et Le Monde, sont signées, fait rare, par le procureur de la République financier Jean-François Bohnert, en plus des deux magistrats financiers saisis.

Le PNF y étrille la légalité des 900.000 euros d'honoraires versés entre 2010 et 2012 à Mme Dati pour un contrat de conseils juridiques au bénéfice de RNBV, la structure chapeautant l'alliance Renault-Nissan.

La ministre, 58 ans, est soupçonnée d'avoir perçu, "en toute confidentialité, voire en toute opacité", cette somme pour des prestations largement inexistantes, alors qu'elle était avocate et députée européenne (2009-2019).

Pacte corruptif

Les trois magistrats soulignent que "les nombreuses investigations" réalisées "n'ont permis d'identifier que très peu de preuves de l'existence et de la réalité des prestations réalisées par Mme Dati" en termes de conseils juridiques, "qu'il s'agisse de preuves matérielles (comptes rendus, mails, notes) ou testimoniales (auditions, attestations)".

"Les seuls éléments au soutien d'un travail effectif de Mme Dati sont essentiellement testimoniaux et émanent de personnes qui, visées par l'information, avaient intérêt à confirmer la réalité du travail réalisé par celle-ci", ajoute le PNF.

Pour l'accusation, Mme Dati exerçait en réalité une activité de lobbying pour le groupe, au prix d'un "contournement" et d'une "violation" du code électoral, et de "conflits d'intérêts évidents avec son mandat parlementaire" européen.

Les magistrats financiers considèrent en effet que l'ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy a bien effectué, "en contrepartie des paiements" issus de la convention, des prestations, mais illégales cette fois: elle aurait "conseillé le groupe Renault dans la promotion de ses droits et intérêts auprès du Parlement européen", y aurait "pris des positions favorables" au constructeur et "usé de son influence réelle ou supposée pour mener des actions de lobbying".

Le PNF souligne l'intérêt pour M. Ghosn de recruter "une personnalité politique de premier plan comme l'était Mme Dati à l'époque des faits", personnalité qui d'après le ministère public n'avait "jamais informé le Parlement européen des activités privées lucratives" avec la marque au losange.

Au final, le contrat de conseils juridiques "était l'habillage juridique d'un pacte corruptif patent", tranche le PNF.

Infamant

Alors que Mme Dati et "plus tardivement", selon le ministère public, M. Ghosn, ont multiplié les recours, en vain, pour que soit reconnue la prescription des faits, le parquet reconnaît le "contentieux abondant" sur le sujet mais rappelle sa position selon laquelle ces infractions étaient occultes ou dissimulées, ce qui permet de reporter le début du délai de prescription.

Vendredi, Mme Dati a qualifié dans un communiqué ce "réquisitoire" d'"infamant" et "choquant à plus d'un titre", en dénonçant une "instrumentalisation de cette affaire par (s)es opposants politiques". 

"Ce réquisitoire intervient à contre-courant de tous les éléments que nous avons apportés: témoignages, pièces, documents..." et qui attestent, ont affirmé ses avocats Mes Olivier Baratelli et Olivier Pardo, de "l'innocence" de leur cliente.

Carlos Ghosn, 70 ans, réfugié au Liban depuis fin 2019 après une fuite rocambolesque du Japon, est visé depuis avril 2023 par un mandat d'arrêt international. 

Ses avocats, Me Jacqueline Laffont-Haïk, Cloé Fonteix, Martin Reynaud et Léon Del Forno, ont indiqué à l'AFP que leur client "conteste la régularité du mandat d'arrêt sur la base de laquelle le parquet sollicite son renvoi, car il constitue en l'état de cette situation un détournement de procédure. Enfin, il rappelle son impossibilité d'avoir accès aux éléments du dossier et de participer à l'instruction, en violation flagrante des droits de la défense", ont-ils ajouté.

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