Un livre sur le point central dela renommée dentellière française

C’est un beau livre que celui réalisé par les services de la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais (CIDM). Dessiner la dentelle présente une des deux professions phare de la dentelle mécanique (avec le tulliste) : l’esquisseur, qui donne l’âme au motif. En moins de 200 pages, les auteurs font le tour d’un mythe esthétique dont les villes dentellières s’enorgueillissent encore aujourd’hui malgré leurs rivales asiatiques.

Le métier d’esquisseur est la source esthétique des dentelles de Calais et de Caudry. “Dessin d’art appliqué à la dentelle mécanique”, l’esquisse n’est pourtant pas un dessin. Le terme lui-même fait débat. Son apparition dans le vocabulaire industriel date de 1851, date à laquelle l’historien Henri Hénon le mentionne. Mais il faut attendre 1878 pour le voir figurer dans l’almanach (l’annuaire des professionnels de l’époque) à propos d’un dessinateur italien et de son savoir spécifique dans l’art du dessin : Sciacaluga, dit “Raisin”, “esquisseur en tout genre et metteur en carte”. Ce dernier terme recouvre les compétences du dessinateur à appliquer un dessin aux métiers Leavers ou Go-Through du XIXe siècle. “La frontière entre les deux professions reste perméable comme en témoignent les annuaires où certains noms sont à la fois cités parmi les esquisseurs et les dessinateurs-metteurs en carte.” Nuance toutefois importante : seule l’esquisse verse dans l’esthétique, le dessin n’ayant qu’une “mission de rendre pratique par des procédés scientifiques géométriques, en un mot, l’exécution du dessin copié sur l’esquisse primitive”. Preuve absolue, l’esquisseur “dessine” à l’échelle 1 (en vrai), tandis que le dessinateur plonge dans les détails (à l’échelle x 6) et harmonise mathématiquement le geste de l’artiste. Pour répondre à la demande en dentelle qui explose à la fin du XIXe siècle, une institution est fondée dès 1841 : l’Ecole d’art de Calais s’installe dans le quartier Saint-Pierre (alors commune indépendante), entourée des plus grandes usines de métiers mécaniques d’Europe. Ecole des arts décoratifs et industriels, elle forme d’abord à l’architecture. Son enseignant est Amédée Steensmaght qui a la particularité d’avoir construit la plupart des usines à tulle de la ville.

Une transmission du savoir. L’almanach de 1843 le mentionne comme l’un des rares dessinateurs de la ville. Le maire de Saint-Pierre, commissionnaire en dentelle, est intéressé par l’activité de cette école qui ouvre quelques mois avant celle de Nottingham et quelques années avant celle de Saint-Quentin, autre site majeur des dentelles et broderies françaises. Fin XIXe, on compte une trentaine de dessinateurs (dont certainement quelques esquisseurs) repérés dans le collège des électeurs du conseil des prud’hommes de Calais. En 1872, une classe de dessin et de peinture de la fleur voit le jour. Les élèves des promotions se nomment Basset, Beaubois, Boot, Daviez, tous issus de familles d’industriels. En 1882, la municipalité fonde, place Crèvecoeur, son école des arts décoratifs et industriels. L’année suivante, la formation de dessinateur y est dispensée mais seuls cinq ou six élèves fréquentent les cours… Car, comme chez les tullistes, la transmission d’un savoir central à toute fabrication de la dentelle se fait majoritairement de maître à disciple, les maîtres ayant intérêt à garder la main sur une relève qui, trop nombreuse, pourrait accepter des baisses de salaire ! En outre, la crise de la production dentellière de la fin du XIXe siècle n’aide pas à attirer de jeunes talents. Le XXe siècle sera plus prometteur.

Les collections d’esquisses, sources d’inspiration. Les élèves remportent coup sur coup les prix nationaux des arts industriels et les générations successives innovent au fil de la mode. Des artistes de renom dirigent l’école depuis les années vingt, ce qui lui donne plus d’attractivité et la fait croître en compétences. L’après-guerre est cependant une période délicate pour les cours de dessin : la priorité est à la reconstruction des bâtiments et la section dentelle de l’enseignement déménage à l’institut Jacquard. Il faudra attendre dix ans avant que l’école d’art ne propose à nouveau ses formations. Depuis l’après-guerre, elles sont dispensées par l’institut Jacquard, jusqu’à ce que le lycée du Détroit ne les intègre dans son corpus de formation dans les années quatre-vingt. Aujourd’hui, les collections, parfois bi-séculaires, sont consultées par les stylistes en lingerie-corsetterie et de robes de luxe.