Une affaire devenue politique
Encore une semaine et le sort de SeaFrance aura été scellé. Le 3 janvier, le tribunal a décidé de surseoir quant au sort de SeaFrance. Le 9 janvier (après notre bouclage), il a décidé de prononcer la reprise de SeaFrance par la SCOP ou la cessation complète d’activité et la mise en liquidation. Si le premier scénario paraît incertain, il n’est pas dit que le second sonne totalement le glas de la compagnie maritime filiale de la SNCF. L’intervention du président de la République a ajouté une pression supplémentaire sur les acteurs et donné un répit aux salariés. Pour quel résultat ?Les 300 salariés qui avaient fait le déplacement le 3 janvier étaient attendus par plusieurs escouades de CRS, signe d’une tension à son comble.
“Je ne renoncerai jamais à me battre pour l’emploi.” Après la déclaration du président de la République, le tribunal de commerce de Paris a compris le message et donné une semaine de plus aux salariés promoteurs de la SCOP pour s’entendre avec le gouvernement qui a fait une volte-face totale sur ce dossier. En effet, après avoir fustigé les membres de la CFDT maritime Nord – “jusqu’au-boutisme”, “suicide collectif” –, le secrétaire d’Etat aux Transports, Thierry Mariani, s’est fait rappeler à l’ordre et a repris les négociations avec la CFDT afin de trouver un accord sur le futur des 880 salariés de l’entreprise maritime. “Puisque les salariés veulent monter une SCOP, le gouvernement va les y aider. Dans le cas d’une liquidation probable de l’entreprise, les salariés toucheront des primes non négligeables. Nous allons voir comment accélérer le versement de ces sommes pour que les salariés puissent les réinvestir dans l’entreprise”, a-t-il déclaré. Toutefois, la question de la viabilité et de la rentabilité subsiste. Au niveau du capital, les repreneurs sont assurés d’une dizaine de millions d’euros provenant des collectivités publiques régionales (Conseil régional, Conseil général, communautés d’agglomération de la Côte d’Opale, villes). Le dossier est devenu éminemment politique, la dégradation de la situation de SeaFrance a obligé les élus de tous bords à prendre position sur les offres de reprise de décembre : DFDS ou SCOP de salariés. Le premier aurait certainement voulu s’entendre avec les salariés, poussés par le gouvernement à se rallier à l’entreprise danoise. Mais le coût social a été jugé exorbitant par la CFDT qui a décliné toute rencontre. La stratégie s’avère payante : DFDS a pris (momentanément) ses distances et le gouvernement a dû suivre une opinion publique favorable à ces salariés qui veulent sauver euxmêmes leur entreprise après des années d’errance financière. Le gouvernement a mis sur la table plusieurs éléments pour sortir de ce mauvais pas en termes d’emplois. A quatre mois du premier tour de l’élection présidentielle, il était temps… “L’Etat est lié à la position des salariés de SeaFrance”, nous indique le cabinet de Thierry Mariani. “La CFDT nous disait, il y a 15 jours : ‘nous avons 100 000 euros et la SNCF doit payer’. Mais l’Europe nous l’a interdit. Nous leur avons conseillé de trouver des partenaires privés. DFDS voulait les rencontrer…”, ajoute un membre du cabinet.
Liquider, licencier et redémarrer ? A nouvelle situation, nouveau scénario. Deux jours avant la décision du tribunal, le ministère du Développement durable (tutelle du secrétaire d’Etat aux Transports) propose alors que la SNCF reprenne les navires et les loue à la SCOP “pour une somme modique”. En sus, une super indemnité de licenciement irait aux salariés qui pourraient ainsi la réinvestir en capital dans la SCOP. Mais qui pourraient tout autant la conserver ! “Si c’est le scénario retenu, les salariés suivront. Ils nous ont toujours fait confiance”, rappelle, confiant, Didier Cappelle. A priori généreux, ce scénario sort les navires du périmètre de la négociation : “Thierry Mariani nous l’a dit lors d’une rencontre : ‘vous ne croyez tout de même pas que vous allez avoir les navires’…” affirme Didier Cappelle. Le tribunal aurait-il osé accepter la cession de l’ensemble des actifs de l’entreprise à la SCOP, navires compris ? On peut en douter tant la pression est grande. D’où les scénarios à l’étude pour sortir par le haut et éviter le naufrage total de SeaFrance avec la perte de 880 emplois directs et probablement autant d’indirects. L’Etat souhaite une liquidation et un plan social que la SNCF a déjà évalués à 53 millions d’euros. Somme qui prendrait donc la forme de super indemnités et qui irait dans la trésorerie d’une nouvelle compagnie maritime tenue par la SCOP. Problème : la réglementation oblige le liquidateur à vendre les actifs aux enchères sans aucune préférence autre que le prix. “Le scénario de l’Etat, avec les navires à la SNCF, est illégal. Ils ont fait ça sur un coin de table, à la vavite”, avance Me Philippe Brun, un des avocats de la SCOP. “La SCOP n’est pas financée dans son exploitation” et n’est donc pas viable à ce jour rappelle, quant à lui, le cabinet de Thierry Mariani. Et d’ajouter : “Nos juristes disent que, dans certains cas, le tribunal de commerce peut accorder une procédure préférentielle pour la vente des actifs.” Mais priver le seul repreneur potentiel des bateaux ne l’aidera pas à lever les fonds dont il a besoin. Avec quatre navires en pleine propriété, les banques seraient forcément plus attentives à une avance remboursable. Les élus régionaux y sont favorables et pourront même s’y substituer à travers une (ou plusieurs) société (s) d’économie mixte (SEM) qui chapeauterait les ex-actifs de SeaFrance.
La bataille navale. Les navires resteraient, “sanctuariés”, dans la sphère publique et fermeraient la porte à DFDS, toujours intéressé. “DFDS peut revenir et prendre les bateaux”, selon le cabinet de Thierry Mariani. Guillaume Pépy, PDG de la SNCF, va faire des propositions suite à son entretien avec le Premier ministre, François Fillon. Il sera difficile aux promoteurs de la SCOP de refuser les dernières propositions de l’Etat. Le temps presse. “Les bateaux ont déjà été payés ! Pourquoi devrionsnous les repayer ? tonne Didier Cappelle. Pourquoi certains étaient-ils prêts à laisser ces bateaux à DFDS pour trois fois rien mais pas aux salariés ?!” L’Etat aura du mal à répondre à cette grogne empreinte de justice sociale. Les promoteurs de la SCOP ne veulent pas des licenciements et privilégient une voie “plus simple” : avance remboursable du Fonds souverain d’investissement, du Conseil régional et des autres collectivités… Un scénario qui évoluera au fil de la semaine et se terminera probablement par la constitution d’une SEM qui louerait ensuite les bateaux à la SCOP. Présent au tribunal, David Azéma, président du directoire de SeaFrance, a encore plaidé pour la liquidation effective du pavillon français sur le transmanche. Il a déjà gagné : les bateaux ne voguent plus depuis plus d’un mois et les licenciements approchent…