Une histoire à tiroirs
Le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer a mis fin au suspens qui durait depuis six mois quant au devenir de Calaire chimie et ses 197 salariés. Le groupe Axyntis reprendra les actifs de Calaire et maintiendra 80 personnes en poste (dont une trentaine à la production). Chez les salariés, on dénonce la lâcheté de l’Etat... et on se pose des questions.
Fin 2012, le groupe Tessenderlo cède l’un de ses sites industriels où il conçoit et fabrique divers produits pour les laboratoires pharmaceutiques européens. L’investisseur allemand ICIG acquiert la majorité des parts sociales du site Calaire chimie, implanté depuis des décennies en milieu urbain, entre Calais et Coulogne. Le long du canal de Calais, l’entreprise fait vivre près de 200 personnes mais a perdu les deux tiers de son chiffre d’affaires depuis le début de la crise…
La transaction est totalement confidentielle. Aucun chiffre ne sort. L’Etat, actionnaire à travers la Compagnie nationale des poudres et explosifs (CNPE), détient encore un quart du capital. Une vente va intervenir en juin 2012. Mais au printemps, des alertes de trésorerie s’affichent dans le reporting de la direction. Les clients promis par le vendeur (selon la direction de l’époque) ne sont pas au rendez-vous. Quelques semaines plus tard, le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer accède à la demande de Calaire chimie qui sollicite un redressement judiciaire. La situation durant l’été n’ira qu’en s’aggravant. En juin, alors que salariés et élus étudient lors de tables rondes les moyens de sortir de l’ornière, l’Etat cède ses parts pour 192 millions d’euros. Durant l’été, les offres de reprise affluent de la part des confrères de Calaire mais seul le groupe Axyntis, également établi à Calais, se porte candidat en juillet… pour 5 euros et quelques dizaines de salariés repris. Mais deux reports de décision lui montrent qu’il faudra aller plus loin. En septembre, nouveau délai pour les salariés qui planchent sur une reprise concurrente via une coopérative ouvrière dans le sillage des ex-SeaFrance et le soutien de Me Philippe Brun, conseil de ces derniers. D’un côté, Axyntis propose de reprendre de 80 à 120 personnes d’ici 2016. Les scopiens s’affichent à 140 à brève échéance. Le temps leur manque pour affiner leur projet.
Un reliquat de 2,4 millions d’euros. L’après-midi du 16 octobre, les salariés du site votent pour le projet de coopérative (128 votants sur 193 ; 86 pour, 40 contre et 2 abstentions). Quelques heures plus tard, le conseil municipal adopte une délibération non contraignante qui inscrit un million d’euros au budget. Sans dire à qui ce million était destiné… Mais le projet de Scop a pris du retard et sa partie financement ne peut convaincre. Il faut 8 à 9 millions d’euros pour commencer. Après l’ultime délai de septembre et l’octroi de 6 millions d’euros pour pouvoir poursuivre l’activité jusqu’au 28 novembre prochain, le tribunal de commerce fixe sa décision le 18 octobre et rend son délibéré quatre jours plus tard. Me Brun demande au tribunal «d’interroger ceux qui savent où se trouvent les 2,4 millions d’euros qui manquent sur les 6 millions d’euros». Même l’administrateur judiciaire Vincent Labis ne peut répondre. «L’affaire était pliée d’avance», dénonce Patrick Salingue, délégué CGT chez Calaire. Et Me Brun d’insister : «Il faut retrouver cet argent que le tribunal a octroyé en septembre. Ce n’est pas à moi de dire s’il est entre l’Allemagne, Paris, Boulogne-sur-Mer en passant par Calais.» Qu’a pesé la délibération du conseil municipal de Calais ? «Le procureur de la République s’est transformé en contrôleur de légalité !» Le tribunal avait probablement déjà tranché. Il confie ainsi ce qui reste de Calaire à Axyntis, les salariés du site occupent l’usine. La voiture du directeur s’affiche en trophée, empalée par deux chariots de manutention devant des pneus enflammés. A deux doigts du canal, devant une rangée de produits chimiques. «Ça va aller très mal si on continue de se moquer de nous. L’Etat s’est fait de l’argent dans cette histoire. On va perdre notre travail, on a droit à notre part», préviennent certains ouvriers. Un syndicaliste glisse : «On ne tiendra pas longtemps les gars. Il faut que le ministère du Redressement productif nous réponde». Vite.